Madame la Présidente, je tiens à vous remercier, au nom de mon organisation syndicale, le SNICS-FSU, de votre invitation à participer à cette table ronde. Cette thématique, tout comme celle du harcèlement scolaire, pour laquelle le Sénat nous avait déjà auditionnés, est particulièrement importante, surtout avec le développement des réseaux sociaux et des nouveaux moyens de communication.
En préambule, je tiens à souligner que je traiterai et développerai plus particulièrement deux axes : les conséquences de la pornographie sur la santé mentale des jeunes et ses conséquences sur leur rapport au corps, à la sexualité et aux autres.
Il est important de souligner que c'est aussi bien lors de consultations infirmières à la demande que lors d'actions collectives de prévention menées au sein même des établissements scolaires que la parole se libère. Quand cette libération de la parole intervient, elle conduit par la suite à une demande très forte en consultations infirmières de ces jeunes, ce qui est rendu possible par la proximité immédiate des infirmières dans un de leurs principaux lieux de vie, avec la garantie du respect du secret professionnel, sauf en cas de faits relevant de la protection de l'enfance.
Nous pouvons observer lors de ces consultations infirmières individuelles ou de ces actions de prévention collectives que certains enfants et adolescents, à un âge où ils sont en pleine construction, peuvent présenter des symptomatologies variées, allant du traumatisme lié au fait qu'ils ne s'attendaient pas aux images visionnées, jusqu'à une chute des notes, des difficultés à se concentrer qui peuvent avoir un impact fort sur leur réussite scolaire.
Cela passe aussi parfois par du repli sur soi, de l'isolement, des troubles du sommeil, de l'alimentation, des obnubilations avec des scènes qui reviennent en flash-back à tout moment dans la journée et très souvent un important sentiment de culpabilité, de honte et de dégoût.
Les conséquences sont donc psychologiques comme physiques, quand les mots ne peuvent être mis sur ce qui est ressenti.
L'infirmière, par son analyse des situations et le diagnostic infirmier, peut questionner des passages fréquents pour céphalées, douleurs abdominales et nausées, autant de signes parfois révélateurs de mal-être chez les jeunes. Certains vont même jusqu'à se scarifier, tant les images qu'ils ont vues ont eu un impact sur leur psychisme.
Les jeunes concernés peuvent aussi présenter des troubles du comportement inhabituels : attitude agressive ou violente, mimétisme avec des situations vues sur les écrans, dessins à caractère sexuel sur des cahiers d'école, bruitages, par exemple des gémissements de femmes, insultes à caractère sexuel vulgaire dont ils ne comprennent parfois même pas le sens.
Pour un nombre non négligeable d'entre eux, ces visionnages vont provoquer des addictions, parfois prématurément, dès la sixième, les amenant à visionner plusieurs fois par jour des vidéos pornographiques pour ressentir une excitation, ou un besoin de masturbation.
Il y a une dissonance entre l'éducation reçue, les valeurs transmises de respect, d'altérité, d'attention, d'égalité homme-femme, de ce qu'ils imaginent de l'intimité et de la sexualité de leurs proches - et notamment de leurs parents - qui les interroge et ce qu'ils peuvent voir, qui est tout le contraire !
Quelles sont les conséquences pour ces enfants et adolescents en plein développement-construction ?
Pour ces jeunes, le rapport au corps, à la sexualité et aux autres est forcément affecté. On peut observer la peur de devenir adulte, des questionnements sur leur corps et leur normalité physique, par rapport aux acteurs dont ils voient les « performances » ou les orientations sexuelles.
Cette vision troublée de la sexualité et des relations provoque aussi des difficultés à se projeter dans une relation amoureuse à deux, avec la peur de ne pas être à la hauteur, de devoir reproduire ce qu'ils ont vu et qu'ils pensent être la norme. Cela peut passer par l'acceptation de certaines pratiques sexuelles de peur d'être quitté ou des représentations erronées du sexe opposé. Ils peuvent être surpris de découvrir qu'ils partagent des sentiments amoureux communs avec le sexe opposé.
On retrouve aussi des comportements hyper-sexualisés et inappropriés en rapport à leur âge : demande de « nude » et partage avec d'autres jeunes sans le consentement de la personne à l'origine de l'image. Nous constatons aussi des incitations en direction de plus jeunes à rechercher ou visionner ce type de vidéos ou des attouchements, voire des agressions sexuelles, parfois dans une même fratrie.
