– Les mesures que nous prenons sont certes nouvelles, mais beaucoup les appelaient de leurs vœux, au Parlement comme dans la vie politique. Le décret d’avance est parfaitement respectueux de la LOLF, nous avons échangé avec le Conseil d’État pour nous en assurer. La possibilité de reporter des crédits comme nous l’avons fait est bien prévue par l’article 13 de la LOLF ; ces reports ont été déplafonnés par l’article 65 de la loi de finances pour 2022. Ces crédits se sont avérés superflus au vu de l’amélioration de la situation économique ; ils sont donc disponibles aujourd’hui.
Nous avons choisi de solliciter presque tous les ministères pour les annulations de crédits transversales, à l’exception de programmes connaissant des tensions ou des décaissements tels qu’il serait inopportun de les soumettre à ces mesures de trésorerie, même temporairement. Plusieurs programmes ont été ainsi exemptés, parmi lesquels l’aide au développement, mais aussi l’accompagnement des mutations économiques et le développement de l’emploi, ou encore les concours financiers aux collectivités territoriales et l’égalité entre les femmes et les hommes… Nous veillons à ce qu’aucun ministère ne soit empêché de mener à bien ses missions, en particulier le ministère des armées, dont moins de 25 % des crédits placés en réserve ont été annulés ; aucun engagement n’est donc remis en cause.
Quant à la future loi de finances rectificative, je ne saurais évidemment engager le gouvernement qui succédera à celui-ci, même si je suis convaincu qu’il sera attaché à protéger les Français des effets de la crise de l’énergie et de la guerre en Ukraine, ainsi qu’à reconstituer tous les crédits nécessaires pour l’accomplissement du travail des ministères.
Quant au calendrier, nous avons fait en sorte dans ce décret de fournir les financements nécessaires jusqu’à la fin de juillet, afin de ne pas avoir à solliciter le Parlement pendant la période de suspension de ses travaux. L’actualité nous impose toutefois de rester prudents dans de telles prédictions !
Mme Isabelle Briquet. – La moitié de ces ouvertures de crédits finance la baisse de 15 centimes du prix du carburant annoncée par le Gouvernement. Or il s’agirait plutôt d’une baisse de 18 centimes au total ; il serait utile de connaître le montant estimatif complet de cette mesure.
Les 400 millions d’euros consacrés à l’accueil des réfugiés ukrainiens sont nécessaires, mais cela ne remet-il pas en question l’accueil des réfugiés venant d’autres zones de conflits ?
La hausse du coût de l’énergie a un lourd impact sur les budgets de fonctionnement des collectivités, ce qui obère leurs marges de manœuvre. À ce stade, rien n’est prévu. Il serait pourtant indispensable de mettre en place un bouclier énergie pour que les collectivités puissent continuer d’assurer les services publics locaux.
M. Pascal Savoldelli. – Il faut regarder la vérité en face. Il y a une vérité douloureuse, la guerre en Ukraine, mais la crise des prix de l’énergie et de l’alimentation n’est pas née avec elle. Ce n’est pas faute de vous avoir alertés sur les effets de l’inflation sur le budget des ménages ! La guerre nous conduit à prendre des mesures d’urgence, mais il faut aussi assumer que ces problèmes existaient déjà. La dernière loi de finances rectificative pour 2021 en témoigne. Au cours de votre quinquennat, la facture de gaz a augmenté de 500 euros ; le gazole a pris 20 centimes ; le prix des pâtes a augmenté de 50 %, celui du café de 62 %. Les tensions autour du blé russe et ukrainien exacerbent la crise, mais n’oubliez pas que vous ironisiez quand les parlementaires vous alertaient quant au prix de denrées modestes, mais essentielles pour le quotidien de nos concitoyens.
Le débat autour de ce décret d’avance devrait donc porter non seulement sur la guerre, mais aussi sur le contexte antérieur et les mouvements spéculatifs : ainsi, le groupe Total voyait ses bénéfices multipliés par 23 avant même le début de la guerre et versait 6,7 milliards d’euros de dividendes. Il aurait fallu une taxe exceptionnelle de 10 % sur les bénéfices exceptionnels des distributeurs d’énergie. Votre approche pose un sérieux problème. Et certains annoncent déjà préparer une loi de finances rectificative, qui ôterait 10 milliards d’euros aux collectivités territoriales ! Il faudrait organiser un vrai débat politique, plutôt que d’agir de manière déguisée et autoritaire.
