Le 30 janvier dernier, j'ai accepté de prendre la direction générale du groupe Orpea, dont je présidais jusqu'alors le conseil d'administration, parce qu'il était indispensable de permettre à l'entreprise de continuer à assurer sa mission dans les meilleures conditions. Je me suis porté volontaire pour faire face et assumer les responsabilités éthiques, morales et juridiques de notre groupe dans ce moment difficile, alors que je n'y étais pas tenu et qu'il n'y avait pas pléthore de candidats. J'ai fait ce choix simplement, en responsabilité, parce que je suis attaché à cette entreprise, à la suite d'une histoire personnelle qui m'a permis d'en connaître la valeur et l'expertise, notamment dans l'accompagnement des personnes les plus fragiles, en particulier ceux atteints de troubles psychiatriques.
C'était aussi mon devoir à l'égard des familles qui ont choisi de nous confier leurs aînés, dans cette mission si difficile, mais essentielle de l'accompagnement en fin de vie des personnes fragiles et dépendantes. Selon le rapport Jeandel-Guérin, 80 % des résidents d'Ehpad souffrent de troubles de la cohérence, associés à des comorbidités qui aggravent leur état, sans qu'ils puissent toujours le réaliser en raison d'une fréquente anosognosie.
Il était aussi de mon devoir de protéger et de défendre l'honneur et la fierté de nos 70 000 collaborateurs, qui ont choisi de réaliser au quotidien ce métier exigeant en rejoignant les rangs d'Orpea dans l'un des 1 000 établissements que nous opérons à travers 23 pays.
Depuis plusieurs semaines, nous sommes pris dans la tourmente. Fin janvier paraissait Les Fossoyeurs, un livre à charge rédigé à la suite d'une enquête de trois ans, dont je n'ai appris l'existence que le 23 janvier dernier. Le 1er février, cinq jours après que le conseil d'administration d'Orpéa eut lui-même mandaté deux cabinets d'audit internationaux pour faire toute la lumière sur les allégations contenues dans cet ouvrage, le Gouvernement annonçait le lancement d'une double enquête confiée à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l'Inspection générale des finances (IGF), avant même que nous n'ayons pu faire valoir notre droit au contradictoire sur le rapport provisoire. Nous en découvrions la semaine dernière les conclusions dans la presse et recevions le rapport définitif le 27 mars en fin de soirée.
En parallèle, les contrôles se sont intensifiés sur nos établissements, qui ont fait l'objet de plus de 150 visites d'inspection depuis la fin du mois de janvier, soit sept fois plus en deux mois qu'en une année normale. Mais cela n'est pas choquant en soi dans le contexte émotionnel et politique que nous connaissons.
Le 28 mars, sur la base du rapport de la mission des deux inspections, le Gouvernement a publié un communiqué annonçant notamment le signalement de certains faits au procureur de la République, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale. Nous contestons la matérialité de ces éléments. Il résulte de cette circonstance que certains faits que nous sommes appelés à examiner aujourd'hui seront très certainement également analysés par le parquet, et peut-être par un juge d'instruction. Je n'ai pas d'inquiétudes à ce sujet. Au contraire, je crois à l'examen approfondi des faits par des experts et aux vertus du contradictoire, mais cette circonstance m'amènera à m'exprimer avec prudence sur certains sujets, par exemple la question de l'usage des dotations publiques, un sujet très technique qui dépasse très largement le cas d'Orpea. Elle donne manifestement lieu à des interprétations variables, notamment de la doctrine comptable.
J'ai pleine conscience de l'importance cardinale de votre mission et de la nécessité d'offrir une totale transparence devant la représentation nationale, mais je ne veux pas me livrer à des appréciations qui pourraient dépasser mes compétences et mettre en danger le groupe que je représente.
Après cette exposition factuelle du déroulé des événements tels que nous les avons vécus, vous saisirez sans doute l'ampleur du choc qui nous a affectés, même si je mesure parfaitement en parallèle l'émotion que ces informations ont suscitée parmi les familles de nos résidents, dans le grand public et auprès des élus et des pouvoirs publics.
Les faits qui nous sont reprochés sont graves, et j'ai conscience de l'exigence de réponses et d'actions que l'on attend de ma part et de celle de Jean-Christophe Romersi, notre directeur général pour la France, présent à mes côtés ce matin. Je mesure également la gravité, la souffrance, l'émotion et la colère ressenties par les collaborateurs d'Orpea, mais aussi la stigmatisation et l'opprobre qu'ils subissent à tout instant depuis des semaines alors qu'ils doivent prendre soin des aînés que nous leur confions.
Je ne vous dirai pas que le groupe Orpea n'a rien à se reprocher, je ne vous dirai pas que nous ne sommes coupables de rien. La mission conjointe de l'IGF et de l'IGAS nous fait des reproches graves et précis. Nous avons répondu point par point à ces questionnements légitimes, nous avons reconnu des dysfonctionnements, pour certains inacceptables, même si le rapport définitif permet de conclure qu'il n'y a pas de système organisé qui aboutirait à une maltraitance généralisée et dément clairement les allégations les plus choquantes du livre.
Nous regrettons profondément ces dysfonctionnements et nous tenons à présenter nos sincères excuses aux résidents et à leurs familles. Mais il y a aussi dans ces attaques et ces reproches beaucoup de choses inexactes et injustes, et c'est aussi notre devoir de le dire, de le démontrer, comme nous l'avons fait dans les réponses au rapport de la mission conduite par les deux inspections. Les semaines et les mois qui viennent seront, je l'espère, l'occasion pour notre groupe de nous expliquer, de nous défendre, mais aussi de nous amender et de prendre des décisions pour repartir de l'avant.
Ma tâche et ma responsabilité sont de sortir le groupe Orpea de la tourmente dans laquelle il est plongé aujourd'hui. Toutes les irrégularités qui nous ont été reprochées, dont certaines sont avérées, trouveront des réponses et des solutions : changement de comportement, changement parfois de lignes directrices... Et, bien entendu, nous nous conformerons à toute injonction administrative et judiciaire.
Nous ne limiterons pas nos efforts à réagir ou à nous défendre. Dès aujourd'hui, j'annoncerai une série de mesures précises et concrètes pour rétablir un fonctionnement efficace et fiable d'Orpea vis-à-vis de toutes les parties prenantes, et ainsi redonner confiance à nos résidents, à leurs familles, à nos salariés, aux pouvoirs publics et à nos actionnaires. Ces mesures sont la première amorce d'un plan plus vaste de transformation du groupe que nous allons annoncer en mai prochain à la lumière des résultats de nos audits externes. Le sujet du vieillissement de la population, de la dépendance et de la perte d'autonomie sont des sujets de débat et d'intérêts nationaux. Vous le savez mieux que quiconque, puisque sur les territoires dont vous vous êtes les élus, vous êtes en contact régulier avec des maisons de retraite et des établissements de santé. Vous y consacrez beaucoup de temps et d'efforts, et vous savez que le sujet dépasse le cas d'Orpea, qui ne peut être le bouc émissaire de toutes les difficultés du secteur.
Je remarque d'ailleurs que le Gouvernement engage un mouvement visant à renforcer les contrôles, la transparence et la qualité pour l'ensemble des Ehpad privés et publics. Nous sommes face à un enjeu de société majeur. Vous êtes suffisamment expérimentés et avisés pour savoir que les sanctions éventuelles contre Orpea ou les mesures de correction que nous prendrons ne régleront pas tous les problèmes associés aujourd'hui à l'accompagnement de la fin de vie de nos aînés. Soyez assurés en revanche que nous contribuerons pleinement à élaborer les solutions de demain.