Merci, Mesdames, de vos témoignages. C'est la première fois que la délégation aux droits des femmes s'intéresse au sujet de la pornographie et nos différentes auditions dressent un tableau à plusieurs facettes : vos témoignages diffèrent de ceux des sociologues, des associations féministes ou des différentes instances de contrôle que nous avons entendus. C'est très bien d'avoir ces approches multiples.
Certaines d'entre vous ont employé les termes de « travailleuses du sexe », ce qui, pour moi, renvoie à la prostitution. J'aimerais connaître votre point de vue sur la porosité, ou non, entre pornographie et prostitution. Carmina, vous avez vous-même évoqué l'impossibilité pour les actrices d'avoir un agent en raison de la législation sur le proxénétisme.
On légifère pour la majorité. Or vos témoignages me semblent différer de ceux que j'ai pu lire ou entendre de la part de personnes ayant été la proie de véritables prédateurs. Vous demandez la création d'un cadre légal et la signature de contrats, mais je m'interroge sur la notion de consentement, qui est assez complexe et qui peut fluctuer pour les signataires de tels contrats.
Un certain nombre de personnes ayant été filmées souhaiteraient pouvoir retirer les contenus sur lesquels elles apparaissent, sans y parvenir. Comment répondre à cette situation ?
Vous avez évoqué à plusieurs reprises la question de la protection des mineurs. Aujourd'hui, n'importe qui, quel que soit son âge, peut avoir accès à la pornographie. Les enfants y sont exposés de plus en plus tôt. Ils assimilent alors pornographie et réalité des rapports sexuels, ce qui engendre des pertes de repère avec le réel. Je ne pense pas que le travail des acteurs et des actrices et celui des politiques puissent être totalement hermétiques entre eux.
Carmina. - Aujourd'hui, le travail du sexe, ce n'est plus seulement la prostitution, mais tous les métiers liés à la sexualité : la prostitution, l'escorting, la domination, le téléphone rose, le strip-tease, les modèles webcam, les actrices X...
Mes productions, dans la mesure où il s'agit de cinéma, sont par essence culturelles. Mes acteurs, qui réalisent les actes sexuels pour mes films, sont, à mon sens, des travailleurs et travailleuses du sexe. Cela étant dit, chacun est libre de s'auto-représenter et s'auto-dénominer comme il le souhaite.
Le consentement est effectivement une notion qui peut fluctuer. C'est la raison pour laquelle on discute avant la scène de ce que les acteurs et actrices souhaitent faire ou ne pas faire. Les envies peuvent changer d'un jour à l'autre, en fonction du partenaire, par exemple. L'important est de respecter ce qui a été décidé le jour même. C'est de cette manière que je fonctionne, ainsi que toutes les personnes que je côtoie dans le milieu alternatif. Je sais qu'il en va de même dans les productions de Liza Del Sierra ou de Nikita Bellucci, par exemple.
Je n'ai encore jamais eu d'acteur ou d'actrice souhaitant retirer les vidéos que j'ai pu tourner. Mon éthique personnelle me pousserait à accéder à une telle demande, malgré la perte d'argent que cela pourrait représenter, contrairement à ce que font les grosses entreprises.
En ce qui concerne la protection des mineurs, je pense qu'il est nécessaire de mettre en place une éducation aux médias, au cinéma. Le porno, c'est de la fiction, et il faut l'expliquer aux enfants, aux ados, aux jeunes adultes. C'est un manque cruel aujourd'hui.
Les violences sexuelles et sexistes ne sont pas que dans le porno. On les retrouve dans toutes les productions culturelles et médiatiques. Dans le film Star Wars, par exemple, Han Solo veut embrasser la princesse Leia qui refuse et recule. L'acteur la rattrape et l'embrasse tout de même de force : ce n'est pas du porno, mais la scène montre bien une violence sexuelle et sexiste que tous les gens de ma génération ont vue sans que personne ne soulève la moindre objection.
Liza Del Sierra. - Je m'attendais à votre question sur la prostitution et j'avais donc préparé ma réponse.
Le proxénétisme est défini aux articles 225-5 et suivants du code pénal comme « le fait d'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui, de tirer profit, de partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution, d'embaucher ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire ». Autrement dit, pas de prostitution, pas de proxénétisme.
La loi et les tribunaux n'ont jamais assimilé les acteurs et les actrices X à des prostitués, ni l'activité des producteurs et des réalisateurs à du proxénétisme. Au contraire, nous signons un contrat d'artiste-interprète parfaitement cadré juridiquement afin de tourner des scènes cinématographiques audiovisuelles au sein desquelles un jeu d'acteur prend place, et non d'avoir des rapports sexuels avec les clients de la production.
