J'en arrive à la dernière thématique abordée dans notre rapport : comment faut-il faire évoluer la stratégie de lutte contre le virus ? Depuis l'apparition du SARS-Cov-2, de nombreux variants ont émergé, modifiant la dynamique de la pandémie. La protéine de spicule située à la surface du virus permet son entrée dans les cellules humaines. Les mutations intervenant au niveau de cette protéine sont donc particulièrement susceptibles de modifier l'interaction entre le virus et les cibles humaines et donc de conférer un avantage évolutif aux variants correspondants. Les mutations observées sur les premiers variants préoccupants ont majoritairement concerné cette protéine, modifiant la position du domaine de liaison au récepteur (RBD) afin d'augmenter sa capacité d'attachement au récepteur ACE2. Par conséquent, l'émergence de ces nouveaux variants s'est traduite par une augmentation de leur transmissibilité, de même que de leur virulence. Comme pour le VIH, il semble que les infections les plus transmissibles aient également tendance à être les plus virulentes. Heureusement, une forte immunité croisée entre ces variants a limité l'impact de cette augmentation de virulence, les personnes immunisées contre un variant antérieur restant bien protégées.
L'émergence d'Omicron a cependant marqué un important changement dans l'évolution du virus : plus contagieux, il s'est révélé moins virulent que les variants précédents. Cela peut être expliqué par la colonisation d'une nouvelle niche écologique : alors que les variants précédents ciblaient majoritairement les voies respiratoires inférieures, ce variant affecterait principalement les voies respiratoires supérieures, ce qui se traduit par un moins grand risque de pneumonie sévère et donc de forme grave de Covid-19.
En revanche, les mutations présentes au niveau de la protéine de spicule qui permettent au variant Omicron d'augmenter l'affinité de ces spicules dans le récepteur ACE2 se traduisent par un important échappement immunitaire, les protéines de spicule étant également la cible des anticorps. Dès lors, les sérums de patients immunisés à la suite de la vaccination ou d'une infection par un variant antérieur ont un potentiel de neutralisation fortement diminué vis-à-vis du variant Omicron.
Il est difficile d'anticiper les caractéristiques des futurs variants. Jusqu'à présent, aucun de ceux jugés préoccupants n'était issu d'un précédent considéré comme préoccupant. Il n'est donc pas exclu que ce schéma se répète à l'avenir et qu'émergent ainsi des variants présentant des changements phénotypiques importants. Cependant, les pressions de sélection exercées sur le virus ont aujourd'hui énormément changé. La population étant largement immunisée, les futures mutations devront, pour conférer un avantage évolutif au virus, à la fois permettre d'échapper aux anticorps qui sont aujourd'hui présents dans une grande partie de la population, et maintenir une capacité de liaison suffisante au récepteur ACE2 pour pouvoir infecter les cellules humaines.
Les coronavirus saisonniers peuvent ouvrir une perspective et laisser espérer que le SARS-Cov-2 évolue à terme vers un virus avec un pouvoir pathogène faible.
Il convient cependant de rester relativement prudent quant aux comparaisons entre le SARS-Cov-2 et d'autres virus, y compris les coronavirus humains. Ces analogies nous ont en effet conduits, au cours des mois passés, à sous-estimer la transmission avant l'apparition des symptômes, la transmission par voie aérienne et même l'ampleur globale de la pandémie. Par ailleurs, plusieurs phénomènes pourraient conférer un pas évolutif supplémentaire au SARS-Cov-2 et favoriser l'émergence de variants montrant d'importants changements phénotypiques, comme une recombinaison avec un autre virus ou une rétro-zoonose. Il est donc difficile de prédire les prochains changements évolutifs du SARS-Cov-2 et la mise en place d'une surveillance génomique de grande ampleur apparaît essentielle pour suivre au mieux l'émergence de nouveaux variants et anticiper ses évolutions.
Les scientifiques que nous avons auditionnés ont d'ailleurs formellement rejeté les discours annonçant une fin proche de la pandémie. Le virus devrait circuler pendant encore de nombreuses années et l'épidémie adopter un régime de vagues successives, probablement hivernales, comme la grippe ou le virus respiratoire syncytial. Une installation saisonnière du virus ne signifie pas nécessairement une mise en tension régulière du système de santé, comme au début de la crise. L'amélioration du diagnostic, de la thérapeutique et de la prise en charge ainsi qu'une meilleure immunité de la population devraient permettre de minimiser l'impact des futurs pics épidémiques.
L'évolution du virus doit être ainsi l'occasion de s'interroger sur la stratégie de lutte sanitaire contre celui-ci à moyen terme. Les derniers événements connus rendent irréaliste tout espoir d'une élimination du virus. Nous devons donc nous orienter vers une stratégie d'atténuation pour limiter l'impact des vagues successives du coronavirus. La question de l'ampleur du contrôle de l'épidémie à mettre en place et des marqueurs adéquats à utiliser est dès lors posée.
