rapporteure. – Au-delà d’une simple revoyure, cette mission d’information « flash » a dû tenir compte des nouvelles problématiques et dresser un bilan complet. L’état des lieux, que nous avons voulu le plus clair possible, est en demi-teinte. Je le résumerai ainsi « Des efforts, mais peut mieux faire... ». J’ai aussi souhaité faire la part des choses entre ce qui était conjoncturel en raison de la crise Covid – c’est le cas notamment des questions de communication et d’information au sein des universités– et structurel.
Dans mon rapport précédent, j’avais identifié trois grands sujets : les actions à mener pour la première promotion PASS/L.AS qui a « essuyé les plâtres » ; celles qui doivent être prises pour la promotion suivante ; enfin, trouver les moyens de garantir dans le temps la mise en œuvre de cette réforme. En dépit de ses objectifs, que nous avions soutenus, elle s’est révélée une véritable « usine à gaz » très compliquée à comprendre et faire comprendre.
La réaction du Gouvernement a été trop tardive dans l’année universitaire – le mal était fait –, mais celui-ci a tout de même élaboré des mesures correctives, annoncées par le Premier ministre le 2 juin 2021. Certaines d’entre elles faisaient partie de nos propositions et ont permis de repêcher une partie des étudiants en difficulté : l’augmentation de la part des places en MMOP – médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie – pouvant être réaffectées d’un parcours de formation à l’autre – principe de fongibilité des places entre PASS et L.AS ; l’organisation systématique de sessions de rattrapage, qui n’avaient pas été prévues dans certaines universités ; la continuité du choix disciplinaire entre la première année et la deuxième année de L.AS en vertu d’une double inscription en filière santé et en licence, avec la certitude, à l’issue d’une L.AS 1, d’avoir une place en L.AS 2 de la même licence – cet objectif semblait, au départ, difficile à atteindre.
A également été annoncée la création, dans chaque université, d’une commission d’examen exceptionnelle ayant pour mission de réexaminer les situations individuelles qui le méritaient. Cela existait déjà du temps de la première année commune aux études de santé (Paces), puisque des triplements exceptionnels étaient possibles. Dans un courrier que le président de la commission et moi-même avons adressé au Premier ministre au début du mois de juillet 2021, nous insistions sur la nécessité que ces commissions puissent proposer, à titre dérogatoire, l’annulation de la première candidature en MMOP et le redoublement en première année. Des garanties avaient été apportées par le décret du 13 juillet 2021, qui étaient bienvenues pour cette promotion malmenée par la Covid et la réforme.
En permettant le repêchage d’un peu plus de 400 étudiants, soit 25 % des dossiers jugés recevables, la mise en place de ces commissions a sans doute permis d’éviter le pire – je pense à des annulations de notes éliminatoires saugrenues. Néanmoins, selon les retours de terrain, les modalités d’examen des situations individuelles ont été très variables d’une commission à l’autre, voire d’une université à l’autre – certaines n’y voyant aucune utilité spécifique. Ce n’est pas le nombre d’inscrits qui importe, c’est celui de ceux qui auraient souhaité s’inscrire. Quoi qu’il en soit, ces commissions ont œuvré à une moindre iniquité.
Quels ont été les résultats de la promotion 2020-2021 ? Au niveau national, ils se révèlent plutôt encourageants, mais une analyse « micro » montre d’importants écarts entre les parcours de formation et selon les universités. Le « mal » de cette réforme tient à sa complexité. Ses objectifs, au premier rang desquels la diversification des profils, sont louables, mais l’absence de cadrage national concernant les prérequis en mineure et en majeure, le contenu des maquettes pédagogiques, les modalités d’évaluation des connaissances suscitent des difficultés.
Au total, 17 284 étudiants ont été admis en deuxième année des filières de santé à la rentrée universitaire 2021. Parmi eux, 10 096 étudiants sont issus des nouveaux parcours de formation – l’horizon s’éclaircit quelque peu avec la disparition à venir des « redoublants Paces » –, dont 7 222 issus de PASS et 2 874 de L.AS, soit une proportion respective de 71,5 % et de 28,5 %.
