Intervention de Béatrice Copper-Royer

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 30 mars 2022 : 1ère réunion
Table ronde sur l'accès des mineurs aux contenus pornographiques et ses conséquences

Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne spécialisée dans l'enfance et l'adolescence :

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, vous l'avez compris, il n'a jamais été aussi facile pour les enfants et les adolescents d'avoir accès à des contenus pornographiques, de manière délibérée ou accidentelle. Deux tiers des enfants de 12 ans ont un téléphone portable et accès à Internet librement.

Quand l'exposition à des images pornographiques arrive tôt, avant 12 ans, elle est le plus souvent involontaire. Un jeune sur deux affirme être tombé dessus par hasard, en faisant une recherche ou en regardant l'ordinateur d'un frère ou d'une soeur, d'un cousin, plus âgé. Avant la puberté, ces images sont une effraction psychique qui les sidère, leur fait peur, parfois les fascine et les excite. Ils ne sont absolument pas préparés à voir ces images violentes, car les enfants n'ont aucune représentation psychique de la sexualité génitale des adultes et sont violemment agressés par ce qu'ils ont tout à coup sous les yeux.

Certains vont oser en parler à leurs parents, mais beaucoup ne vont pas le faire, se sentant en faute et ayant peur de se faire gronder. Ce silence, cette culpabilité et la prégnance des images qu'ils ont vues vont provoquer chez bon nombre d'entre eux des troubles anxieux, proches de ceux que l'on retrouve dans un syndrome de stress post-traumatique : troubles du sommeil, cauchemars, agitation, maux de ventre, de tête, crise d'angoisse. C'est en général ces symptômes qui intriguent et inquiètent les parents. Quand ils n'arrivent pas à élucider eux-mêmes l'origine de ce mal-être, ils consultent. Je reçois souvent des enfants, garçons ou filles, entre 8 et 11 ans, qui parviennent, avec du temps et de la patience, à se libérer de ce secret qui les angoisse.

Les plus grands, les adolescents, eux, ont rarement accès à la pornographie par hasard. Ils y vont par curiosité, par transgression, parce qu'ils pensent qu'ils vont en tirer un apprentissage utile ou tout simplement pour ne pas avoir l'air de bébés devant leurs copains. À cet âge-là, c'est très important de montrer que l'on sort de l'enfance. Ils y vont souvent avant d'avoir une sexualité active. Je pense moi aussi qu'ils ont peu de capacité de distanciation face aux images qu'ils voient.

C'est devenu banal de voir ces images. Pour autant, les effets peuvent être toxiques sur leur vision de la sexualité. En effet, la pornographie réduit comme peau de chagrin la part de rêverie, de fantasmes, de pensée, qui sont essentiels dans les rapports sexuels et amoureux. Elle réduit à néant la part de créativité personnelle pour imposer, via ces images animées et crues, des scénarios et des normes.

Le diktat des films pornographiques annihile toute forme de liberté dont auront besoin les adolescents pour construire leur propre sexualité.

Un autre effet pervers est que les adolescents abordent la sexualité sous l'angle de la performance, ce qui est évidemment angoissant et inhibant. La taille du sexe, par exemple, peut terriblement inquiéter les garçons, qui se sentent bien petits et risque de réactiver une angoisse de castration et un manque de confiance en eux. Face à ce qu'ils considèrent comme des exploits, ils ont peur de ne jamais être à la hauteur. L'idéal pornographique est tyrannique et angoissant.

Sans repères, ils ont du mal à remettre en cause les représentations de la sexualité que ces images véhiculent. Comme ils consomment ces images seuls, ils n'ont pas la possibilité d'être rassurés. Aucun discours adulte ne leur permet alors de mettre à distance les émotions liées à ces contenus. L'absence de parole autour des sensations et des représentations générées leur fait cruellement défaut.

Il semble que les filles sont moins friandes de ces images, mais elles en regardent quand même, pour faire plaisir à leur petit copain parfois, ou pour ne pas passer pour des imbéciles.

Ne craignant pas les paradoxes, celles qui dénoncent ces pratiques, qui souvent s'indignent à la suite des nombreux hashtags qui fleurissent sur Twitter ou d'autres réseaux, se croient obligées d'adopter certains codes pour être des partenaires averties et acceptables : épilation totale du pubis et pratiques en tout genre, fellation en tête.

Bien loin d'un échange égalitaire, d'une découverte partagée et respectueuse, d'une intimité complice, la pornographie leur renvoie une image violente de femmes dominées. Il y a incontestablement, via ces vidéos pornographiques, un renforcement des discours misogynes, une représentation caricaturale des stéréotypes de l'homme hyper viril et dominateur et de la femme soumise et consentante. Pour faire plaisir à sa petite copine, il faudrait lui taper sur les fesses et la tirer par les cheveux...

Il n'y a aucune place pour une dimension affective, ce qui renforce le risque pour eux d'agir de façon abrupte dans la réalité. Il n'y a aucune place non plus pour le consentement, dont il faut inlassablement leur rappeler l'importance.

Enfin, ces vidéos ont probablement comme dommage collatéral de banaliser l'image des corps dénudés. Nous voyons bien, à l'association e-Enfance, combien la pratique des « nudes » augmente de façon surdimensionnée, avec des effets pervers. Les garçons et les filles s'envoient maintenant le plus banalement du monde via Instagram ou Snapchat, des images d'eux nus, parfois dans des postures très impudiques. Les notions de pudeur et d'intimité y sont bien sûr totalement bafouées. Au-delà, ces photos qui, une fois postées, ne leur appartiennent plus, favorisent hélas le « revenge porn » et le cyber-sexisme, qui sont les nouvelles formes de violence dont font les frais tous ces jeunes connectés en permanence aux réseaux sociaux. En effet, ces images, une fois récupérées, circulent sur la toile et font l'objet de chantage et de menaces, avec parfois des conséquences dramatiques.

Pour terminer, je dirai que la pornographie est une réponse malsaine à une préoccupation saine. Les jeunes vont chercher ces images car ils ne trouvent pas les réponses ailleurs. Leurs parents sont très frileux et parlent peu de sexualité. Ils sont surpris quand ils réalisent que leurs enfants regardent ces vidéos, dans une forme de déni d'une réalité que pourtant ils connaissent. Les professeurs font ce qu'ils peuvent, mais les cours d'éducation sexuelle sont souvent réduits à une information sur les maladies sexuellement transmissibles, la contraception, le préservatif, ce qui n'est déjà pas si mal, mais pas suffisant.

Il faudrait pourtant que les adultes entendent qu'ils doivent faire contrepoids à cette vision violente et normative de la sexualité. Internet a considérablement appauvri la transmission intergénérationnelle. Pourtant, les parents, j'en suis persuadée, continuent d'avoir des valeurs à transmettre à leurs enfants sans crainte de passer pour des ringards : ils doivent rappeler l'importance de l'intimité, de la pudeur, du respect, de l'échange complice, du consentement bien sûr.

Enfin, je voudrais saluer le travail des productrices du programme « Sexotuto », Maïtena Biraben et Alexandra Crucq, qui, conscientes des effets toxiques de la pornographie sur les adolescents, proposent sous une forme assez ludique des vidéos qui viennent répondre de façon claire, sans tabou, mais jamais de façon vulgaire, aux questions que les adolescents se posent légitimement sur la sexualité.

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