Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 avril 2022 à 16h35
Politique étrangère et de défense — Mission d'observation électorale de l'assemblée parlementaire de l'organisation pour la sécurité et la coopération en europe ap-osce en hongrie du 1er au 4 avril 2022 - communication

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Compte tenu de la remise en cause des principes fondateurs de l'Union par la Hongrie, en particulier concernant la situation de l'État de droit, l'absence de pluralisme des médias et la corruption cette mission d'observation électorale était importante. Je vous renvoie d'ailleurs au rapport que Jean Bizet, André Gattolin et moi-même avions réalisé au nom de la commission des affaires européennes, à la suite de notre déplacement de septembre 2020.

Le Parlement hongrois, monocaméral, est composé de 199 membres : 106 sont élus dans des circonscriptions au suffrage majoritaire à un tour, 93 à la proportionnelle, selon un principe de « compensation ». Chaque électeur disposait donc de deux bulletins à l'occasion des élections législatives, plus un troisième pour un référendum qui était organisé concomitamment.

La majorité de l'opposition (socio-démocrates, écologistes, libéraux et extrême droite du Jobbik) avait désigné un candidat unique au terme d'une primaire, M. Marki-Zay, un libéral-conservateur.

A quelques semaines du scrutin, nous pensions qu'une victoire de l'opposition était possible et, à quelques jours du scrutin, que le Fidesz resterait en place, mais sans majorité constitutionnelle. Mais cela n'a pas été le cas, le Fidesz obtenant finalement 54 % des voix, contre 34 % seulement pour la coalition « Unis pour la Hongrie ». « Notre Patrie », un autre parti d'extrême droite, entre au Parlement avec 6 % de suffrages. Quant au parti humoristique « Le chien à deux queues », il obtient 3 % des voix.

Viktor Orban a utilisé jusqu'au bout la solidarité affichée de l'opposition avec l'Ukraine, l'accusant de vouloir y envoyer les soldats hongrois. Il a largement insisté sur les problèmes de pouvoir d'achat, présentant l'accès au gaz russe comme une garantie contre les risques que la guerre en Ukraine faisait peser sur la Hongrie et soulignant que l'opposition amènerait la Hongrie dans la guerre. Après sa victoire, il a clairement classé Zelensky parmi les ennemis de la Hongrie.

Les Hongrois semblent avoir oublié 1956, et la coalition de l'opposition était sans doute également trop disparate pour pouvoir rassembler face à Orban et porter un message clair et rassurant dans cette période anxiogène.

Je me suis rendu dans l'Est du pays, très pauvre, avec un député allemand écologiste, également membre de l'AP-OSCE, Robin Wagener.

Nous avons observé un processus électoral cohérent, correctement suivi, mais aussi un véritable matraquage du pouvoir en place dans les médias, sur internet et dans la rue. Les affiches en faveur des candidats de l'opposition ne représentaient pas plus de 10 % de l'ensemble des panneaux et il était impossible d'allumer la télévision ou de lancer une vidéo sur un ordinateur sans voir une publicité pour le Fidesz ou contre l'opposition.

Des représentants de l'opposition étaient systématiquement présents dans les bureaux de vote, mais ils étaient très timides, sur la réserve, contrairement à ce que nous pouvons couramment observer dans d'autres pays.

L'OSCE a émis un certain nombre de remarques sur cette élection.

Premièrement, le référendum organisé en même temps que les élections fut un moyen de publicité supplémentaire pour le pouvoir en place. Les quatre questions suivantes étaient en effet posées aux électeurs : approuvez-vous l'enseignement de l'orientation sexuelle aux enfants mineurs dans les institutions scolaires publiques sans le consentement parental ? Approuvez-vous la promotion de traitements de changement de sexe pour les mineurs ? Approuvez-vous la présentation sans restriction aux mineurs de contenus médiatiques à caractère sexuel qui pourraient affecter leur développement ? Approuvez-vous la présentation aux mineurs de contenus médiatiques portant sur le changement de sexe ? Les électeurs du Fidesz ont globalement répondu « non » aux quatre questions, mais beaucoup d'électeurs ayant rendu un bulletin nul, le référendum n'a pu être validé faute d'un nombre suffisant de voix.

Deuxièmement, dans les médias, 50 % du temps de parole a été accordé au Gouvernement, 5 % au Fidesz contre 43 % consacrés à l'opposition, mais cela comprenait principalement des commentaires négatifs sur celle-ci. Un maximum de 5 % de temps de parole a été réellement accordé aux représentants de l'opposition.

Troisièmement, le contrôle des comptes de campagne a été à la fois partiel et partial, ce qui remet en cause l'égalité devant le suffrage.

Quatrièmement, le Gouvernement et ses agences représentent en Hongrie un volume d'annonces publicitaires plus important que la somme des cinq premiers annonceurs privés, ce qui porte atteinte à la liberté des médias, faute de financement. Il n'y a plus vraiment de médias indépendants en Hongrie.

Cinquièmement, on constate une très faible représentation des femmes, même si pour la première fois de son histoire, la Hongrie comptera bientôt une présidente de la République, Katalin Novak, ancienne présidente du groupe d'amitié parlementaire avec la France.

Enfin, sixièmement, les filets sociaux mis en place par le Gouvernement depuis quelques années, notamment l'équivalent du revenu de solidarité active (RSA), ont été utilisés comme un moyen de contrôle et d'orientation clientéliste.

Il n'y a jamais eu de débat entre Viktor Orban et un représentant de l'opposition depuis 2006

En conclusion, et cela vaut pour notre pays à quelques jours du second tour d'une élection présidentielle où une candidate se réclame de la même inspiration que le Fidesz, il peut être constaté que, lorsque des pans de l'État de droit tombent, des points de non-retour sont franchis. Il est ensuite difficile de maintenir un équilibre des chances entre les formations politiques ce qui rend l'alternance politique très difficile. La démocratie est alors atteinte durablement

Selon une vision optimiste, on peut penser que les Hongrois, dans la situation inquiétante actuelle de guerre en Europe, ont choisi la stabilité. Une version plus pessimiste estimerait qu'ils ont choisi le candidat qui leur promettait la paix, le pouvoir d'achat et le gaz « quoi qu'il en coûte » pour le respect des valeurs et de la solidarité européenne.

La Hongrie bénéficiant jusqu'à présent de beaucoup de fonds communautaires, Viktor Orban a toujours eu intérêt au maintien de son pays dans l'Union européenne pour assurer ce flux. Mais si les mécanismes de conditionnalité venaient diminuer ou interrompre les versements, il pourrait revoir sa position, d'autant qu'il ne peut plus vraiment compter sur la solidarité de la Pologne face à Bruxelles depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le front « Varsovie-Budapest » face à Bruxelles sur les questions d'État de droit est très fragilisé. Le groupe de Visegrad ne sera plus ce qu'il était. En conclusion, lors de ce scrutin, le processus de vote a donc été formellement respecté, avec des armes inégales entre les forces politiques. Et le résultat des élections peut avoir des conséquences sur l'appartenance de la Hongrie à l'UE. C'est un risque qu'il ne faut pas négliger.

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