Le nombre d’étudiants admis en MMOP a globalement augmenté de 15,5 % par rapport à la rentrée universitaire 2020. Mais à elle seule, la filière médecine est le moteur des inscriptions et a enregistré une hausse des admis de 19,5 %. À l’inverse, la filière pharmacie confirme son manque d’attractivité ou la méconnaissance à son égard, l’essentiel des places non pourvues se concentrant sur ce cursus. Les objectifs nationaux ne sont d’ailleurs pas atteints en la matière.
Globalement, une amorce de diversification des profils en MMOP se dessine, mais en regardant université par université, on constate que celle-ci est loin d’être au rendez-vous partout. Dans plusieurs établissements, le ratio d’admis en MMOP est, en effet, davantage de l’ordre de 90 % de PASS et de 10 % de L.AS. Ce déséquilibre semble s’expliquer par un moindre niveau des étudiants de L.AS et des abandons en cours d’année en raison de la surcharge de travail.
Sur les 11 081 étudiants de PASS/L.AS ayant validé leur première année sans avoir été reçus en MMOP, 1 450 auraient intégré la filière kinésithérapie – cette passerelle n’a malheureusement pas été proposée dans toutes les facultés – ; 5 200 se seraient inscrits en L.AS 2 – ces chiffres ministériels ne sont toutefois pas stabilités. Les 4 400 étudiants « restants », soit 21 % des 21 177 étudiants de PASS/L.AS ayant validé leur année et pour lesquels aucune donnée consolidée n’est disponible, semblent se répartir entre des départs à l’étranger – de l’ordre de 20 % dans certaines universités – et des réorientations vers d’autres filières de santé, les études en soins infirmiers (IFSI) ou d’autres licences. Je précise qu’une seconde passerelle est ensuite possible pour revenir à des études de médecine. Cette fluidité, pourtant très utile, fait défaut dans nombre d’universités. Il existe aussi une grande disparité de résultats selon les établissements, rendant très difficile toute conclusion nationale à ce stade du déploiement de la réforme. Un suivi très précis de la part du ministère s’impose, notamment pour identifier ces 4 400 étudiants.
La deuxième année de mise en œuvre se déroule dans un climat beaucoup plus apaisé – les différents rapports sur la réforme y ont contribué. L’amélioration de la situation sanitaire et la coexistence de deux catégories d’étudiants – PASS et L.AS – contre trois l’année dernière – PASS, L.AS et doublants Paces – apparaissent clairement comme des facteurs de clarification.
Le ministère de l’enseignement supérieur a aussi fait preuve d’un pilotage renforcé et plus efficace, grâce notamment au comité national de suivi de la réforme qui se réunit très régulièrement et met en œuvre un cadrage national plus serré – il reste néanmoins des trous dans la raquette –, via la publication de nouveaux textes réglementaires.
Du côté des universités, un plus grand nombre s’approprie mieux la réforme en cette deuxième année et commence à œuvrer en vue d’un dialogue intercomposante. Cependant, tel n’est pas le cas dans tous les établissements. Je dresse à nouveau cette année le constat d’une grande hétérogénéité, les améliorations se déployant de manière très variable localement. Par exemple, certaines universités n’ont toujours pas réuni leur commission locale de suivi de la réforme, dont l’installation a été rendue obligatoire par l’arrêté modificatif du 22 octobre dernier.
Les remontées de terrain témoignent de la persistance de plusieurs dysfonctionnements et de l’apparition de nouvelles difficultés : une communication et une transparence encore insatisfaisantes de la part de certaines universités, qui se caractérisent notamment par une information tardive des modalités de contrôle des connaissances (MCC), et un défaut structurel d’information des étudiants de L.AS.
Les différences de niveau entre les étudiants sont parfois importantes selon le parcours de formation suivi en première année. En MMOP, les L.AS 1 ont globalement plus de difficultés à suivre les enseignements que les ex-PASS et les ex-doublants Paces, dont le niveau est meilleur. Selon que les étudiants suivent une mineure ou une majeure santé, leur niveau diffère – on le savait ; cela nécessite parfois des processus de remédiation et de remise à niveau. Mais quelques universités n’y voient rien à redire….
