Intervention de Grégoire Borst

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 30 mars 2022 : 1ère réunion
Table ronde sur l'accès des mineurs aux contenus pornographiques et ses conséquences

Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation et directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant au CNRS (LaPsyDÉ) :

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je vais avoir un positionnement un peu différent de celui des orateurs précédents puisque je ne travaille pas spécifiquement sur la problématique de l'exposition à la pornographie. Je suis spécialiste du développement cérébral de l'enfant et de l'adolescent, ce qui, je pense, a à voir avec le sujet qui nous réunit aujourd'hui.

Quand on parle d'éducation à la sexualité, on doit penser à l'éducation plus globale de l'enfant et de l'adolescent, ces images agissant bien sur un cerveau en développement. Cela peut expliquer qu'à différents âges ces images n'aient pas le même effet et que les motivations de ceux qui les regardent ne soient pas les mêmes.

Il faut savoir que nous sommes l'espèce du règne animal chez laquelle le cerveau se développe le plus longtemps. Notre cerveau est en développement pendant tout le temps de notre enfance et de notre adolescence cérébrale, qui se termine à 20 ou 25 ans, et non pas à 18 ans. La période de la très jeune enfance est une période de sensibilité extrêmement forte à l'environnement. On sait, par exemple, que des enfants qui se développent dans des milieux sociaux défavorisés voient leur courbe de croissance cérébrale diverger de celles d'enfants vivant dans des milieux favorisés, dès quatre mois après la naissance. Tel est le poids de l'environnement sur le développement cognitif et socio-émotionnel de l'enfant. La période de l'adolescence est une autre période de sensibilité extrêmement forte à l'environnement.

Quand on se pose la question de l'exposition à la pornographie, il faut avoir en tête qu'il y a deux types d'expositions : non voulue ou voulue. Cependant, même dans le cas d'une exposition voulue, c'est--dire même si l'adolescent a une motivation pour aller regarder ces images, se pose la question de la manière dont il recevra ces images et de l'impact que ce visionnage produit sur un cerveau en développement.

À l'adolescence, le système limbique, c'est-à-dire l'ensemble des noyaux enfouis au coeur de notre cerveau, impliqué dans notre réactivité émotionnelle, dans notre réseau de la récompense et dans notre recherche de plaisir, est extrêmement réactif. La croissance du système limbique va être beaucoup plus rapide que celle de notre cortex préfrontal, qui est impliqué précisément dans la régulation de l'activité de notre système limbique. À l'adolescence, le système limbique est beaucoup plus réactif et affecté par ce qu'il voit. À d'autres âges de la vie, il réagit de moins en moins fortement à la répétition d'une situation donnée. À l'adolescence, il réagit toujours de la même manière. Il n'y a pas d'habituation. Aussi, l'exposition répétée à des images choquantes produit à chaque fois la même réaction émotionnelle très forte, ce qui peut créer du traumatisme.

Peut-on pour autant dire qu'il y a une problématique de santé publique de ce point de vue là ? Je ne sais pas répondre à cette question car je ne dispose pas d'assez de données pour savoir quelle est la prévalence des traumatismes.

Nous savons que le cerveau des adolescents est plus vulnérable, mais nous ne savons pas exactement comment il réagit face à des images pornographiques.

Il y a aussi de nombreux interdits autour de la pornographie. On en parle peu et on l'étudie peu dans sa dimension neuropsychologique.

Nous savons par ailleurs que le cerveau des adolescents, dirigé par le système limbique, est beaucoup plus sensible à l'environnement social et au conformisme social : si mes camarades regardent de la pornographie, je serai tenté d'en regarder également.

Par conséquent, quand on pense la problématique de l'éducation à la sexualité, il faut expliciter ce qu'est ce cerveau en développement : quelles sont ses particularités ? Pourquoi est-il plus sensible à l'opinion des autres ? Pourquoi, de ce fait, est-il entraîné à prendre des décisions non optimales, qui échappent au libre arbitre ?

