Intervention de Laurence Rossignol

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 mars 2022 : 1ère réunion
Table ronde avec des actrices réalisatrices et productrices de films pornographiques

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol, co-rapporteure :

Vos analyses vont au-delà du témoignage ; elles attestent d'une véritable réflexion sur vos activités d'actrices, de réalisatrices, de productrices. Je partage l'indignation exprimée par Nikita Bellucci quant aux difficultés que rencontrent les actrices de l'industrie pornographique lorsqu'elles souhaitent porter plainte. La résistance qui s'exerce à leur égard porte à son paroxysme celle que connaît toute femme qui cherche à porter plainte pour viol, d'autant qu'elles sont présumées consentantes. Ces plaintes doivent impérativement être reçues et traitées.

Vous disiez que l'éducation à la sexualité est du domaine du politique ; je pense, moi, que l'éducation à la sexualité concerne toute la société. Le politique n'administre pas tout, en tout cas pas dans notre société. Les sociétés dans lesquelles le politique administre tout, nous n'avons pas envie d'y vivre, ni les unes ni les autres ! L'éducation à la sexualité relève de tous les environnements dans lesquels un enfant, un adolescent et même un adulte évoluent : famille, médias, école.

Vous promouvez un porno éthique, ou une éthique du porno. J'ai compris que cette éthique passait par des dispositifs de type charte régissant les rapports entre les acteurs, les actrices, le réalisateur et l'ensemble des personnes présentes sur le tournage.

Portez-vous la réflexion éthique jusqu'aux contenus ? La production pornographique est accessible à tous - je suis perplexe sur la possibilité, en démocratie, de concevoir un système empêchant totalement l'accès des mineurs à la pornographie ; mais la question de l'éthique se pose, y compris pour les adultes. Bon nombre de réalisations sont racistes et sexistes. Vous me rétorquerez que c'est vrai dans tout le cinéma... Mais, pour le cas qui nous concerne aujourd'hui, la portée est différente, puisque le sexisme est parfois l'objet même de la fiction proposée, sans même parler des images pédocriminelles dont la diffusion prospère sur Internet...

L'une d'entre vous a dit : « C'est du cinéma, donc c'est faux. » Oui et non ! Faux, ça ne l'est pas tant que ça. Dans un film policier, si un voyou tombe mort, l'acteur, lui, ne meurt pas vraiment. Or a contrario, ce qui caractérise la pornographie, c'est que la pénétration a lieu, que l'éjaculation a lieu : l'image n'est pas jouée, elle est réelle.

En quoi le point de vue que vous défendez sur votre art serait-il modifié si la pénétration était simulée, l'éjaculation imaginée, etc. ? Serait-il porté atteinte à votre vision dudit art sans passage à l'acte, sans pénétration, sans éjaculation ? Serait-il encore possible de faire des films mettant en scène les fantasmes ? Quid de l'éthique des fantasmes que j'évoquais précédemment ?

Autre question : vous êtes, pour trois d'entre vous, productrices ; quel pourcentage de la production française, et de ce qui se voit en France, représentez-vous ?

Vous n'avez pas été surprise par les mises en examen qui ont eu lieu aujourd'hui. Vous connaissez sans doute, à un titre ou à un autre, les personnes incriminées ; connaissez-vous d'autres producteurs, réalisateurs ou acteurs qui pourraient être poursuivis pour des crimes ou délits similaires ?

Liza Del Sierra. - Pour ce qui est des mineurs, mon propos était peu mesuré, comme celui, en sens inverse, de certaines abolitionnistes ; je le regrette. Il faut être mesuré, c'est l'affaire de tous. Je suis maman : j'aurai moi-même à expliquer à ma fille ce dont ma vie a été faite, et vous n'aurez pas à intervenir, Mesdames les Sénatrices ! Cette question concerne bel et bien tout le monde, les gens qui évoluent dans le milieu de la pornographie, les politiques, mais aussi les parents, l'Éducation nationale, les publicitaires, etc.

Vous avez parlé d'« éthique du fantasme ». En fait d'éthique du contenu, j'ai travaillé à travers le monde pour des sociétés qui se doivent de respecter les conditions édictées par leurs distributeurs. Canal+, par exemple, ici, en France, impose de nombreuses clauses pour une éthique du contenu.

Je ne soutiens pas ni ne participe à ce type de pratique mais n'oublions pas non plus qu'il y a une offre et une demande. S'il existe une offre et une demande pour une scène de bondage où une femme suspendue au plafond est arrosée de Nutella, qu'y trouver à redire ?

La question du consentement est centrale mais c'est bien sur l'existence d'une offre et d'une demande qu'ont surfé les grandes plateformes voleuses de contenus et diffuseuses de masse en proposant tout et n'importe quoi, hors de tout contrôle, au gré de hashtags de niche. C'est ce cadre qui peut permettre la diffusion d'images pédocriminelles. Quant à moi, je travaille et j'ai toujours travaillé avec des gens majeurs qui fabriquent des contenus pour adultes. Les plateformes de masse, elles, ne font aucune distinction entre les publics ; c'est à elles qu'il faut poser la question de l'éthique du fantasme plutôt qu'à nous qui travaillons sur le territoire français, avec des personnes majeures, en respectant le droit du travail et des règles de déontologie.

