Intervention de Clément Beaune

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 mars 2022 à 8h30
Institutions européennes – débat préalable au conseil européen des 24 et 25 mars 2022 – Audition de M. Clément Beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes

Clément Beaune , secrétaire d’État :

– Nous avons identifié les pays qui rencontrent les difficultés les plus criantes, comme l’Égypte. Il s’agit de pays qui sont très dépendants des importations russo-ukrainiennes et qui ont en outre des difficultés propres. Ainsi, le Maroc est victime d’une très forte sécheresse. Il sera sans doute nécessaire d’organiser une aide économique ou alimentaire.

L’Union européenne, elle, n’a pas de difficulté à ce stade en matière d’indépendance alimentaire. Toutefois, la crise que nous connaissons nous incite à faire preuve d’anticipation afin de ne pas laisser s’installer plus encore des dépendances.

Il va falloir faire la cartographie des pays à aider de façon urgente dans notre voisinage immédiat et ajuster notre propre stratégie afin que notre indépendance alimentaire ne soit pas réduite dans les années qui viennent.

Le Président de la République avait demandé il y a trois ans un plan protéines européen. Nous remettons aujourd’hui l’ouvrage sur le métier. Par ailleurs, la question des engrais est très importante. Les prix augmentent, et même si nous n’avons pas encore de difficultés d’approvisionnement et si je n’en anticipe pas à court terme, il nous faut réfléchir à cette question, importante pour notre indépendance.

M. Cyril Pellevat. – Malgré les circonstances tragiques qui ont conduit à son adoption, la déclaration de Versailles marque une nouvelle étape dans la politique de défense européenne, après la petite révolution que fut la création du Fonds européen de la défense (FEDef). Je m’interroge toutefois sur les avancées réelles qu’elle permettra. La Commission devra fournir, d’ici à la fin mai, une analyse des déficits d’investissements dans la défense, et proposer des initiatives supplémentaires pour renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne.

Est-ce une priorité ? Nous disposons déjà de nombreuses études, et l’échéance de la mi-mai paraît bien lointaine en période de guerre. Ne devrions-nous pas tabler davantage sur les capacités d’action de l’Union ? Sans négliger l’investissement de long terme, encore faut-il, pour prétendre à l’Union de la défense et de la sécurité, être capables de protéger l’Europe et de parer une éventuelle offensive en disposant d’une palette de mesures à mettre en place dans les trois à six mois.

Quel est votre sentiment à ce sujet ? Les récentes orientations du Conseil européen à Versailles, et celles à venir lors de la réunion des 24 et 25 mars, permettront-elles d’augmenter les capacités de défense de l’Union européenne, avec des moyens d’action rapide ? Le long terme et l’investissement ne doivent pas être oubliés mais déjà faut-il être en capacité de protéger l’Union européenne et de se doter des moyens nécessaires pour parer à une éventuelle offensive russe.

M. Jean-Yves Leconte. – La transposition par la France de la directive de protection temporaire ne prévoit pas un droit effectif au travail. Allez-vous y remédier ?

Le droit à la protection s’adresse aux Ukrainiens et aux résidents en Ukraine. Or la procédure prévue pour les résidents non ukrainiens est discriminatoire. Allez-vous la corriger ?

Que proposez-vous aux Ukrainiens qui étaient déjà présents dans l’Union européenne avec un visa de court séjour ?

Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, certes, mais nos valeurs, celles de l’Union européenne, sont directement attaquées, le droit international est cyniquement bafoué. L’Ukraine se bat pour les défendre, pour défendre le droit à la liberté et à l’indépendance. Ce combat est essentiel à l’avenir de l’Union.

C’est pourquoi nous devons répondre à la demande de perspective européenne, au-delà de ce qui a été fait lors du sommet de Versailles. Le statut de candidat est un acte symbolique fort. Ne peut-on aller plus loin ? Au-delà de la protection temporaire, ne peut-on octroyer d’ores et déjà aux Ukrainiens les droits que confère la citoyenneté européenne en matière de liberté de circulation dans l’Union et de droit au travail ? Cette option est-elle sur la table ?

Mme Amel Gacquerre. – La déclaration commune des Vingt-Sept lors du sommet de Versailles identifie cinq secteurs stratégiques dans lesquels il nous faut réduire notre dépendance. L’alimentation en fait bien entendu partie. La guerre en Ukraine a déjà entraîné une hausse des prix du blé et du tournesol à des niveaux inédits. Les cours des produits agricoles sont aussi portés par la flambée des coûts des engrais et des carburants.