On peut aussi se demander jusqu'à quel point ce visionnage de vidéos pornographiques peut influencer par la banalisation et la désinhibition de certains jeunes « fragiles » qui se filment en plein acte sexuel pour diffusion via les réseaux sociaux ou autres. Nous nous interrogeons sur le lien entre cette banalisation et l'augmentation de la prostitution des mineurs.
Pour le SNICS-FSU, il n'est pas possible de laisser l'industrie de la pornographie faire l'éducation à la sexualité des jeunes mineurs, futurs citoyens de demain. Les valeurs véhiculées par la pornographie créent une norme dans la sexualité et construisent l'idée du plaisir et du désir sur la domination, en dissonance avec les valeurs de notre société, et avec des conséquences sur le bien-être des jeunes.
Il ne faut pas que la norme véhiculée aujourd'hui par l'industrie de la pornographie crée la norme de notre société !
Toute la communauté éducative est concernée et doit réfléchir aux actions communes à mettre en place dans le cadre des Comités d'éducation à la santé, à la citoyenneté et à l'environnement (CESCE).
Le travail de déconstruction et d'information sur ces pratiques que les infirmières de l'Éducation nationale réalisent lors de leurs interventions de prévention et d'éducation à la santé, tant sur le consentement, le plaisir mutuel, le sexisme, la contraception, la sexualité, la puberté que les relations amoureuses et le respect, est primordial.
Ce travail se mène en parallèle lors des entretiens individuels au cours des consultations infirmières. L'accompagnement de ces jeunes par l'écoute, la relation d'aide sans jugement contribue à les réassurer, en mettant des mots sur ce qu'ils peuvent vivre. C'est aussi la possibilité de les orienter vers des prises en charge, notamment psychologiques, quand elles sont nécessaires.
La décision de recours aux soins est souvent difficile et le travail mené au quotidien par les infirmières pour les aider dans l'acceptation peut prendre du temps, nécessite de la confiance et un travail en équipe associant les familles dès que les jeunes y sont prêts.
Le SNICS-FSU appelle donc au renforcement des consultations infirmières de premier recours au sein des établissements scolaires, et donc à des créations de postes infirmiers pour mener à bien toutes ces missions. Nous ne sommes actuellement que 7 700 infirmiers de l'Éducation nationale pour 62 000 sites scolaires et treize millions d'élèves !
Cela complexifie la charge de travail pour les infirmières de l'Éducation nationale, et entraîne une difficulté à couvrir et à doter les 62 000 structures scolaires en matière d'actions de prévention, de consultations infirmières individuelles et de possibilités de conseils techniques aux chefs d'établissement et aux équipes éducatives.
Le SNICS-FSU revendique aussi des formations initiales et continues permettant d'actualiser les connaissances en matière d'éducation à la santé et de conduite de projet. Cette problématique de manque de formation pourrait être réglée par la création du master Infirmier conseiller de santé (ICS), que nous revendiquons, et par la mise en oeuvre du Développement professionnel continu (DPC).
Je profite de la fin de cette intervention pour vous interpeller sur la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) et la réintroduction de la décentralisation de la santé à l'école par le Sénat.
Pour le SNICS-FSU, c'est une erreur parce que la capacité à agir sur la santé des élèves doit rester de la responsabilité pleine et entière du ministre de l'éducation nationale. La décentralisation empêcherait les professionnels de santé d'agir au sein de la communauté éducative pour porter les projets de prévention, et surtout priverait les élèves de la consultation infirmière nécessaire pour libérer leur parole sur de nombreux sujets, mais aussi pour réduire les inégalités de santé.
C'est une erreur de confondre l'action des professionnels de santé et du ministre de l'éducation sur les déterminants de santé au service de la réussite scolaire des élèves avec le suivi de l'état de santé de la jeunesse. Rassembler tous les professionnels de santé qui ont en charge ces missions aboutirait à perdre leurs expertises respectives sans améliorer la réponse aux besoins.
Le SNICS-FSU se tient à votre disposition pour échanger sur sa position, qui est aussi celle de la quasi-totalité des infirmières de l'Éducation nationale, puisque 97 % de la profession est opposée à la décentralisation.