Avec le rapport que nous avons remis au ministre, dont l'essentiel des propositions seront mises en oeuvre à la rentrée 2022, nous changeons de paradigme. Les premiers travaux sur l'égalité entre filles et garçons datent d'une quarantaine d'années : en 1984, Jean-Pierre Chevènement et Yvette Roudy amorcent les premières réflexions sur la place des filles et des femmes dans les filières scientifiques. À l'époque, l'approche est centrée sur l'orientation, considérée comme une cause, plutôt qu'une conséquence. Nous changeons cela et, à cette fin, agissons sur deux niveaux.
Le premier niveau se situe dans la classe. Le rapport maître-élève est tel que le geste professionnel d'un enseignant a une influence sur la représentation des filles, sur leur confiance en elles-mêmes et leurs choix futurs. Le premier changement de paradigme consiste à faire prendre conscience aux enseignants de leur influence sur les représentations, les stéréotypes, et, par conséquent, sur les projections de parcours. Notre rapport identifie un certain nombre de travaux scientifiques qui montrent combien on peut modifier le rapport aux mathématiques et aux sciences des filles à partir de la manière dont elles sont interpellées et stimulées dans la classe.
Le deuxième niveau se situe dans les établissements, qui doivent avoir des objectifs clairs. Nous nous sommes posé la question des quotas, à l'image des quotas de boursiers dans les classes préparatoires. Finalement, le ministre a retenu l'idée qu'entre 2022 et 2025, chaque enseignement de spécialité de lycée, chaque filière technologique et chaque filière sélective post-bac devrait avoir au moins 30 % de mixité, ce qui va dans les deux sens, les garçons étant très peu présents dans les lettres et les humanités.
Au-delà du changement de paradigme, la Présidente Billon a annoncé des chiffres qui montrent un effondrement de la part des filles dans les filières scientifiques et mathématiques. À ce sujet, trois remarques.
D'abord, il ne faut pas comparer ce qui n'est plus comparable. Nous étions auparavant dans une logique de série : les séries A, B, C, D depuis 1965 puis L, ES, S à partir de 1994. La série est un menu complet. En 2018, plus d'un élève sur deux allait en série S. En vingt ans, le lycée a progressivement dérivé vers la série S, considérée comme une série d'excellence mais dont seulement 52 % des élèves se dirigeaient ensuite vers les filières scientifiques, avec des proportions à peu près symétriques s'agissant des filles. La nouvelle logique du lycée n'est pas une logique de menu mais une logique de choix à la carte. Ce choix à la carte part d'un principe pédagogique extrêmement simple, celui de la motivation des élèves lorsqu'on les invite à choisir une spécialité. Depuis le mois de janvier, il y a eu quelques polémiques autour des mathématiques. Je m'étonne un peu que certains mathématiciens comparent des choses qui ne sont pas totalement comparables. On ne peut comprendre le choix des filles et des garçons au lycée qu'en fonction de cette logique de choix, en fonction de leur appétence, et non à partir de la logique antérieure des séries.
Ma deuxième remarque porte sur la situation effective des filles dans le cadre du nouveau lycée. Certes, il y a potentiellement moins de filles dans les matières scientifiques, mais que deviennent, un an après, celles qui ont choisi mathématiques, physique, chimie, Sciences et vie de la terre (SVT), Numérique et sciences informatiques (NSI) ou Sciences de l'ingénieur (SI) ? Nous devons faire preuve de prudence méthodologique. La réforme n'a qu'un an, le contexte du Covid est présent, nous manquons de recul. Mais d'ores et déjà nous constatons un frémissement au niveau des quatre classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) scientifiques : un peu plus de filles les ont choisies. En l'état actuel, il est vrai qu'il y a moins de filles dans les parcours scientifiques, et particulièrement les plus mathématisés, mais il y a plus de filles qui s'orientent vers les sciences et les mathématiques après le bac.
Enfin, il importe que nous ne travaillions pas seulement sur l'aspect orientation, mais également sur les actions à mener dans les lycées, collèges et écoles. L'Éducation nationale a sa part de responsabilité dans la situation et ne peut s'en exonérer. Nous devons corriger ou atténuer certains effets de la réforme. Cette correction relève aussi de choix de société. Ce qui est sûr, c'est qu'à travers notre rapport, le ministre Blanquer prend une vraie orientation politique. C'est un travail de longue haleine qui nécessite une grande détermination.