De grandes disparités existent aussi selon les établissements en matière d’accompagnement des étudiants, de contenu pédagogique, de modalités d’évaluation, de dialogue interdisciplinaire, ce qui conforme le constat selon lequel « il y a autant de réformes que d’universités ». Voilà pourquoi nous préconisions un cadrage minimal.
Citons encore un manque d’anticipation des problématiques propres aux L.AS 2, avec un effet « double peine » pour la promotion 2020-2021, au rang desquelles : l’insuffisance des effectifs, qui semble indiquer que les L.AS 2 n’ont pas encore trouvé leur public, des conditions d’effectivité de « la seconde chance » non respectées dans deux universités qui ont été signalées – celle-ci aurait dû être réelle, voire renforcée pour ceux qui avaient « essuyé les plâtres » de la mise en œuvre de la réforme.
Ce bilan mitigé me conduit à formuler de nouvelles recommandations. Pour ce faire, j’ai essayé de couvrir l’ensemble des volets de cette réforme de grande ampleur. Je me suis efforcé de trouver un équilibre entre le respect de l’autonomie des universités et le besoin d’un minimum d’harmonisation nationale.
Premièrement, il faut commencer par redoubler d’efforts en matière d’information et de communication pour améliorer l’acceptabilité de la réforme, en incitant les universités à plus et à mieux communiquer avec leurs étudiants. Or celles-ci considèrent trop souvent que beaucoup de choses sont déjà faites en la matière.
Il convient de garantir l’effectivité des commissions locales de suivi et leur composition transversale, d’encourager les universités à approfondir le dialogue intercomposante et développer le dialogue interuniversitaire pour favoriser l’échange de bonnes pratiques – c’est trop rarement le cas.
Il est aussi nécessaire d’accroître les actions d’information et de communication à destination des lycéens. Au moment de l’inscription sur Parcoursup, les prérequis, la distinction entre PASS et L.AS, ou encore le nombre de places disponibles en MMOP, sont de vrais sujets dans nombre d’universités.
Deuxièmement, nous devons renforcer les dispositifs d’accompagnement des étudiants, en développant le tutorat et les sessions de remise à niveau.
Troisièmement, il faut poursuivre l’adaptation des programmes pédagogiques.
Il s’agit, au niveau du ministère de l’enseignement supérieur, d’élaborer un socle pédagogique commun afin d’assurer un minimum d’harmonisation entre les universités. Il ne paraît pas incongru de prévoir une « maquette » pour les prérequis comme celle qui est prévue dès la deuxième année de MMOP.
Au niveau des universités, il faut poursuivre le travail engagé par les équipes pédagogiques sur le contenu des formations : en L.AS, pour rendre les filières plus attractives ; en MMOP, pour s’adapter aux nouveaux profils des étudiants – droit, psychologie ou autre.
Quatrièmement, il convient de mieux informer et préparer les étudiants aux épreuves orales, assurer un minimum d’harmonisation de leur contenu et de leurs modalités d’évaluation. Les oraux ont eu lieu après la publication de mon premier rapport. Toutefois, ce sujet épineux de l’été dernier et de la rentrée 2021 continue d’occuper certaines universités. Parfois, le délai entre l’annonce des modalités des épreuves et leur tenue ne dépasse pas quinze jours, ce qui est beaucoup trop court. Les étudiants doivent être informés le plus tôt possible des « règles du jeu », dont certaines ont changé en cours d’année. Par ailleurs, les contenus de ces épreuves doivent être harmonisés a minima entre les universités, sans pour autant que les sujets soient tous identiques. Les pratiques observées l’année dernière rendent le système complètement inégalitaire. C’est pourquoi le travail en cours au sein du comité national de suivi doit être poursuivi pour harmoniser le contenu des oraux. Enfin, il faut donner instruction aux universités de ne plus recourir au dispositif de « la note de rang » – utilisé par certaines -, qui ajoute de la complexité au système de sélection. Comment un bon étudiant peut-il accepter d’être recalé s’il n’a pas compris le classement ? La simplicité et la lisibilité favorisent la transparence. C’est de cette opacité qu’est né un très fort sentiment d’injustice.