M. Marc Laménie. – Merci pour vos explications sur ce décret d’avance portant sur des sommes très importantes. Je m’interroge sur la liste des missions affectées par les annulations de crédits ; on observe des réductions substantielles pour certains ministères, notamment sur la mission « Défense », amputée de 300 millions d’euros, ce qui peut paraître inopportun au vu de la guerre en Ukraine. La mission « plan d’urgence » est aussi très affectée, alors que la crise sanitaire n’est pas terminée ; je me souviens des textes financiers d’urgence qu’il nous a fallu adopter à plusieurs reprises en 2020. La mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » perd aussi 50 millions d’euros, en dépit de sa valeur symbolique.
Les particuliers, les entreprises et le monde agricole souffrent de l’augmentation des prix de l’énergie, mais aussi les collectivités territoriales, jusqu’aux plus petites communes, qui sont les oubliées de ce décret d’avance.
M. Jérôme Bascher. – Ce décret d’avance épuise toutes les astuces permises par la LOLF et relevées par la Cour des comptes : utilisation des reports à des fins détournées, missions fourre-tout, décrets d’avance au lieu de lois de finances rectificatives. Il faudrait réformer la LOLF pour mieux respecter les droits du Parlement.
La fonction publique ne figure pas dans ce décret d’avance, alors que des annonces ont été faites sur le point d’indice. Qu’en sera-t-il, si les sommes correspondantes ne sont pas débloquées ?
Une incompréhension demeure concernant la remise sur le prix du carburant : est-elle de 15 ou de 18 centimes ? Quel mécanisme est ici en jeu qui semble faire intervenir la TVA ?
Mme Sylvie Vermeillet. – Je relève que 145 millions d’euros de crédits sont annulés au sein de la mission « Régimes sociaux et de retraite ». S’agit-il d’annulations temporaires ? Comment se justifient-elles ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’annulations similaires pour d’autres régimes spéciaux, comme ceux de la SNCF et de la RATP ?
Mme Christine Lavarde. – Concernant les crédits ouverts au sein du programme 345 « Service public de l’énergie », on peut noter un changement de philosophie, avec l’introduction de dépenses liées aux carburants dans un programme visant d’abord à financer les dépenses liées au coût des énergies renouvelables et à l’accompagnement des ménages souffrant de précarité énergétique en matière d’électricité et de gaz.
Sur le fond, lors de la présentation du dernier projet de loi de finances, vous n’aviez repris que 415 millions d’euros sur les prévisions de dépenses au titre des énergies renouvelables, alors même que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) avait estimé au mois d’octobre que ces charges pourraient baisser de 2,7 milliards d’euros. Pourquoi n’avez-vous pas réactualisé cette prévision, ce qui aurait permis d’ouvrir moins de crédits ? Était-ce pour constituer une réserve de crédits non consommés ?
Je constate des annulations de crédits assez fortes dans le programme 174 « Énergie, climat et après-mines », qui finance les primes à la conversion et le dispositif MaPrimeRénov’. Ces annulations sont-elles pertinentes ?
M. Jean-Baptiste Blanc. – Ce décret d’avance ouvre 300 millions d’euros de crédits dans le programme 303, pour l’accueil et l’accompagnement des demandeurs d’asile, et 100 millions d’euros dans le programme 177, qui finance l’hébergement d’urgence. Pourtant, les réfugiés ne sont pas des sans-abri, mais relèvent plutôt de la catégorie des demandeurs d’asile. Pourquoi alors ne pas avoir concentré les nouveaux crédits sur le programme 303 ? Comment ont-ils été calibrés ? Sont-ils suffisants pour l’accueil projeté de 100 000 réfugiés sur toute l’année 2022 ?
M. Christian Bilhac. – Un agriculteur m’a exposé la hausse des prix du GNR et des engrais ; il était inquiet pour l’équilibre de ses comptes. Il m’a aussi confié n’avoir reçu qu’hier le formulaire de demande d’indemnisation pour les dommages dus au gel d’avril 2021 ! Y aura-t-il cette fois un peu plus de célérité de la part de l’État ?
