Je commencerai par vous livrer des pistes de réflexion sur le système actuel, qui s'inspirent du rapport du Hcaam tout en dépassant le cadre des différents scénarios envisagés, sur lesquels nous pourrons revenir dans un deuxième temps.
Le marché des complémentaires de santé est de plus en plus régulé et encadré depuis une vingtaine d'années. Il l'est pour les plus modestes de nos concitoyens, depuis la création de la couverture maladie universelle (CMU), de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), de l'aide à la complémentaire santé (ACS) et de la complémentaire santé solidaire (C2S). Il l'est aussi pour les contrats collectifs, depuis l'accord national interprofessionnel (ANI) de 2013, et plus récemment l'accord sur la protection sociale complémentaire des fonctionnaires. Il l'est enfin pour tous, depuis la création du contrat responsable, en 2005, qui définit ce qui doit être remboursé ou pas. Ce contrat responsable n'est pas obligatoire, mais il est devenu largement majoritaire, car il bénéficie d'avantages fiscaux. Son périmètre a été étendu grâce au 100 % Santé.
Un marché aussi encadré et régulé devrait répondre à tous les objectifs qu'on lui assigne. Pourtant, des imperfections demeurent, comme l'indique le rapport du Hcaam. Tout d'abord, la couverture complémentaire présente des « trous dans la raquette » puisque 4 % de la population reste non couverte, dont de nombreux ménages précaires. La politique publique n'a donc pas atteint son objectif de généralisation.
Par ailleurs, la couverture reste inégalitaire. Elle est différenciée, dans la mesure où tous les publics n'ont pas accès au même niveau de couverture, ce qui peut se concevoir. Il faut néanmoins vérifier que cette différenciation répond véritablement aux besoins des assurés et des patients. Le 100 % Santé a permis de résoudre une partie des inégalités, en assurant un panier de qualité sur les trois postes à l'ensemble des personnes couvertes par un contrat responsable. Toutefois, des questionnements demeurent sur la partie qui échappe au 100 % Santé ainsi que sur les dépassements d'honoraires.
Une autre limite du système concerne les coûts de gestion. Les chiffres qui figurent dans le rapport du Hcaam, issus d'analyses comparatives menées à l'international, montrent que, en France, les coûts de gestion sont deux fois plus élevés que dans les autres pays européens, ce qui suscite des questionnements.
Une réflexion s'impose aussi sur la valeur ajoutée des complémentaires dans notre système. Dès lors que le système coûte plus cher à cause des frais de gestion, les Français en ont-ils pour leur argent ? Le service offert par la complémentaire justifie-t-il son coût ? La question est difficile ; je la pose régulièrement aux représentants de complémentaires. C'est un axe de développement stratégique pour chacune d'entre elles.
Enfin, le choix de la mutualisation ou de la démutualisation des complémentaires reste une question essentielle. Pour bien fonctionner, une assurance doit, le cas échéant, segmenter le risque et néanmoins le mutualiser. Autrement dit, les bons risques doivent en partie financer les mauvais risques, pour éviter que les coûts de ces derniers ne soient trop élevés. L'exemple typique est celui du modèle américain, dans lequel l'assurance santé relève du secteur privé, sauf pour les personnes âgées pour lesquelles elle est mutualisée et publique, car sinon elle coûterait trop cher.
En France, la question du choix entre la mutualisation et la démutualisation des complémentaires se pose de plus en plus : le système est-il viable à long terme alors même que la conclusion de l'ANI en 2013 a instauré la démutualisation entre les actifs et les retraités, et que le processus se poursuivra dans les prochaines années avec les organismes complémentaires de la fonction publique ?
Historiquement, une forme de mutualisation existait au sein des complémentaires, dans la mesure où les actifs payaient en partie pour les retraités, mais le dispositif s'est effiloché. Les travaux de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) ont montré que dans les années 2010 la mutualisation demeurait encore, notamment dans les mutuelles de fonctionnaires. Cependant, plus le marché est concurrentiel chez les actifs, plus les complémentaires de santé sont obligées de tarifer les contrats collectifs des actifs au prix des actifs et sans mutualiser avec les retraités. Par conséquent, le coût des complémentaires pour les retraités augmente inévitablement.
Cette tendance, engagée depuis plusieurs années, est appelée à se poursuivre, notamment dans la fonction publique, même si les accords tendent à préserver une part de mutualisation au sein des contrats. Toutefois, la population vieillit, la pyramide des âges se déforme et la population âgée de plus de 75 ans ou 80 ans augmente, ce qui pose la question de la soutenabilité du coût de la complémentaire pour les retraités.
