Intervention de Annick Billon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 mars 2022 : 1ère réunion
Table ronde avec des actrices réalisatrices et productrices de films pornographiques

Photo de Annick BillonAnnick Billon, présidente, co-rapporteure :

Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser ma participation à distance : je me devais d'être en Charente-Maritime pour présenter le rapport d'information Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité. Je présiderai donc notre réunion à distance.

Nous travaillons depuis plusieurs semaines sur le thème de la pornographie. Nous nous intéressons au fonctionnement et aux pratiques de l'industrie pornographique, aux conditions de tournage, aux représentations des femmes et des sexualités véhiculées, ainsi qu'à l'accès de plus en plus précoce des mineurs aux contenus pornographiques et à ses conséquences en matière d'éducation à la sexualité.

Nous sommes quatre sénatrices rapporteures pour mener ces travaux : Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et moi-même.

Pour la bonne information de toutes et tous, je précise que cette réunion fait l'objet d'un enregistrement vidéo accessible sur le site Internet du Sénat en direct, puis en VOD.

La pornographie et les représentations qui en sont issues occupent une place croissante dans notre société, et ce notamment depuis l'avènement d'Internet, des réseaux sociaux et des tubes - ces plateformes qui proposent gratuitement des dizaines de milliers de vidéos pornographiques.

D'après les chiffres récents dont nous disposons, les sites pornographiques affichent une audience mensuelle de 19 millions de visiteurs uniques, soit un tiers des internautes français. En outre, 80 % des mineurs ont déjà vu des contenus pornographiques et, à 12 ans, près d'un enfant sur trois a déjà été exposé à de telles images.

Par ailleurs, les graves dérives du milieu pornographique français dont la presse s'est récemment fait l'écho nous amènent à nous interroger sur les conditions dans lesquelles se déroulent les tournages. Nous avons également entendu des associations féministes, qui considèrent que ces derniers relèvent de la prostitution filmée et du proxénétisme.

Pour nourrir nos réflexions, nous accueillons aujourd'hui quatre professionnelles du secteur pornographique : Nikita Bellucci, actrice, réalisatrice et productrice ; Knivy, actrice et Cam girl, également membre de la commission Pornographies et webcam du Syndicat du travail sexuel (Strass) ; Carmina, actrice et réalisatrice revendiquant la réalisation de contenus alternatifs plus inclusifs et plus féministes ; et Liza Del Sierra, ancienne actrice, aujourd'hui productrice et réalisatrice.

Je vous souhaite à toutes la bienvenue.

Nous vous laisserons d'abord nous présenter votre parcours personnel et les circonstances de votre entrée dans la pornographie. Vous nous donnerez ensuite votre vision des pratiques actuelles du secteur. Nous nous interrogeons notamment sur les changements entraînés par la massification de la pornographie en ligne. Quelles évolutions avez-vous constatées à la fois dans les pratiques des professionnels du secteur et dans les contenus proposés, qui semblent de plus en plus extrêmes et dégradants. Partagez-vous cette vision ?

Nous nous inquiétons aussi des conséquences de ces évolutions sur les mineurs. Nikita Bellucci, vous vous exprimez régulièrement sur la nécessité de mieux protéger ces derniers face aux contenus pornographiques en ligne. Vous avez-vous-même été contactée sur les réseaux sociaux par de très jeunes garçons : vous pourrez nous exposer votre regard sur ce sujet.

En ce qui concerne les conditions d'exercice des personnes filmées, avez-vous été surprises par les pratiques dénoncées dans la presse ou étaient-elles largement connues ? Sont-elles fréquentes ? Vous faites partie des quelques actrices connues, et certainement armées, pour défendre vos droits et vos choix, mais qu'en est-il des dizaines de femmes anonymes que seule la précarité économique et sociale pousse dans ce secteur ?

Par ailleurs, quelle est l'approche de la réalisatrice et de la productrice que vous êtes sur les conditions de tournage des films pornographiques ?