Est-il prévu d’activer des mécanismes d’urgence pour limiter ces augmentations ? Vous avez évoqué des perspectives pour les prochains jours : pouvez-vous nous en dire plus ?

M. André Gattolin. – Je suis choqué que Vladimir Poutine ait été élevé au rang de grand-croix de la Légion d’honneur, décoration remise en catimini par le président Chirac en 2006. De nombreuses pétitions, ainsi que plusieurs députés Les Républicains, demandent qu’il soit exclu de l’Ordre.

Très peu d’États membres de l’Union lui ont accordé ce type de distinction. Un autre pays, en revanche, les a multipliées : la République de Serbie.

On sait que les liens profonds de la Serbie avec la Russie posent problème. Selon un récent sondage, une majorité de Serbes serait favorable à une union avec la Russie plutôt qu’avec l’Union européenne – et nous avons été atterrés par les propos des ambassadeurs serbes auprès de l’UE que nous avons auditionnés.

La République de Serbie a pourtant le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne ! N’est-il pas temps de tenir compte du réveil du géopolitique dans les conditions d’adhésion ? Faute de quoi la Serbie risque d’être pour l’Union une nouvelle Hongrie… Il faut renforcer la conditionnalité.

– Monsieur Pellevat, sur le FEDef et les moyens dégagés, les choses ont beaucoup accéléré à la suite de l’attaque russe. Dès le dimanche, le chancelier Scholz a annoncé au Bundestag des mesures aussi symboliques que concrètes : l’engagement de consacrer 2 % du PIB à la défense, qui était jusque-là un tabou pour une bonne partie de la coalition gouvernementale, un fonds de 100 milliards d’euros pour la modernisation de la Bundeswehr, et la livraison d’armes de défense à l’Ukraine, dans le cadre de l’effort européen coordonné.

Les débats dans les différents États européens dépendent de la situation géographique et politique, mais se sont accélérés partout. Pour la Finlande et la Suède, la question est celle de l’adhésion à l’OTAN. La première ministre suédoise s’est déclarée contre l’adhésion à titre personnel, mais a appelé à renforcer la politique de sécurité de l’Union européenne et estimé que les clauses d’assistance mutuelle étaient aussi une forme de protection – ce qui, dans la bouche d’un premier ministre de Suède, n’est pas anecdotique. La première ministre du Danemark va soumettre à référendum le 1er juin la suppression de l’opt out en matière de politique de sécurité et de défense. Les choses bougent très vite.

J’ignore s’il y aura un réinvestissement dans le FEDef ou les mécanismes européens dès le sommet de Versailles, mais, même si le diagnostic est en partie connu, cet exercice de cartographie est une accroche pour coordonner et renforcer l’effort financier de défense au niveau européen. Le 24 et le 25 mars, le Conseil adoptera la boussole stratégique, avec des mesures concrètes comme la création d’une force de réaction rapide européenne. Il faut pousser les feux pour que les investissements annoncés en matière de défense soient coordonnés au niveau européen et viennent abonder le FEDef dans les prochaines semaines. C’est ce que défendra la présidence française.

Monsieur Leconte, l’article 12 de la directive de protection temporaire autorise bien les personnes protégées à exercer une activité salariée ou non salariée. Nous le traduisons dans notre code du travail, et l’avons précisé dans l’instruction adressée aux préfets par le ministre de l’intérieur. À court terme, l’urgence est avant tout l’accompagnement social et le logement, temporaire ou durable. Beaucoup de réfugiés ont manifesté le désir de travailler, beaucoup sont qualifiés. Le principe est acté.

M. Jean-Yves Leconte. – Il n’est pas correctement transposé.

– Nous apporterons si nécessaire des précisions réglementaires à l’article R. 5221-2 du code du travail. L’instruction aux préfets souligne que la protection temporaire inclut le droit au travail.

Le bénéfice de la protection temporaire ne repose pas sur un critère de nationalité stricto sensu, mais sur un critère de résidence permanente en Ukraine. Des marges de manœuvre sont laissées aux États. Nous apporterons des précisions opérationnelles en fonction des cas.

M. Jean-Yves Leconte. – Actuellement, le dispositif d’enregistrement des protections temporaires varie selon que la personne possède ou non la nationalité ukrainienne.

– Pas dans l’accueil, mais dans l’accès au travail.

