Intervention de Gattolin a évoqué le sujet sensible des décorations

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 mars 2022 à 8h30
Institutions européennes – débat préalable au conseil européen des 24 et 25 mars 2022 – Audition de M. Clément Beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes

Gattolin a évoqué le sujet sensible des décorations :

– Plusieurs pays européens sont concernés, et se sont dits disposés à revoir les choses… Les règles des ordres prévoient d’ailleurs que des personnes faisant l’objet de sanctions puissent se voir retirer le bénéfice d’une décoration : c’est arrivé à de nombreuses reprises, lors du conflit syrien par exemple. Je ne peux faire d’annonce à ce stade, mais c’est un sujet que nous examinons, en coordination avec nos partenaires.

Sur le sujet serbe, le président de la République s’est entretenu avec le président Vučić. Le constat était déjà patent avant la guerre : nous n’avons pas une approche géopolitique de la négociation. Nous investissons considérablement en Serbie et dans les Balkans occidentaux : l’Union européenne est le premier investisseur, le premier bailleur, et a été le premier fournisseur d’aide médicale pendant la crise sanitaire. Or ces pays, et en particulier la Serbie, renforcent en parallèle leurs liens avec des investisseurs russes, chinois ou turcs – avec notre argent ! Nous avons été beaucoup trop naïfs. Ainsi le Monténégro a-t-il accordé à la Chine un contrat léonin pour la construction d’une autoroute, avant de se tourner vers l’Union européenne pour financer l’infrastructure, la bise étant venue… Des États membres font même appel à des entreprises chinoises – payées sur les fonds européens ! D’où l’introduction d’un critère de conditionnalité pour tout élargissement, que la Commission devra appliquer strictement. Pour la première fois, nous disons que l’octroi de fonds européens signifie droit de regard sur la nationalité des entreprises soumissionnaires aux marchés publics pour les grandes infrastructures. C’est la moindre des choses. Il est absurde que les règles européennes ne permettent pas d’exclure des pays tiers. Un accord sur la réciprocité dans l’ouverture des marchés publics a été bloqué pendant dix ans ! Imposer cette condition aux pays candidats à l’adhésion relève du bon sens, mais songez que ce n’était pas le cas chez nos partenaires du nord-est de l’Europe… Je me réjouis qu’un accord ait été trouvé.

Nous avons signifié à la Serbie qu’il lui fallait endosser ses responsabilités de pays qui aspire à rejoindre l’Union européenne. J’ai ainsi pesé auprès de mon homologue serbe pour que la Serbie vote la résolution des Nations unies condamnant la Russie, ce qu’elle a fait. Je le prends comme un geste d’évolution, mais il faudra donner d’autres signaux dans les semaines qui viennent.

M. Pierre Laurent. – Ma première question porte sur la défense. Tout le monde semble se réjouir des annonces au sujet du déblocage de la relance de toute une série de programmes d’armement – je ne parle pas des livraisons d’armes – dans différents pays européens. C’est à l’évidence une bonne nouvelle pour l’OTAN, mais en est-il de même pour l’autonomie stratégique européenne en matière de défense ? Vous avez tenu tout à l’heure des propos rassurants sur le SCAF. L’avenir nous dira ce qu’il en est.

Plus globalement, les lieux de décision en matière de défense européenne ne sont-ils pas en train de se déplacer vers ceux de l’OTAN, comme le sommet de Madrid, au détriment d’une discussion stratégique européenne ? Ce risque pourrait concerner l’adhésion de nouveaux pays européens à l’OTAN.

Ma deuxième question a été abordée par le président Rapin : de grands enjeux concernant les financements de l’Union européenne existaient déjà, qu’il s’agisse des plans de souveraineté ou du plan Climat dont le Sénat a beaucoup discuté. Les décisions en matière de défense et d’énergie auront des conséquences pour les besoins de financement. Une partie importante de la discussion ayant été reportée, nous attendons un nouveau calendrier pour examiner les engagements de ressources pérennes pour l’Union européenne. Ceux-ci sont inévitables en raison de la dégradation de la situation économique, notamment énergétique, qui résultera de la guerre.

M. Jacques Fernique. – Ce Conseil européen ne peut pas être un moment de procrastination ou d’indécision. Face à la guerre russe, nous avons besoin d’une puissance publique européenne activant toute sa force de pilotage. D’ailleurs, l’Union a immédiatement réagi et a su s’affirmer : sanctions, aides à l’Ukraine, accueil des réfugiés.

Cet état d’esprit commun est à confirmer par notre capacité à remettre en cause des tendances lourdes, anciennes et contre-productives. La dépendance aux hydrocarbures russes apparaît au grand jour comme insupportable. En effet, chaque jour, environ 700 millions de dollars alimentent ainsi la force russe. Et nous sommes frappés par une hausse des prix sans précédent.