Nous nous intéressons aux chartes déontologiques mises en place par plusieurs producteurs français. Liza Del Sierra, vous avez piloté l'élaboration d'une telle charte : vous nous expliquerez comment vous avez procédé pour la rédiger, ce qu'elle contient et quelles actions vous menez pour la faire appliquer.

Plus généralement, nous sommes intéressés par les recommandations que vous pourriez formuler en faveur des personnes filmées.

Nikita Bellucci, actrice, réalisatrice et productrice. - Je travaille en tant qu'actrice depuis douze ans, essentiellement pour l'industrie pornographique. Depuis 2019, je suis productrice de mes propres contenus. Je suis également coréalisatrice d'un long métrage diffusé en septembre dernier sur Canal+.

Je prends régulièrement la parole dans les médias et les réseaux sociaux pour alerter sur les dangers de l'accessibilité du X aux mineurs. J'ai abordé ce sujet dès 2018, après avoir reçu des messages à caractère sexuel de la part de mineurs âgés de 11 à 15 ans. J'ai publié mes échanges avec leurs parents, lorsque j'arrivais à remonter jusqu'à eux.

Je collabore actuellement avec l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique sur le lancement d'une grande campagne de sensibilisation.

Nous allons également nous adresser aux adolescents afin de déconstruire certaines idées reçues sur la pornographie, de cibler les sources d'influence sexualisées qu'ils croisent sur les réseaux sociaux, de leur éviter de s'enfermer dans des stéréotypes, d'aborder la question du consentement et du rapport au corps et de réfléchir au respect de l'altérité.

En février dernier, j'ai été conviée par le secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance Adrien Taquet à une table ronde pour évoquer les mesures à prendre concernant Internet et la protection de l'enfance. J'ai notamment rappelé qu'il n'est pas rare de trouver du contenu pornographique non flouté sur Twitter, même après plusieurs signalements. Twitter ne propose aucun dispositif pour réguler ces contenus, pas plus que Google, puisqu'il suffit de taper un mot-clé à caractère sexuel dans la barre de recherche images pour découvrir des milliers de contenus pornographiques sans même avoir ouvert la moindre page d'un site porno.

J'ai encore rappelé, lors de cette table ronde, que des stars de téléréalité proposent leurs photos et vidéos à caractère intime à leur public, largement composé de mineurs, sans la moindre prévention. Je ne cesse de marteler que le genre pornographique est un spectacle cinématographique fait par des adultes pour des adultes, qui n'a donc pas vocation à faire l'éducation sexuelle des enfants. Il ne s'agit pas d'un reflet de la réalité.

Nous sommes moins définis par la notion de travailleurs du sexe que par nos fonctions d'acteurs et d'actrices. Non, nous ne sommes pas dans la satisfaction de nos partenaires, comme le serait une prostituée ou un prostitué. Notre travail n'existe que par le prisme de l'écran et de la caméra, pour la seule satisfaction émotionnelle des adultes qui regarderont nos images. Nous sommes des acteurs, des actrices, des techniciens de l'industrie cinématographique dans sa globalité.

J'ai commencé à une époque où de multiples sociétés de production, de petite ou moyenne importance, existaient encore. Elles ont aujourd'hui toutes disparu ou ont été absorbées par les deux entités que sont Dorcel et Jacquie & Michel. Les tournages en France se font rares : la plupart des productions se font avec l'aide de Canal+, diffuseur historique. Les actrices ne font plus carrière, puisqu'il n'y a pratiquement plus d'écosystème économique.