M. Jean-Yves Leconte. – Dans l’enregistrement de la demande de protection temporaire : les non-Ukrainiens sont orientés vers la préfecture.

– Pour l’instant, il y a assez peu de non-Ukrainiens, mais ce point sera abordé dans la cellule de coordination interministérielle. Nous avons déjà simplifié les démarches dans nos ambassades et consulats. Nous sommes prêts à regarder le cas des non-Ukrainiens.

S’agissant des Ukrainiens qui étaient déjà dans l’Union européenne, la coordination européenne n’est pas encore aboutie. Le ministre de l’intérieur a annoncé une nouvelle réunion la semaine prochaine qui abordera le sujet. Je pense tout particulièrement aux étudiants ukrainiens – mais aussi aux étudiants russes, qui ne sont pas tous des soutiens de Vladimir Poutine, loin de là !

M. André Gattolin. – Absolument ! Ils manifestaient contre la guerre hier encore.

M. Jean-Yves Leconte. – Certains demandent l’asile.

– À court terme, Frédérique Vidal s’attache à recenser ces étudiants et à leur permettre de finir leur année universitaire en France. Ils rencontrent des difficultés de subsistance – leur carte de crédit ne passe plus – d’où la nécessité d’une aide sociale via les Crous. Il y a aussi un sujet académique et d’organisation de l’accueil pour la rentrée prochaine. Beaucoup de pays européens y réfléchissent actuellement, la question n’est pas encore tranchée.

« Perspective européenne », « aspiration » à intégrer l’Union – laissons là le débat sémantique. Entre le Conseil européen du 24 février et celui de la semaine dernière, une étape juridique a été franchie : la transmission par la présidence française à la Commission de l’acte de candidature de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie.

Faut-il accorder une forme de pré-intégration aux Ukrainiens ? En pratique, la liberté de circulation est assurée par le bénéfice de la protection temporaire, reconductible jusqu’à trois ans. Une association renforcée de l’Ukraine est possible, mais je crois que l’on est arrivé au bout des possibilités offertes par les différentes formes de partenariat autres que l’adhésion – c’est d’ailleurs le sens de la demande du président Zelensky.

Nous avons signé l’accord d’association – non sans susciter l’hostilité, à l’époque, de la Russie, mais aussi des Pays-Bas – forme d’association la plus étroite avec un pays tiers, qui permet un financement important et la participation à plusieurs politiques européennes. Aujourd’hui, l’Ukraine nous demande si, oui ou non, elle pourra, le moment venu, intégrer l’Union. La réponse est oui. Tous les États membres sont ouverts, mais même les plus allants, comme les pays Baltes, mettent en garde contre une procédure au rabais qui menacerait l’Union européenne sans pour autant aider l’Ukraine. Nous cherchons un équilibre. Certes, les symboles comptent, mais ce que nous devons à l’Ukraine à court terme, c’est l’aide humanitaire et militaire.

La question de la perspective européenne, à l’évidence, sera posée. Il faudra dès lors repenser le format d’une Union qui intégrerait, à terme, l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie et les Balkans occidentaux. Soyons honnêtes : l’Union européenne fonctionne déjà difficilement à 27 ; avec 60 ou 80 millions d’habitants supplémentaires, ce sera impraticable. Quoi qu’il arrive, ce ne pourra donc être la même Union européenne, le même projet européen, les mêmes institutions, les mêmes modalités de fonctionnement qu’aujourd’hui. À cet égard, nous avons un vaste chantier à ouvrir.

Madame Gacquerre, une réserve d’urgence est d’ores et déjà activable en matière agricole. Le commissaire européen s’est montré ouvert à cette demande de la présidence française, portée par le ministre Denormandie. Les ministres de l’agriculture se réunissent de nouveau dans les jours qui viennent ; le menu d’options n’est pas encore acté, mais nous pouvons mobiliser des aides comme des mesures de marché ou des aides au stockage. Ce sera le plus utile, à court terme. Une décision sera prise dans les prochains jours en fonction des impacts sur les prix et les approvisionnements. La filière élevage est particulièrement concernée, car la hausse du coût des intrants se conjugue avec les difficultés à l’export. Outre le plan de résilience présenté mercredi dernier par le Gouvernement, les réserves européennes pourront être mobilisées dans les prochaines semaines à hauteur de 500 millions d’euros au moins : la Commission et la présidence ont été très claires.

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