Intervention de Bruno Belin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 mars 2022 : 1ère réunion
Table ronde avec des actrices réalisatrices et productrices de films pornographiques

Photo de Bruno BelinBruno Belin :

Merci de vos témoignages, dans lesquels on a parfois ressenti beaucoup de souffrance.

Plusieurs sujets de fond et de forme nous intéressent. Sur la forme, j'ai bien compris qu'il fallait organiser la profession ; nous sommes demandeurs de vos contributions. On parle de porno éthique : des choses sont faites. L'objectif est d'abord de vous protéger vous, actrices. Il me semble qu'aucune de vous quatre n'a employé le terme de « violence ». Vous défendez une protection, une éthique, vous dites vous-mêmes que dans ce qui est mis en scène on trouve des pratiques non consenties, mais à aucun moment vous ne faites état de violences ; or on sait très bien que de tels faits existent.

Vous avez parlé de droit au retrait de certains contenus ; doit-on aller vers un droit à l'oubli ? Même si les contrats prévoient un tel droit au bout de cinq ou dix ans - faut-il encore qu'ils soient opposables... -, est-il possible de disparaître totalement de tout enregistrement ? En tout état de cause, le droit à l'oubli me paraît une cause à défendre.

Sur le fond, vous avez évoqué un droit au fantasme. Je rejoins ma collègue Laurence Rossignol : quid des contenus ? Par exemple, avez-vous un droit de regard sur les titres ? On trouve parfois, au gré des titres, des mots qui renvoient à des actes clairement prohibés par le code pénal - viol, inceste. Quelle est votre réaction devant une scène qui peut être décrite comme lesbophobe ?

La pornographie est dans les cours des collèges, vous n'en êtes pas responsables, nous sommes bien d'accord. Les autorités de régulation font leur office ; l'Arcom a d'ailleurs cette semaine saisi la justice en vue de bloquer cinq sites. Les législateurs que nous sommes ne sauraient transiger sur la protection des mineurs.

Knivy. - Concernant le droit à l'oubli, le problème est que tout ce qui est sur Internet y reste, d'une manière ou d'une autre. Aux États-Unis, par exemple, le Digital Millennium Copyright Act (DMCA) permet d'apposer une vignette sur nos contenus et de demander le retrait des vidéos en cas de piratage par des sites étrangers. Cette petite protection sous forme de simple logo n'existe pas en France ; elle change pourtant la donne. Il faudrait réfléchir à une version française de cette protection pour les sites pornographiques qui volent massivement les contenus et dupliquent les vidéos des centaines de fois.

Un mot sur les titres : j'ai été victime de certains titres racistes - beaucoup faisant référence au terme de « beurette » -, eu égard à de supposées origines que je n'ai pas, mais passons... Nous sommes nombreux à subir racisme ou lesbophobie par le biais de titres très violents, y compris lorsque le contenu n'est pas à l'avenant. Je précise que nous découvrons le titre quand le film sort.

Liza Del Sierra. - Une réponse sur le poids relatif de mes productions : je suis principalement diffusée sur Canal+ ; je produis deux des vingt-quatre films qui y sont diffusés chaque année. J'ai fait le choix de travailler peu, mais bien.

Le droit à l'oubli reste une utopie. J'ai moi-même tenté, au moment de l'obtention de mon diplôme d'infirmière, de faire supprimer les contenus piratés sur des plateformes de masse auxquelles je n'ai jamais cédé mes droits à l'image. Mon avocat est toujours sur le coup : il continue d'envoyer un recommandé par semaine... La possibilité du déréférencement existe, mais la procédure est très longue et très fastidieuse.

Pour ce qui est des titres, lorsqu'on se présente sur un tournage, le titre du film figure sur le contrat de travail. Le titre peut certes être amené à changer : j'ai réalisé l'année dernière Petits culs et crustacés et Canal+ a récusé ce titre, lui préférant Un été entre filles. Les diffuseurs, qui connaissent leur marché, ont leur mot à dire. Mais quand le film est piraté et redistribué sous le titre Trois salopes sur la plage, alors que le contenu est très « sage », je ne peux rien faire : malgré les mises en demeure à l'encontre des plateformes, je n'ai aucun moyen de protéger mes productions. L'État ne protège pas mes créations ; je suis pourtant inscrite à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), je touche des droits de réalisatrice, scénariste, dialoguiste, je remplis mes obligations auprès du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).

Carmina. - Le droit à l'oubli me paraît impossible dans la configuration actuelle de l'Internet mondial. Cela dit, notre génération et les suivantes en ont conscience ; c'est important. Les choses ont dû être beaucoup plus difficiles pour les générations précédentes - je pense à Ovidie par exemple, qui a signé des contrats pour tourner des films qui devaient être édités sur des VHS diffusées à quelques milliers d'exemplaires et s'est retrouvée, avec l'avènement des tubes, exposée auprès de millions de personnes, ce à quoi elle n'avait pas consenti. Désormais, nous savons qu'un contenu peut devenir viral du jour au lendemain. Beaucoup de ceux qui se lancent dans la pornographie aujourd'hui en ont conscience.

Le DMCA, qui existe aux États-Unis depuis la fin des années 1990, permet assez facilement de signaler les contenus piratés. J'en ai eu l'expérience lorsque j'étais modèle webcam : la quasi-totalité des shows sont captés et les contenus revendus par des pirates informatiques. Pour lutter contre ce genre d'agissements, le DMCA marche très bien : les contenus sont supprimés assez rapidement, en tout cas sur certains tubes.

J'ai beaucoup pratiqué le déréférencement auprès de Google, en signalant les URL de contenus piratés. Google représentant 95 % des recherches sur Internet, cela marche aussi relativement bien : une fois qu'un site ne ressort pas sur Google, il est bien moins visible.

Un mot sur les titres : ceux de mes films figurent dans les contrats que je fais signer. Moi qui cherche à mettre en avant les minorités visibles, je n'embaucherais pas un acteur noir pour ensuite choisir un titre raciste ; ça n'aurait aucun sens. La personne qui tourne avec moi reçoit un mood board avant d'accepter, et le titre est le plus souvent définitif, puisque personne n'a de droit de regard sur mes productions. Il y va du respect des acteurs et des actrices ; le contexte du tournage et le scénario du film participent aussi du caractère éthique du contenu.

Pour ce qui concerne le blocage de gros sites, je n'y suis pas favorable, bien que cette position soit plutôt minoritaire : bloquer les gros tubes peut se retourner contre nous, car cela ne fera que déplacer le trafic. Sur les sites qui, parce qu'ils ont pignon sur rue, ont eu intérêt à nettoyer leur image de marque, les contenus sont très surveillés ; Pornhub a supprimé neuf millions de vidéos en 2019. Je crains donc que le blocage ne se révèle contre-productif et ne profite à des sites moins contrôlés, moins propres. Attention également à ne pas provoquer, par déplacement du trafic, une escalade dans les contenus « limites ».

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