Intervention de Caroline Chassin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 24 février 2022 : 1ère réunion
Table ronde sur l'application de la loi sauvadet

Caroline Chassin, chargée des thématiques « égalité professionnelle » au sein du Syndicat des managers publics de santé (SMPS), directrice générale du Centre hospitalier de Draguignan :

Merci de nous donner l'occasion de parler de la place des femmes dans la fonction publique hospitalière. Si vous le permettez, je laisserai ensuite la parole à mon collègue Clément Triballeau, puisque le travail sur l'ascension des femmes et sur la conciliation de vie au travail est une cause commune entre les sexes.

Je commencerai mon intervention par un macro-diagnostic de la place de la femme dans la fonction publique hospitalière. Elle est la plus féminisée des trois fonctions publiques, de très loin. Nous représentons 1 200 000 professionnels, dont 78 % de femmes en 2017. Ce chiffre est assez constant depuis plusieurs années. Nous avons par ailleurs toujours respecté les quotas de 20, 30, puis 40 % de femmes primo-nommées sur les postes à responsabilité. Alors, hourra ! On peut nous qualifier de bons élèves. Et pourtant, c'est un peu l'arbre qui cache la forêt. Nous sommes tout autant concernés que les autres fonctions publiques par les problématiques d'égalité professionnelle.

Nous connaissons d'abord des disparités salariales en fonction du sexe. Nous sommes la fonction publique la moins bien rémunérée, à responsabilités égales. Au SMPS, nous ne pouvons pas nous empêcher de faire le lien entre le très fort taux de féminisation de la fonction publique hospitalière et ces rémunérations moindres, malgré les derniers efforts conséquents consentis avec le Ségur de la santé.

Au sein de la fonction publique hospitalière, le salaire net moyen des femmes est inférieur de 21 % à celui des hommes. À responsabilités équivalentes, elles sont souvent moins bien rémunérées que ces derniers. Les cadres supérieurs de santé, bras droits des directeurs des soins, colonne vertébrale du fonctionnement des hôpitaux, sont beaucoup moins bien rémunérées que les ingénieurs, bras droits des directeurs techniques. Ces explications reflètent également la répartition des femmes entre les différents métiers de la fonction publique hospitalière. Elles sont surreprésentées dans les filières administratives et soignantes, les moins bien payées. La filière médicale, mieux rémunérée, compte davantage d'hommes, même si nous y sommes à parité. Ce constat explique les disparités salariales, à salaire moyen, entre les hommes et les femmes dans la fonction publique hospitalière.

Je vous indiquais plus tôt que nous avions toujours respecté le quota des primo-nominations, mais où sont les femmes dans la catégorie A+ ? Elles occupent les postes de direction de soins et des emplois fonctionnels de direction d'établissements sanitaires, sociaux et médicosociaux. Lorsqu'on s'intéresse aux postes considérés comme les plus prestigieux, à savoir les directions d'hôpital ou de CHU, on tombe respectivement à 25 % et 33 % de femmes. Chez les directeurs d'hôpitaux, nous sommes à parité dans le corps. Pour autant, plus nous montons dans le grade, plus l'érosion de la présence des femmes est importante. Le phénomène est similaire chez les directeurs des établissements sociaux et médicosociaux, qui sont pourtant largement féminisés, avec 64 % de femmes. Dans les emplois fonctionnels de cette catégorie, elles ne sont plus que 46 %.

Nous pensons que le processus de nomination aux plus hautes fonctions, largement maîtrisé par des hommes, est aussi responsable de cette érosion progressive des femmes à mesure que nous montons dans la hiérarchie. Les présidents des Commissions médicales d'établissements (CME), les doyens de faculté de médecine dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) et les directeurs d'agences régionales de santé (ARS) nomment les chefs d'établissement. Ces trois catégories comptent une majorité d'hommes. Participent également à la nomination des chefs d'établissements les maires des communes sièges des hôpitaux, qui sont pour une écrasante majorité des hommes.

Le même phénomène est observé chez les médecins. 70 % des étudiants en médecine sont des étudiantes. Si elles représentent ensuite 53 % des praticiens hospitaliers dans nos hôpitaux, elles ne comptent que pour 15 % des professeurs d'université - praticiens hospitaliers, postes les plus prestigieux chez les médecins. Elles représentent 49 % des chefs de service, mais seulement 30 % des présidents de CME et 13 % des doyens de faculté de médecine. Là aussi, ce sont ces deux dernières catégories, aux côtés des directeurs d'hôpitaux, qui participent au processus de nomination des responsables médicaux au sein de nos hôpitaux.

Comment expliquer ce constat ? Les facteurs sont multiples. On a beaucoup parlé d'articulation de la vie personnelle et professionnelle, mais aussi de mobilité géographique. Chez les directeurs et directrices d'hôpital, ce critère est étudié. Or les hommes sont plus mobiles que les femmes, pour toutes les raisons que nous pouvons imaginer, concernant notamment l'articulation entre la vie professionnelle et personnelle. Nous savons que les femmes sont globalement plus en charge de la logistique familiale. La mobilité géographique peut alors constituer un vrai frein. Pire, pour devenir professeur des universités, un parcours à l'international est obligatoire. Il va souvent être ralenti, voire freiné, au moment de fonder un foyer. Les jeunes femmes vont alors renoncer à leur carrière hospitalo-universitaire.

Enfin, la fonction publique hospitalière et le milieu hospitalier en général traitent insuffisamment les questions de violences sexistes et sexuelles. Des études récentes d'associations et de syndicats de médecins rapportent que 49 % des étudiants en médecine générale ont subi des discriminations en fonction de leur genre pendant leur cursus. 39 % des répondants aux enquêtes ont signalé avoir déjà été victimes d'agissements sexistes à l'hôpital.