Au vu de l'important pic épidémique lié à la vague Omicron et du nombre de décès hospitaliers associés relativement contenu (moins de 300 par jour), le nombre de contaminations quotidiennes, très difficile à estimer avec une telle circulation, n'apparaît plus nécessairement comme un indicateur pertinent pour définir des objectifs partagés de santé publique. Les hospitalisations, et plus particulièrement les réanimations, apparaissent comme un marqueur beaucoup plus robuste, et une stratégie basée sur la maîtrise de cet indicateur permettrait de limiter la charge pesant sur les services de soins ainsi que le nombre de décès engendrés par la Covid-19.
Une telle approche permettrait aussi de contenir le nombre de Covid longs, dont la prévalence semble en partie corrélée à la gravité des symptômes développés lors de l'infection. Un débat devra être mené afin de déterminer un nombre recevable de patients en réanimation et définir ainsi des objectifs de santé publique raisonnables. Ces objectifs devront être fondés sur la pathogénicité du virus et déterminés en association avec le Parlement à la suite d'un débat approfondi. En outre, ils devront s'accompagner d'une discussion sur les mesures à adopter pour parvenir à ces objectifs ; elles devront être proportionnées et minimiser l'ensemble des conséquences extérieures négatives.
La vaccination, bien sûr, est un outil essentiel de la lutte contre le virus puisqu'elle permet, si elle est suffisamment acceptée par la population, de minimiser le risque d'avoir recours à des restrictions plus lourdes, comme la fermeture des espaces publics, l'école à la maison, le confinement, etc. Cependant, la protection apportée par les vaccins décroît avec le temps. Ainsi, il est possible qu'une installation endémique du SARS-Cov-2 requière l'administration de rappels vaccinaux réguliers et qu'un schéma vaccinal similaire à celui utilisé contre la grippe, reposant sur l'administration d'un rappel en anticipation de la vague épidémique, soit nécessaire. Si le virus demeure virulent et conserve une distribution des cas graves similaire à la situation actuelle, il pourra alors être pertinent de vacciner préférentiellement les personnes à risque et les personnes en contact avec celles-ci, toujours sur le modèle de la vaccination antigrippale.
Cependant, la future stratégie vaccinale ne pourra être déterminée qu'à l'aune de l'évolution du virus et de l'efficacité vaccinale, ainsi qu'en fonction des éventuels développements de nouveaux vaccins pour lesquels de nombreuses incertitudes demeurent. On sait que, même vaccinées, un certain nombre de personnes vulnérables risquent de développer une forme grave de Covid-19. Ces personnes ne doivent pas apparaître comme une variable d'ajustement de la politique sanitaire, qui ne peut donc reposer sur une stratégie purement vaccinale. Ainsi, il pourrait être nécessaire d'avoir temporairement recours à une partie des interventions non pharmaceutiques qui ont été mises en place depuis le début de la pandémie : port du masque, télétravail, protocoles sanitaires, fermetures de lieux, notamment de ceux à haut risque de contamination. De même, l'instauration de normes relatives à la ventilation et à la purification de l'air dans les lieux recevant du public ainsi que l'augmentation du nombre de lits en réanimation pourraient faire partie des mesures nécessaires pour lutter contre un SARS-Cov-2 endémique.
Dans le cadre d'une telle endémisation, la stratégie de dépistage devra également être revue. Face à un variant fortement transmissible comme Omicron, il est impossible de tracer l'ensemble des chaînes de contamination, voire de détecter la totalité des cas positifs. Ainsi, les tests antigéniques et PCR pourraient être réservés aux personnes symptomatiques, à celles susceptibles de développer une forme grave ainsi qu'à leurs proches, et la surveillance de la maladie pourrait être réalisée à partir d'évaluations statistiques, comme pour la grippe. Il conviendra cependant de faire en sorte qu'un retour à la stratégie initiale puisse être effectué rapidement en cas d'émergence d'un nouveau variant plus virulent.
Enfin, on peut espérer que des progrès vis-à-vis de la prise en charge thérapeutique de la maladie permettent de mieux vivre avec le virus. Dès les prochaines semaines, la mise sur le marché du Paxlovid, qui réduit fortement le risque d'une forme sévère, devrait permettre une meilleure prise en charge.
Nous avons émis plusieurs recommandations sur cette partie. La première appelle à mettre en place une surveillance génomique de grande ampleur à l'échelle mondiale, chez l'homme comme chez l'animal, afin de connaître précisément la diversité virale en circulation et d'anticiper l'émergence de futurs variants.
Il faudrait également ouvrir aux chercheurs un plus large accès en temps réel aux données des agences de santé afin de bénéficier des compétences et de l'engagement du monde académique. C'est une très forte demande de la part des milieux académiques et il faut que l'ensemble des données puisse leur être ouvert. Nous avons déjà engagé des démarches en ce sens.
Il conviendrait d'ouvrir un débat sur la stratégie à mettre en oeuvre à moyen terme pour faire face au virus en y incluant l'ensemble des paramètres.
La stratégie qui sera définie pour pouvoir faire face à la forte imprévisibilité du virus devra être très adaptable.
Enfin, il faudrait faire de la prévention et de l'éducation sanitaire, notamment auprès des personnes vulnérables.
J'insiste tout particulièrement sur la troisième recommandation que je viens d'évoquer à l'instant qui est d'engager un débat ouvert : le débat doit avoir lieu entre les pouvoirs publics, la communauté scientifique et le Parlement.