La dépendance alimentaire est également patente, du fait des importations d’engrais, de pesticides de synthèse, d’aliments pour l’élevage et de la consommation d’énergie très importante pour notre agriculture.

Le soutien à la résistance ukrainienne impose de mettre un terme aux complaisances, au cynisme irresponsable qui a présidé à l’application si particulière, notamment par la France, de l’embargo européen sur les ventes d’armes à la Russie depuis 2014. Je pense aussi à l’obstination actuelle de Total à maintenir sa coopération avec le régime de Poutine.

Ce Conseil européen est donc tenu d’avancer résolument vers un plan de sortie des énergies fossiles, une autonomie alimentaire, une politique de défense européenne enfin effective, vers l’accueil et la protection sans tri inhumain de celles et de ceux qui fuient la guerre. Monsieur le secrétaire d’État, ce rendez-vous permettra-t-il de faire des pas déterminants en ce sens ?

M. André Reichardt. – Du fait de la crise ukrainienne, les différentes mesures proposées dans le nouveau Pacte sur la migration et l’asile connaîtront sans aucun doute une acuité particulière. Où en est leur adoption par les Vingt-Sept ?

Ma seconde interrogation porte sur la guerre de l’information. Depuis le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, un mouvement d’opposition à la guerre tente tant bien que mal de s’organiser en Russie. En réaction, la propagande d’État, qui s’emploie à dépeindre une réalité alternative ahurissante, s’appuie sur un contrôle toujours plus étroit des médias et des réseaux sociaux. Surtout, la répression s’est déjà traduite par des milliers d’arrestations arbitraires. Depuis plusieurs années, les États membres de l’Union européenne sont confrontés aux pratiques russes de déstabilisation et de désinformation.

Les médias d’État Russia Today (RT) et Sputnik ont récemment perdu le droit de cité en Europe. Mais, à l’instar de certains quotidiens danois, finlandais et suédois, qui traduisent désormais en russe leurs articles sur la guerre pour contrer le récit officiel du Kremlin, la situation actuelle ne nous invite-t-elle pas à penser la guerre de l’information autrement – en termes non plus seulement défensifs, mais aussi offensifs ? L’Union européenne explore-t-elle la possibilité d’une initiative nouvelle pour diffuser une vraie information en Russie et apporter un soutien au mouvement d’opposition à la guerre dans ce pays ?

M. Yan Chantrel. – À l’heure actuelle, trois millions de ressortissants ukrainiens, dont la moitié sont des enfants, ont effectivement dû quitter leur pays, leur maison, leur vie, pour s’abriter des bombardements russes. L’Europe doit être à la hauteur et accueillir ces réfugiés ukrainiens – vous l’avez dit très clairement, monsieur le secrétaire d’État.

Notre pays, qui préside actuellement le Conseil de l’Union européenne, doit montrer l’exemple en prenant pleinement sa part dans cet effort de solidarité. Or celui-ci repose beaucoup trop sur les pays limitrophes de l’Ukraine. À ce jour, la France a accueilli environ 15 000 réfugiés, quand l’Allemagne en a accueilli plus de 150 000, soit dix fois plus. L’accueil de la France est donc insuffisant au vu de l’élan de solidarité de nos compatriotes depuis plusieurs semaines. Notre pays doit démultiplier ses efforts – c’est possible, puisque nos voisins l’ont fait – pour héberger, soigner et accompagner les réfugiés venus d’Ukraine.

Je souhaitais surtout attirer votre attention sur la situation des populations minoritaires. Plusieurs associations nous alertent chaque jour sur les discriminations dont sont victimes certains des réfugiés en raison de leur couleur de peau, leur sexualité ou leur identité de genre. Je pense en particulier aux étudiants africains et indiens à la frontière ukrainienne.

Comme le rappelle le dernier rapport du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la vulnérabilité des populations minoritaires et la probabilité qu’elles soient exposées à des abus augmentent lors des conflits armés.

De plus, certains pays limitrophes de l’Ukraine, tels que la Pologne et la Hongrie, ont laissé s’installer ces dernières années des pratiques hostiles aux personnes appartenant à la communauté homosexuelle, bisexuelle, transgenre, transsexuelle ou queer (LGBTQ).

La France doit, une fois de plus, être à l’avant-garde et offrir un accompagnement spécifique et un accueil inconditionnel à tous les réfugiés susceptibles d’être discriminés. Ces personnes devraient faire l’objet d’un transfert simplifié et prioritaire vers notre pays.

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