Face à ces constats, le Hcaam propose le scénario de la « grande sécu », sur lequel je pourrai revenir ultérieurement. Dans le cadre du système actuel, le Hcaam rappelle qu'il faut revoir la couverture des personnes modestes, telle qu'elle est définie par l'ANI. Les contrats à durée déterminée (CDD) et les temps partiels restent notamment souvent en dehors des accords collectifs. La couverture des indépendants à faibles revenus et des microentrepreneurs peut être améliorée. Enfin, si la réforme de la C2S a atteint ses objectifs, elle pourrait le faire encore mieux, avec un taux de recours plus élevé. Des mesures pour améliorer son automaticité ont été proposées dans les derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). La mécanique opérationnelle et les barèmes pourraient être davantage travaillés pour rendre la C2S plus généreuse.
Quant aux coûts de gestion, on tente de les réduire depuis de nombreuses années sans trouver de solution. Il me semble qu'en mettant la pression sur un système, on parvient à obtenir des gains en matière de gestion - c'est du moins le cas pour la sécurité sociale. Or ce mode de fonctionnement n'existe pas dans le secteur privé. Ce secteur devrait donc s'organiser pour instaurer une forme de pression sur ses membres.
Le rapport annuel de la Drees sur la situation financière des organismes complémentaires assurant une couverture en santé, réalisé à partir des données transmises à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), contient une analyse transversale de la situation des organismes complémentaires, qui porte notamment sur les frais de gestion. Parmi eux figurent les frais d'acquisition qui recouvrent les dépenses réalisées par les complémentaires pour attirer des prospects et des nouveaux clients. Or ces frais sont en augmentation, comme il est indiqué à la page 43 du rapport : pour les sociétés d'assurance, le coût des frais d'acquisition par assuré dans un contrat individuel est de 119 euros par an. Sans doute faudrait-il y réfléchir.
Au-delà des engagements que pourrait prendre la profession, la piste de la comparabilité et de la lisibilité des contrats devrait être explorée. En effet, il est très difficile pour les assurés de faire jouer la concurrence, car la comparaison entre les contrats reste compliquée. Les complémentaires expliquent que la réglementation est compliquée, de même que la manière d'exprimer une base de remboursement, ce en quoi elles n'ont pas tort. Toutefois, nous avons engagé depuis deux ans un travail dans le cadre du 100 % Santé pour améliorer la lisibilité des contrats et de leurs documents de présentation. Nous devons poursuivre dans cette voie.
Enfin, la question la plus sensible porte sur la démutualisation et sur le coût de la complémentaire de santé pour les retraités. Plusieurs pistes techniques existent que le Hcaam mentionne dans son rapport. Doit-on considérer que le taux d'effort des retraités pour leur complémentaire est soutenable à moyen terme ou bien faut-il le réduire et comment faire ?
Une première piste serait de cibler les aides sur les retraités modestes, en améliorant la complémentaire santé solidaire. En effet, le plafond d'éligibilité à la C2S est fixé à 1 000 euros, de sorte qu'un retraité qui perçoit un revenu de 1 100 euros ou 1 200 euros ne reçoit pas d'aide pour financer sa complémentaire. Or pour une personne de plus de 80 ans, le coût est supérieur à 100 euros par mois. Le taux d'effort est donc très important, sachant qu'il faut y ajouter le reste à charge.
Une deuxième piste consisterait à diminuer le coût de la complémentaire pour tous les retraités, la question étant de savoir comment compenser cette baisse.
Soit il faut renforcer la mutualisation en considérant que c'est aux actifs de payer davantage pour les retraités. On pourrait ainsi créer des fonds de péréquation en santé sur le modèle de ce qui se fait aux Pays-Bas ou en Suisse. Chaque complémentaire abonderait ce fonds en fonction du profil de ses assurés et recevrait des subventions selon le même critère, de sorte que le financement viendrait essentiellement des complémentaires qui ne gèrent que des actifs. Cela conduirait à renchérir le coût de la complémentaire pour les actifs.
Soit il faut que la puissance publique mette en place, au-delà de la C2S, des aides supplémentaires pour tous les retraités. Se posent alors des questions juridiques, notamment en matière de rupture d'égalité. L'alternative est donc la suivante : pour rendre le coût de la complémentaire soutenable, faut-il considérer que la cible se restreint aux retraités les plus modestes ou bien faut-il recréer de la mutualisation au bénéfice de tous les retraités ?
Enfin, sur les services d'accompagnement et les actions de prévention que les complémentaires peuvent mettre en oeuvre, elles ont besoin pour le faire d'avoir un meilleur accès aux données de leurs assurés, ce qui reste un sujet sensible. L'accès à des données anonymes pourrait être une solution, mais les complémentaires souhaitent surtout travailler sur des données actualisées nominatives pour déterminer les actions de prévention à mettre en place pour chacun de leurs clients. La question relève en priorité de l'assurance maladie. Nous pourrons voir dans le cadre de sa prochaine convention d'objectifs et de gestion ce qu'elle peut faire pour améliorer le service et l'accompagnement des assurés.