Intervention de René Troccaz

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 février 2022 à 9h30
Audition de M. René Troccaz consul général de france à jérusalem

René Troccaz, Consul général de France à Jérusalem :

Les Palestiniens étudient en premier lieu en Palestine, qui compte 18 universités, en majorité privées. La plus grande d'entre elles, située à Naplouse et forte de 30 000 étudiants, reçoit un tiers d'étudiants arabes israéliens, notamment en médecine. Dans le nord de la Cisjordanie, à Djénine, la proportion d'étudiants arabes israéliens accueillis est encore supérieure. Les Palestiniens étudient également dans le reste du monde arabe (Jordanie, Égypte), puis tout particulièrement en Turquie, qui attribue dix fois plus de bourses d'études complètes que la France. La Turquie réalise à bas bruit un très important travail de soft power dans la région et dans les territoires palestiniens. Enfin, certains jeunes Palestiniens étudient aux États-Unis, au Royaume-Université ou en France. Je serai ainsi demain à Campus France pour présenter le cadre des études aux universités françaises, en présence de l'ambassadrice de Palestine à Paris. De plus, un événement Campus France réunissant les anciens étudiants palestiniens a regroupé plus de 300 personnes en début d'année. Il est à noter que les Palestiniens sont parmi les peuples les plus formés et éduqués de la région.

La question de la protection du patrimoine est embarrassante, car celui-ci est menacé de toute part, que ce soit par le temps qui passe, la modernité ou par la situation des territoires palestiniens. La question est de savoir qui protège quoi. Ainsi, 60 % de la Cisjordanie est sous contrôle israélien ; les Palestiniens n'ont donc pas la capacité d'en protéger le patrimoine.

La planète entière s'intéresse au conflit russo-ukrainien et la Russie est un acteur majeur du Proche-Orient. Il s'agit cependant à ce stade d'un sujet secondaire pour les Palestiniens, et certainement également pour les Israéliens.

Monsieur Pierre Laurent, le risque que vous évoquez est déjà valable sur le terrain, où la situation d'entre-deux laisse le champ libre à une dégradation lente. La communauté internationale ne doit pas abandonner la solution à deux États, que soutiennent toujours les États-Unis. Sur la durée, la solution d'un État comprenant des droits différenciés selon les populations s'avérerait très difficile à imposer au regard de la vigueur, de la compétence, du niveau de formation et de l'exigence de la jeunesse palestinienne.

Les rapports avec l'Union européenne sont un débat constant, car tous les Européens n'ont pas la même sensibilité et la même approche du conflit israélo-palestinien. La France réaffirme le droit international, mais certains pays européens ont adopté une approche assez différente telle que la Hongrie.

La question des élections palestiniennes engendre une grande frustration. Compte tenu de sa jeunesse, plus de la moitié de la population aurait voté pour la première fois de sa vie lors des élections de 2021 qui ont finalement été reportées. La mobilisation était forte, avec 93 % d'inscrits sur les listes électorales et 90 listes. L'annulation des élections a généré une grande frustration.

Au sujet des relations entre groupes religieux, nous avons trop souvent affirmé que le conflit israélo-palestinien n'était pas un conflit religieux. Il me semble en effet difficile d'en évacuer totalement cette dimension. Les relations sont relativement étanches, avec une pratique du « chacun chez soi ». Il existe parfois beaucoup de distance au sein même des groupes religieux. En Israël, nous constatons une évolution du judaïsme et une évolution démographique confortant année après année la proportion des juifs orthodoxes. De 12 % de la population israélienne, leur démographie galopante les porterait à 30 % d'ici 25 ans. Composée de 40 % de citoyens arabes, 30 % d'Israéliens laïques et 30 % d'orthodoxes, Jérusalem offre, par anticipation, une image de ce que pourrait être Israël d'ici 20 ou 30 ans. Il existe parfois des tensions entre chrétiens, mais si ceux-ci restent une force symbolique importante, ils ne représentent que 1 % de la population de Jérusalem. Ils détiennent un fort patrimoine, qui attise les convoitises et les tensions vis-à-vis de ceux qui convoitent ces biens ainsi qu'en interne, au sein des églises chrétiennes. Les territoires palestiniens ne comportent pas de chiites. Les Druzes sont majoritairement israéliens et très fidèles à Israël. Il convient toutefois de poser la question de la montée de l'islamisme dans les territoires palestiniens et en Israël, sur lequel m'avait alerté Monseigneur Michel Sabbah, ancien patriarche latin de Jérusalem. Il convient de rappeler que toutes les tensions et manifestations d'avril-mai dernier à Jérusalem ne sont pas le fait de Palestiniens des territoires occupés, mais de personnes résidant à Jérusalem et d'Arabes israéliens qui s'y sont rendus.

L'AFD a un programme de 8 millions d'euros à Jérusalem visant à soutenir la société civile. Elle réalise un travail de pointillisme - soutien aux activités de la société civile, à des activités associatives, économiques, sportives et culturelles. De manière pragmatique et politique, son action permet maintenir la solution à deux États ainsi que la diversité de Jérusalem. Ce programme est critiqué par certaines ONG, certains groupes ou lobbys, qui reprochent à l'AFD et à l'union européenne d'agir pour préserver la diversité culturelle et humaine de Jérusalem.

Madame Duranton, vous m'avez interrogé sur l'Alyah, soit le départ de nos concitoyens juifs de France face à l'antisémitisme. J'ai plutôt à l'esprit un ordre de grandeur de 3 000 départs par an. La question est de savoir ce qu'est un départ, car de nombreuses personnes réalisent des aller-retour entre France et Israël. Ainsi, nous recensons 45 000 Français ou Franco-Israéliens dans la circonscription consulaire de Jérusalem, dont 22 000 inscrits au Consulat général et 17 000 en âge de voter. Certaines personnes viennent en Israël pour des raisons idéologiques et spirituelles, d'autres parce qu'elles se sentent menacées en France, d'autres pour des raisons fiscales et d'autres encore pour rejoindre de la famille.

Enfin, serait-il préférable pour Israël d'avoir deux États ? Ce n'est pas à moi de répondre, mais le sentiment de beaucoup d'Israéliens y est favorable. De tous les pays au monde, Israël est sans doute celui qui a le plus intérêt à la stabilisation des territoires palestiniens. L'indispensable amélioration des conditions de vie des Palestiniens pour éviter la radicalisation des esprits, à laquelle travaillent les Américains et la communauté internationale, ne remplacera pas l'avenir politique. Nous ne ferons pas l'économie d'un traitement du fond de ce sujet. La perspective de deux États semble s'étioler ; toutefois, après deux ans et demi à Jérusalem, j'ai la conviction forte que la question palestinienne est une question d'avenir.

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