Qu'en est-il des récentes mises en examen ? Oui, j'ai croisé, au cours de ma carrière, ces réalisateurs - les « Pascal OP », « Matt Hadix » ou encore « Oliver Sweet ». Et oui, j'ai été victime de l'un d'entre eux. Attention, ce ne se sont pas les pratiques sexuelles filmées ce jour-là qui me posent problème. J'ai fait des performances bien plus audacieuses ailleurs. La scène en question m'a laissé l'impression d'avoir été, un soir de 2012, victime d'un abus de faiblesse et d'un non-respect évident de mon consentement. J'ai été la victime d'une façon de faire, d'une méthode de fabrication, qui n'a rien à voir avec le métier qui est le mien, qui fait tache avec l'industrie que je défends. Pis encore, ces gens sont les rejetons d'un système, d'une méthode de production qui n'a que faire des actrices, ou plutôt des amatrices qui rêvent d'une carrière glamour à la Clara Morgane. Ces filles sont, comme je l'ai été, victimes de rabatteurs, de manipulateurs, de prédateurs portés par un diffuseur qui doit sa réussite économique à la seule exploitation de la candeur des victimes et de leur corps.

Comment ce groupe a-t-il pu laisser carte blanche à ces petites mains qui lui fournissent quotidiennement les contenus dont il a besoin ? Tout simplement parce qu'il n'existe aucun véritable statut, aucune légitimité, aucune existence légale pour les acteurs et les actrices qui oeuvrent dans la pornographie en France. Si elles sont actrices, pourquoi n'y a-t-il pas de syndicat interprofessionnel pour défendre leurs intérêts ? Si elles sont actrices, pourquoi n'existe-t-il pas d'agences pour protéger les débutantes ? Si elles sont actrices, pourquoi n'existe-t-il pas d'associations d'artistes et de techniciens autres que les associations féministes pour les soutenir lorsqu'elles ont été abusées, à l'exception des activistes anti-porno qui les feront culpabiliser ?

Tout simplement parce que les actrices ne sont définies que par le travail du sexe, ce qui revient, aux yeux de l'État, à flirter avec la notion de proxénétisme. Pourquoi ai-je dû pousser la porte de cinq commissariats pour que ma plainte soit prise en compte ? Pourquoi avoir dû entendre des propos tels que : « Vous comprenez, Mademoiselle Bellucci, ce que vous décrivez, ce sont les risques du métier et vous avez signé pour ça. » ?

Mon métier n'existe pas. Les acteurs et actrices n'existent pas. Pourtant, les consommateurs et consommatrices existent bel et bien et constituent même l'essentiel du trafic Internet mondial.

Je vous remercie de nous accueillir au sein de cette institution. Oui, notre profession a besoin d'être reconnue pour se structurer, besoin d'être encadrée pour se professionnaliser et besoin d'un droit du travail en relation avec sa réalité. Non, il ne s'agit pas d'une énième invention de l'industrie cinématographique dite « capitaliste » et « patriarcale » pour réaliser un magnifique washing en ces périodes agitées. Nous agissons parce que nous sommes concernés par toutes ces questions, parce que nous sommes également parents et citoyens de ce pays, attachés aux valeurs républicaines et défenseurs d'un genre cinématographique et d'une industrie à part entière.

Knivy, actrice, Cam girl, membre de la commission Pornographies et webcam du Strass. - Je représente la commission pornographique du Syndicat des travailleurs du sexe.

Nous sommes en train de travailler à la rédaction de conventions collectives pour améliorer la sécurité des actrices. Nous dénombrons de très nombreuses victimes. Je suis en contact avec une des commissaires de police qui gère l'affaire « Pascal OP-Matt Hadix ». Nous sommes plus d'une soixantaine à avoir subi, à nos débuts ou en cours de carrière, des actes de manipulation divers et variés. J'ai aussi été victime de certains incidents. Ces personnes savent comment nous piéger pour nous faire tourner des scènes qu'on ne désire pas faire ou qui ne figurent dans aucun contrat.

À cet égard, il nous faut établir des contrats non pas seulement pour les diffuseurs, mais aussi pour les actrices. Nous aimerions également que le Strass soit destinataire d'une copie pour en conserver une trace.

Nous avons plusieurs propositions à formuler pour la sécurité et le bien-être des actrices à la suite des chartes mises en place par Jacquie & Michel et Dorcel.

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