Merci beaucoup de votre invitation. C'est un honneur pour nous d'être présents parmi vous.
Monsieur le président, vous avez brossé un tableau très juste de la situation. Je centrerai mon propos sur la crise ukrainienne proprement dite. Mon collègue traitera des sujets diplomatiques et de la sécurité en Europe.
« Tous les éléments sont réunis pour qu'il y ait une intervention russe en Ukraine », a indiqué ce matin à la radio le ministre des affaires étrangères. Nous nous trouvons effectivement dans une situation de très graves tensions avec la Russie. Des forces importantes sont déployées par la Russie sur son territoire, à la frontière de l'Ukraine, et en Biélorussie. Comme l'a dit le ministre ce matin, nous estimons que la situation est dangereuse. Ce qui se passe sur le terrain nous laisse néanmoins penser qu'une action diplomatique est encore possible. Tel est le message principal que nous souhaitons passer.
Dans ce contexte, nous sommes conduits à la plus grande vigilance.
D'une part, nous voulons poursuivre nos efforts pour entretenir sur la durée un dialogue exigeant avec la Russie, en nous montrant fermes et constructifs. Le Sénat joue tout son rôle à cet égard. D'autre part, il convient d'accompagner ce travail d'une dissuasion crédible, qu'il s'agisse des sanctions ou de notre posture militaire, y compris au sein de l'OTAN.
En résumé, nous nous préparons au pire, tout en veillant à ne pas précipiter les choses. Jusqu'à présent, la cohésion que nous avons réussi à garder au sein de l'Union européenne est fondamentale et elle est notre meilleur atout.
Pour être encore plus précis sur la crise ukrainienne, le dispositif militaire russe aux frontières ukrainiennes poursuit régulièrement depuis plusieurs mois son renforcement. Près de 100 000 soldats russes sont déployés à proximité des frontières ukrainienne et biélorusse. À côté des bases permanentes se sont installées de nouvelles unités. Nous observons l'intensification des exercices militaires, annoncés avec des préavis de plus en plus courts, des mouvements d'armements stratégiques, mais également la préparation de l'exercice russo-biélorusse, qui se déroulera du 10 au 20 février et constitue une source de vigilance supplémentaire. Environ 30 000 soldats, dont la moitié est russe et l'autre biélorusse, pourraient être déployés dans le cadre de cet exercice, afin d'entretenir un front non seulement sur la frontière avec l'Ukraine, mais aussi par le Nord.
Ces manoeuvres alimentent des tensions dans un contexte international par ailleurs difficile que vous avez en grande partie rappelé, avec le constat clair d'une dégradation de la situation intérieure en Russie, d'une restriction des libertés fondamentales - cela fait plus d'un an que l'opposant Alexeï Navalny a été arrêté -, et d'une accumulation de forces militaires russes. S'y ajoutent les interventions dans le Haut-Karabagh et au Kazakhstan. Tout cela nous incite à une grande vigilance. Loin d'être discret, le renforcement à la frontière avec l'Ukraine est visible. Alors que le rapport de force est déjà suffisamment favorable à Moscou dans l'hypothèse d'une offensive de grande ampleur sur l'Ukraine, les manoeuvres russes sont un moyen de maintenir la pression. Chaque étape des discussions s'accompagne d'une nouvelle manoeuvre, qui alimente ce qui pourrait constituer une escalade. La situation est donc préoccupante.
Notre analyse des intentions se doit d'être prudente, mais vigilante. Nous n'avons pas à ce stade d'information sur une décision politique prise à ce jour par le Président Poutine dans un sens ou dans un autre. Il est probable qu'il se réserve une palette d'options pour conserver ses marges de manoeuvre et analyse le calcul entre les coûts et les bénéfices au jour le jour. C'est pourquoi nous devons nous préparer au pire, mais sans précipiter les choses et sans envoyer de signal qui pourrait être perçu par la Russie comme « escalatoire », que ce soit dans le cadre de notre propre positionnement, de l'OTAN ou avec nos partenaires.
J'évoquerai les mesures de sécurité que nous appliquons à nos ambassades et à nos ressortissants. Contrairement à nos partenaires américains, canadiens ou britanniques, nous n'avons pas pris la décision du retour des familles de nos agents diplomatiques ou du retour volontaire du personnel non essentiel de l'ambassade, pas plus que des consignes d'évacuation globale de nos ressortissants. En effet, nous ne disposons pas d'informations indiquant une décision russe d'agression militaire contre l'Ukraine. Nous avons des signaux importants, les conditions sont réunies, mais la question de l'intention de la décision est encore posée. C'est pourquoi nous pensons qu'il convient d'éviter d'envoyer des signaux qui peuvent être mal compris par les Ukrainiens et les affaiblir. Cette posture de prudence est particulièrement appréciée par les autorités ukrainiennes. À ce stade, nous avons simplement modifié les consignes aux voyageurs en déconseillant de se rendre dans les régions frontalières du nord et de l'est du pays et en invitant à différer les déplacements non urgents en Ukraine.