La pornographie est parfaitement légale dans les pays occidentaux et n'est pas assimilée à de la prostitution.
La charte déontologique s'est emparée de la question des contrats et du consentement. Nous évoluons dans un petit milieu et nous étions régulièrement embauchés sur la foi d'un SMS. Or ce n'est plus possible. Une fois sur place, des pressions pouvaient s'effectuer sur des comédiennes et des comédiens pour réaliser des pratiques non prévues.
La charte déontologique prévoit que le contrat soit signé en amont et que les acteurs et les actrices doivent se doter de leur Do/Don't, à savoir la liste de ce qu'ils acceptent de faire ou non. Cette liste doit être confirmée au moment de la scène, car on peut avoir changé d'avis entre-temps. Un garant du consentement est présent sur le tournage en la personne de la coordinatrice ou du coordinateur d'intimité, dont la fonction exclusive est de s'assurer du consentement et du bien-être non seulement des acteurs et des actrices, mais aussi des techniciens, des maquilleurs et des coiffeurs, par exemple, qui n'ont pas forcément banalisé certaines choses et qui peuvent se sentir mal à l'aise sur un plateau.
Sur mes premiers tournages, je choisissais toujours une actrice plus expérimentée pour servir de « marraine » aux plus novices. La charte a permis d'intégrer aux contrats de nombreux distributeurs la présence d'un tiers de confiance, indispensable si l'on souhaite vendre notre film.
Tout au long de ma carrière, j'ai dû signer environ 1 500 contrats dans lesquels je cédais mon droit à l'image pour 99 ans. Autrement dit, après ma mort, des gens continueront de se masturber sur moi ! De tels contrats sont inacceptables. Les contrats que je fais signer, comme le préconise la charte déontologique, sont d'une durée de cinq ans, à tacite reconduction. Par simple courrier recommandé, un acteur ou une actrice peut demander, au bout de cinq ans, le retrait des scènes pornographiques, qui seront coupées au montage.
En ce qui concerne la protection des mineurs, j'espère que des organismes comme l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ou la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) font leur travail avec la meilleure volonté possible. Nous sommes des performeurs. Sophie Marceau n'a jamais décidé si un de ses films serait interdit aux moins de 16 ans ou aux moins de 18 ans. Cette question ne la concerne pas et on ne viendra pas lui demander des comptes. Des instances existent pour s'occuper de cette question, ce n'est pas à nous de le faire.
Knivy. - C'est pour défendre ces notions de consentement et de droit à l'image que le Strass est en train d'établir un exemple de convention collective pour nos métiers. Il s'agit de mettre en place, sur tous les tournages, des coordinateurs d'intimité pour s'assurer du consentement des acteurs le jour J ou de la réalisation d'éthylotests, par exemple, ou de tests salivaires. En effet, certaines actrices ont parfois été droguées à leur insu.
Nous voulons soutenir les actrices et les aider, le cas échéant, à porter plainte. Notre travail doit être mieux reconnu.
En ce qui concerne le droit à l'image, nous voulons également mettre en place des contrats d'une durée de cinq ans renouvelable.
Vous vous inspirez donc de la charte déontologique que Mme Del Sierra a contribué à élaborer ?
Knivy. - Oui, ainsi que de celle de Jacquie & Michel. Mais certains points ne coïncident pas totalement avec ce que nous cherchons à construire : Liza Del Sierra était actrice professionnelle, elle a beaucoup d'expérience ; nous voulons, quant à nous, aider aussi les personnes qui entrent dans le métier, les sécuriser et les renseigner sur leurs droits, sur ce qu'elles peuvent faire et refuser de faire.
Nikita Bellucci. - Pour ce qui est de la notion de « travailleurs du sexe », je considère, simplement, que nous sommes des acteurs et des actrices qui mettons en images des fantasmes. En ce qui me concerne, je ne suis pas sur un tournage pour prendre du plaisir sexuel. Et mon partenaire n'est pas là pour prendre du plaisir avec moi ; il ne s'agit aucunement de satisfaire un client.
Quant à encadrer la pratique des jeunes actrices, nous le faisons déjà. Nous n'avons pas attendu les scandales récents pour accompagner et donner des conseils aux jeunes actrices. Je n'ai jamais vu un membre de la direction du Strass assister à un tournage ; j'ai pourtant travaillé pendant douze ans dans l'industrie pornographique.