Pourquoi ne pas faire des films érotiques ? Il se trouve que nous tournons chaque film en version hard, avec pénétration, et en version soft, sans pénétration. Nous le faisons donc déjà, pour des raisons économiques. L'érotisme, ce n'est pas le même public, ni le même fantasme, ni le même contenu. Les 70 % de Français qui consomment de la pornographie ne s'en satisferaient sans doute pas - offre et demande, encore une fois...

Souvenez-vous de l'émission télévisée Jackass : au début de chaque épisode, il était précisé que les cascades avaient été réalisées par des professionnels, et ne devaient pas être reproduites chez soi... J'ai pris le parti, de même, de préciser au début de mes films que nous sommes des professionnels, que nous avons subi des tests médicaux, que le consentement de chacun et une charte déontologique ont été respectés. En tout cas, nous faisons de notre mieux pour nous responsabiliser. Ce que nous faisons est certes perfectible, mais nous travaillons énormément sur nos conditions de travail tout en restant à l'écoute des critiques.

Nikita Bellucci. - Vous avez demandé si, à notre connaissance, d'autres personnes de l'industrie pornographique pourraient être incriminées. Des enquêtes sont en cours ; j'ai été moi-même auditionnée par la section de recherche voilà deux semaines.

Vous n'êtes pas obligée de répondre : nous ne sommes pas au tribunal.

Nikita Bellucci. - D'autres personnes devraient être bientôt inquiétées, oui, et ces personnes n'ont pas pris la mesure de ce qui est reproché à celles qui se trouvent actuellement en détention.

Knivy. - Oui, en effet, certains vont bientôt devoir rendre des comptes concernant leurs agissements passés. Toutes les personnes concernées n'ont pas encore été mises en examen, mais un travail est en cours.

Carmina. - Vous disiez que l'éducation sexuelle ne relevait pas que de l'État. J'observe néanmoins, comme bien d'autres avant moi, qu'il existe une loi sur l'éducation sexuelle à l'école et que cette loi n'est pas appliquée. Si l'on pouvait consacrer à l'application de cette loi les moyens nécessaires, un pas énorme serait déjà franchi. Je précise que je parle d'éducation au sexe et non d'éducation à la reproduction. J'ai moi-même suivi ces heures d'éducation sexuelle ; j'y ai appris comment les couples hétéros faisaient les bébés, mais à aucun moment il n'y a été question de sexe ou de consentement, et ce dans le cadre d'un propos absolument hétéronormé.

Pour ce qui est de l'éthique des contenus et de l'éthique du fantasme, je rejoins absolument ce que disait Liza Del Sierra : chacun a le droit de fantasmer. Ce n'est pas à nous de juger ce que les gens ont envie de regarder et ce qu'ils ont envie de tourner, y compris s'il s'agit de fantasmes hors du commun. Ce dont il est question ici, rappelons-le, c'est de mise en scène et de fiction. À ce compte, pourquoi ne régule-t-on pas les films d'horreur ? On n'a pas à réguler les contenus sur lesquels les gens ont envie de fantasmer, comme on n'a pas à réguler les contenus sur lesquels les gens ont envie de se faire peur, de rire ou de pleurer. Nous sommes là pour faire plaisir aux gens, pour les sortir de leur quotidien, pour leur permettre d'explorer des choses qu'ils ne peuvent pas explorer dans la vraie vie - je pense aux personnes LGBTQ+ qui manquent cruellement de représentation dans les médias.

Vous disiez que, dans la plupart des films, ce qui était montré ne se passait pas vraiment. Mais il y a des films sur le tournage desquels des cascadeurs font des choses absolument incroyables, très dangereuses, beaucoup plus dangereuses que ce que nous faisons dans le porno : ces cascadeurs risquent leur vie dans le cadre d'un choix artistique. Dans les films grand public, les scènes de sexe montrent des prothèses génitales ; pourquoi pas ? Si le réalisateur fait ce choix, dont acte, mais s'il choisit de montrer de véritables actes sexuels, il doit pouvoir le faire. L'érotisme, cela existe ; ce n'est pas ce que j'ai envie de mettre en scène.

Quelle part représentons-nous dans l'industrie pornographique ? J'évolue dans un milieu relativement différent de celui de mes collègues : un porno minoritaire, objet politique, portant un message et des revendications forts. La masse des productions se trouve gratuitement sur Internet, alors que les films que je produis, comme les nombreuses productions existantes qui se trouvent être non sexistes, féministes, éthiques, sont payants.

L'industrie a profondément changé ces dernières années, à cause du Covid : avec la mise à l'arrêt des plateaux, les personnes qui travaillent dans le milieu ont autoproduit leurs propres contenus, d'où l'essor de plateformes comme Onlyfans. Il y a désormais énormément de contenus produits de façon indépendante et dans des conditions de consentement total, très loin des grosses productions de masse. Ces contenus sont nouveaux, modernes ; ainsi se trouvent multipliés les points de vue sur le sexe et sur la pornographie. Ces nouveaux indépendants qui produisent de chez eux rééquilibrent les choses en direction de contenus beaucoup plus soft : on n'a pas fini d'en voir les effets.

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