En tant que Syndicat des managers publics de santé, nous avons souhaité mener cette enquête auprès de nos adhérents et des populations que nous représentons, à savoir les managers de la fonction publique hospitalière. Les chiffres ont été assez édifiants. Entre 40 et 60 % des répondants ont déclaré avoir déjà été victimes d'agissements sexistes. 10 % ont déjà subi des agressions sexuelles. Ce sont en grande majorité des femmes.

Quelle est notre vision face à ces constats ? D'abord, nous prônons depuis des années un salaire égal à responsabilités égales. Nous n'exerçons pas les mêmes métiers au sein des différentes fonctions publiques mais nous avons les mêmes niveaux de responsabilités, quel que soit le champ dans lequel nous opérons. Dans ce contexte, il n'est pas normal que les grilles de rémunération soient différentes entre les différentes fonctions publiques. Il en va de même au sein de la fonction publique hospitalière. Il n'est pas normal qu'à responsabilités égales, on ne soit pas rémunéré de la même façon. Au sein de ma propre équipe de direction, j'ai parmi mes adjoints une directrice des soins bien moins rémunérée que ses collègues directeurs adjoints sur les finances ou les RH. Ce n'est pas acceptable.

Sur l'accès des femmes aux plus hautes responsabilités, ensuite, nous défendons nous aussi l'extension des dispositions sur les nominations équilibrées à tous les emplois qui ne sont pas encore concernés. Il nous faut aller au-delà des apparences, et considérer les différents métiers dans le détail pour garantir l'égalité des primo-nominations. Nous souhaitons a minima que lors de la nomination d'un chef d'établissement, une short-list paritaire soit obligatoirement établie. Ensuite, passons enfin, dès 2023, à 50 % de primo-nominations en faveur du sexe sous représenté. C'est d'autant plus pertinent que nous nous basons sur une logique de flux. Pourquoi nous arrêter à 40 %, et ainsi accepter intrinsèquement dans les chiffres que les femmes doivent être minoritaires ? Il est temps de passer à une égalité entre les hommes et les femmes dans les nominations aux plus hautes responsabilités.

Sur l'articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, il nous semble très important de traiter le sujet de l'égalité hommes-femmes en tenant compte du fait que les hommes n'ont pas les mêmes droits que les femmes dans leur vie personnelle. Nous défendons l'extension du congé paternité. Malgré l'effort récemment consenti à ce sujet, il reste des inégalités sur l'accueil de l'enfant, qui est dévolu à la mère par la loi. Le père ne bénéficie pas des mêmes droits. Le couple de parents n'a d'ailleurs pas le droit de répartir les jours de congé d'accueil de l'enfant comme il l'entend.

Nous souhaitons également moderniser les critères d'accession aux emplois supérieurs afin de lever les freins qui affectent l'articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Nous pouvons citer la mobilité géographique, mais il en existe d'autres.

Sur les violences sexistes et sexuelles, enfin, nous devons impérativement objectiver la situation sur le terrain pour permettre la prise de conscience nécessaire. Le phénomène est beaucoup plus étendu qu'il n'y paraît. Nous devons en outre mettre en place un dispositif efficace de signalement et de traitement de ces violences au sein des établissements et auprès du centre national de gestion. La formation des acteurs hospitaliers est également primordiale pour faire évoluer les mentalités sur ce type de sujet.

Encourager les responsables revient peut-être aussi à affiner et renforcer le dispositif de sanctions en cas de non-respect du principe de nominations équilibrées par les employeurs publics. Cet encouragement pourrait également passer par un vrai coup de pouce, sous forme de bonus, pour les employeurs publics très engagés sur l'égalité professionnelle et la parité.

Nous devons sensibiliser, former et mettre en situation les équipes, les décideurs, les élus, mais aussi les patients, qui peuvent eux aussi faire preuve de comportements sexistes dans nos hôpitaux.

Le SMPS identifie trois conditions de réussite pour une meilleure égalité des chances entre les femmes et les hommes : objectiver, inciter et mobiliser. Il n'y a pas d'objectifs sans mesure précise. Les bilans sur l'état de la situation égalitaire entre les femmes et les hommes doivent être plus détaillés et précis, sans quoi nous ne dépasserons pas les apparences. J'entends trop souvent que nous n'avons pas de problème de place des femmes dans la fonction publique hospitalière, puisque nous y sommes majoritaires.

Il n'y a en outre pas de progression sans incitation. L'État doit se porter garant du système de quotas, et ce n'est pas faire un procès en compétences à l'encontre des femmes. En effet, aujourd'hui, si les femmes ne sont pas nommées à des postes à responsabilités, ce n'est pas parce qu'elles sont incompétentes, c'est parce qu'elles sont des femmes. Les bonus et malus devraient pouvoir garantir l'application des quotas.

Enfin, il n'y a pas d'égalité sans mobilisation. Il s'agit d'une cause commune entre les hommes et les femmes. La progression doit se faire par le biais d'un rééquilibrage entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Plus les hommes auront la possibilité de se libérer des contraintes d'un milieu professionnel fait par des hommes pour des hommes pour s'investir davantage dans la sphère privée, plus les femmes pourront accéder à des postes à responsabilités, et réciproquement. Il nous faut donc mener ce combat ensemble. Je pense que beaucoup de nouvelles générations y aspirent. Nous parviendrons à mener ce combat de l'égalité ensemble.

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