Les collectivités locales voient leurs dépenses s’envoler. Le plan de relance leur offre des crédits pour l’investissement, mais celui-ci ne peut se faire qu’avec une part équivalente de cofinancement par la collectivité. En l’absence d’aide pour les dépenses de fonctionnement, cela s’avérera difficile.
– Concernant la remise sur le prix du carburant, c’est bien l’effet de la TVA qui nous conduit à une baisse de 18 centimes. Les professionnels étant remboursés de la TVA, ils bénéficient d’une aide à hauteur de 15 centimes par litre ; si nous n’avions pas fait le nécessaire, l’aide aurait été diminuée du montant de la TVA pour les particuliers, c’est pourquoi nous l’avons fixée à 18 centimes. Les effets finaux sur les recettes de l’État sont difficiles à cerner, dans la mesure où ces mesures peuvent améliorer la profitabilité des entreprises ; nous constaterons ce qu’il en est en fin d’année. La reprise économique nous aide en la matière : nos prévisions de recettes de TVA pour janvier et février se sont avérées en dessous de la réalité.
Quant à l’accueil des Ukrainiens, ces 400 millions d’euros ont pour objet d’éviter de trop ponctionner la trésorerie de ces deux programmes et de mettre à mal notre capacité d’accueil d’autres réfugiés. Précisons que les 36 000 Ukrainiens présents en France aujourd’hui n’ont pas le statut de demandeur d’asile, mais celui de protégé temporaire. Cela a un avantage pour l’État : l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) n’aura pas à se prononcer sur ces demandes. En revanche, ce statut leur donne accès à l’allocation de demandeur d’asile (ADA). L’abondement de 100 millions d’euros du programme 177 a pour objectif d’orienter aussi vite que possible ces personnes vers des solutions de logement durables, dans le parc habituel, après les solutions d’urgence aujourd’hui mises en œuvre. Leur statut les autorise à travailler, ce qui permet d’envisager une insertion autonome.
Le Gouvernement accorde beaucoup d’attention aux collectivités locales, qui connaissent des situations très hétérogènes. Les dépenses d’énergie représentent en moyenne 2,4 % des recettes réelles de fonctionnement des collectivités, moins de 3,5 % pour les communes. Certaines collectivités doivent en revanche entretenir des bâtiments importants, ce qui génère de grosses consommations d’énergie. Le contexte financier des collectivités reste rassurant. Les comptes publiés par l’Insee pour 2021 ramènent la prévision de déficit public de 7 % à 6,5 % ; c’est notamment dû au fait que le déficit de la sécurité sociale a été mieux résorbé que prévu, mais aussi à l’amélioration générale de la santé financière des collectivités : on observe un excédent global de 4,7 milliards d’euros de leurs comptes, soit plus que 2018, année déjà exceptionnelle. C’est lié à la reprise des recettes fiscales, c’est une très bonne nouvelle !
M. Roger Karoutchi. – C’est parce qu’on ne dépense plus rien !
– Concernant la fonction publique, le niveau de revalorisation du point d’indice est soumis à concertation et devra faire l’objet de dispositions législatives.
Quant aux différentes annulations de crédits, les 145 millions d’euros évoqués par Mme Vermeillet sont pris sur une réserve de précaution de presque 250 millions d’euros, qui n’est d’ordinaire pas sollicitée. Il en est de même pour le programme 345, dont le rythme de décaissement est assez régulier ; ces mesures étant financées pour quelques mois, avant une éventuelle loi de finances rectificative, il n’y aura pas de difficulté de trésorerie.
Concernant les prévisions de la CRE, il y a un décalage entre la prévision au titre de l’année n et la mise en place du montant pour les années n+1 et n+2 ; les économies préconisées dans l’avis de novembre dernier seront exigibles pour 2023 ; la volatilité du secteur nous incite à un lissage prudent.
Monsieur Bilhac, les versements seront aussi rapides que possible une fois les dispositifs complètement arrêtés. Pour les aides relatives au gel du printemps dernier, nous avions acté qu’elles seraient débloquées au moment où le niveau de recettes des agriculteurs touchés serait affecté : certaines cultures n’auraient atteint leur maturité que 12 ou 18 mois plus tard.