Cinquièmement, il importe d’améliorer la qualité de l’orientation et de garantir l’effectivité du droit à la poursuite d’études.
Pour ce faire, il faut mieux informer les lycéens et les étudiants sur les quatre filières de santé – et non sur la seule filière médecine, rendre effectif le principe de la poursuite d’études en L.AS 2, mieux accompagner les étudiants souhaitant se réorienter après avoir suivi un parcours par défaut – mineure en PASS, majeure en L.AS. C’est important pour que cette « seconde chance » soit effective.
Je souhaite également que soit garantie la mise en place effective des passerelles prévues par les textes réglementaires, notamment vers la filière kinésithérapie, les IFSI ou l’orthophonie. À Strasbourg, l’éventail proposé est très large, ce qui n’exclut pas une réorientation ultérieure vers la filière médecine. Les universités doivent être incitées à développer d’autres passerelles, notamment vers les écoles d’ingénieurs, comme certaines le font déjà.
Sixièmement, il importe de mieux prendre en compte les besoins des territoires dans la définition des capacités d’accueil. Il faut lancer une réflexion sur une approche infra-régionale du numerus apertus, afin de répondre aux attentes de façon plus satisfaisante. La démographie médicale est par exemple, au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes, totalement différente à Lyon, à Grenoble ou à Saint-Étienne. Alors que les besoins sont importants en Auvergne, les effectifs à l’université y sont les plus faibles ! Je demande donc une clause de revoyure à mi-parcours des objectifs nationaux pluriannuels de professionnels de santé à former sur cinq ans – 2021-2025 – et la mise en place, à cette occasion, d’une concertation infra-régionale.
Septièmement, je préconise de compléter les textes réglementaires pour mieux tenir compte de la réalité du terrain. Cela suppose de prévoir, pour l’accès aux quatre filières de santé, une fongibilité des places par défaut entre les parcours : entre PASS et L.AS, entre L.AS 1 et L.AS 2, entre L.AS 1 et L.AS 3. Pour avoir des professionnels, il faut remplir les places par les étudiants motivés. Cela suppose aussi de réserver, pour l’accès en MMOP, un nombre de places spécifique pour les étudiants à diplôme étranger, indépendant du numerus apertus. Enfin, il faut mentionner explicitement la possibilité, pour les universités, d’une organisation « tout L.AS ».
Huitièmement, les effets de la réforme doivent être mesurés en termes de réussite des étudiants et de diversification des profils. Cela nécessitera le lancement d’une enquête scientifique nationale pour analyser la diversification du profil académique, social et territorial des étudiants en santé. Il s’agira aussi de mettre en place les outils statistiques nécessaires au suivi des étudiants de L.AS.
Neuvièmement, la pertinence du maintien, à terme, du système bicéphale PASS/L.AS peut une nouvelle fois susciter l’interrogation, car il est une source importante de complexité pour les étudiants. De nouvelles universités, celles de Côte d’Azur et de Reims, ont annoncé leur passage en « tout L.AS ». Ce système, plus simple et plus équitable, pourrait devenir la règle.
Dixièmement, enfin, un renforcement des moyens a été mis en œuvre au titre du plan de relance, mais ceux-ci doivent être « soclés ». Nous avons interrogé de nombreuses universités afin d’avoir un état des lieux précis de la situation sur le terrain. En réalité, un étudiant issu de la réforme coûte deux à trois fois plus cher qu’un étudiant Paces. Nous devons donc renforcer les moyens pour augmenter la taille des promotions sans perdre en qualité de la formation, ce qui suppose aussi de diversifier les terrains de stage et créer des postes d’encadrants hospitalo-universitaires, en priorité dans les universités où le ratio d’encadrement par étudiant est faible. Dans certains territoires, le ratio est sans commune mesure avec les besoins constatés, d’où le sujet central dela territorialisation des objectifs de professionnels de santé à former.
En conclusion, des progrès ont été accomplis, mais nous pouvons faire nettement mieux. Ma demande d’un meilleur cadrage national n’est pas en contradiction avec l’autonomie des universités, que je respecte. La présence de professionnels de santé sur le terrain est un objectif de santé publique, pour le bien public !