Le cerveau des adolescents prend plus de risques. Si ces derniers sont exposés à des contenus pornographiques dans lesquels les acteurs ne sont pas protégés, ils pensent non pas à l'éventualité d'une MST, mais plutôt à la recherche du plaisir grâce à une relation sexuelle. Car ils passent leur temps à faire l'évaluation du ratio coût-bénéfice, mais pas de la même façon que des adultes. Ils peuvent ainsi s'engager dans des fire challenges, dont ils connaissent très bien la dangerosité. Mais ils pensent recueillir ainsi un million de vues sur Youtube. Ils ne prennent pas leurs décisions comme nous-mêmes les prenons.

Par ailleurs, leur cortex préfrontal n'a pas toute la capacité de réévaluer la situation. Là est le véritable enjeu : les adolescents ont-ils la capacité de réévaluer ces images ? Peuvent-ils se dire que ce qu'ils voient ne relève pas de la réalité ? Peuvent-ils se rendre compte qu'ils ne sont plus dans la réalité ? Si tel est le cas, ils diminuent l'impact de ces images et le traumatisme qui peut survenir. C'est aussi par ce prisme qu'il faut aborder cette problématique.

La difficulté, c'est qu'il n'y a pas de système de valeur associé à la sexualité chez les adolescents, parce qu'on n'en parle pas suffisamment avec eux.

L'exposition à du contenu violent à l'adolescence n'a pas d'effet sur les comportements dans la vie réelle. On pourrait se dire que si c'est la même chose avec la sexualité, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Sauf que, en matière de violence, il y a des normes associées, l'adolescent sait parfaitement qu'il ne peut pas tirer sur d'autres individus dans la vie réelle. En matière de sexualité, l'adolescent n'a pas forcément construit cet ensemble de normes, qui relèvent de l'intime et que les adultes n'abordent pas nécessairement avec les enfants. Se pose donc la question de la réévaluation de ce que l'adolescent observe.

Il convient de penser une éducation de ce point de vue. L'école doit être le lieu où l'on transmet de façon extrêmement explicite les normes de consentement. Ainsi, l'adolescent peut décider de regarder de la pornographie, mais avec un système de valeur associé, qui lui permet de réévaluer ce qu'il est en train de regarder. C'est absolument fondamental.

La question qui se pose est la suivante : quelle est la réalité du phénomène dans la population ? C'est une question ouverte, dont le prisme est psychologique. Or les psychologues sont en nombre insuffisant dans les établissements scolaires. Dans notre pays, il y a un psychologue de l'Éducation nationale pour 1 600 élèves. En Finlande, il y en a un pour 400 élèves.

Car si l'on pense qu'il y a des problématiques de traumatismes du fait de l'exposition à la pornographie, il faut que des professionnels de santé, des psychologues, s'en occupent.

Du point de vue du cerveau, il n'y a pas d'addiction à la pornographie. Il peut y avoir une utilisation excessive de l'exposition à la pornographie, mais il n'y a pas de transformation des récepteurs ou des neurotransmetteurs, qui ferait que les adolescents ne seraient plus en mesure de ne plus regarder de pornographie. De la même manière, il n'y a pas d'addiction aux écrans ou aux jeux vidéo. Il s'agit simplement d'un gaming disorder.

Enfin, tout cela appelle à se poser la question non seulement de l'éducation à la sexualité, mais aussi de l'éducation aux compétences socio-émotionnelles. Il faut que l'adolescent soit en mesure de comprendre ses émotions face à de tels contenus. Le poids de cette éducation ne peut porter uniquement sur les parents. L'école doit prendre en charge ce type d'éducation, ce qui remet en question nos programmes scolaires, qui doivent être évalués, car ils ne répondent plus aux grands enjeux du XXIe siècle. Il faut faire une place à l'éducation à la sexualité, mais aussi à toutes les compétences socio-émotionnelles, qui sont si importantes à l'adolescence.

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