La situation est alarmante du fait de l'accumulation de troupes à la frontière. Néanmoins, je fais partie de ceux qui pensent que la Russie a plus à perdre qu'à gagner d'une guerre ou d'une invasion.
Si Vladimir Poutine voulait envahir l'Ukraine, on ne l'aurait pas su de façon aussi manifeste. On ne verrait pas toutes ces vidéos sur les réseaux sociaux montrant du matériel militaire russe avançant vers les frontières. Les Russes ont agi jusqu'à maintenant par surprise que ce soit en Crimée, dans le Donbass ou encore en Syrie. Laisser un temps de préparation aux Ukrainiens et aux Occidentaux ne fait pas partie des stratégies militaires de Vladimir Poutine.
En 2014, il y a eu des scénarios qui allaient plus loin que le Donbass avec la création d'un couloir par Odessa pour réunir le territoire russe avec la Transnistrie. Mais le temps de la surprise stratégique est désormais révolu. Aujourd'hui les Russes se retrouvent avec une armée ukrainienne capable de lui infliger des pertes beaucoup plus importantes qu'auparavant. Ce type d'opération ne serait pas une opération « propre », comme le fut l'annexion de la Crimée.
La Crimée a été annexée sans un seul coup de fusil, ce qui a suscité l'enthousiasme de la population russe. En Syrie, ce sont des militaires professionnels qui ne sont pas au sol. La population approuve ce type d'actions militaires. Mais s'il y avait des victimes dans l'armée russe, les conséquences seraient difficilement calculables pour la popularité de Vladimir Poutine. Même s'il s'est donné l'option de rester président jusqu'en 2036, il y a quand même des élections en 2024 !
Quelle partie de l'Ukraine la Russie pourrait-elle envahir ? Les régions séparatistes représentent 30 % du Donbass. Mais elles sont déjà de fait intégrées à la Russie. 720 000 personnes ont obtenu des passeports russes. Il y a des points de livraison de passeports russes pour cette population dans la région de Rostov. L'an dernier, Vladimir Poutine a signé l'Oukase donnant la possibilité pour les entreprises locales de postuler pour les appels d'offres publiques. Cette région est utile à la Russie comme levier de pression au sein de l'Ukraine. Une invasion bouleverserait complètement le positionnement de la Russie qui se présente comme une puissance médiatrice non partie au conflit, notamment pour l'application des Accords de Minsk. Envahir cette partie du territoire bouleverserait complètement la donne ! Cela ferait tomber les accords de Minsk, ce qui pourrait arranger les Ukrainiens, qui ont beaucoup de mal à les mettre en oeuvre et, plus particulièrement, à en respecter le séquençage.
La Russie affiche déjà de premiers succès. Les Américains sont ouverts à la discussion sur un certain nombre de préoccupations même si le point central relatif au non-élargissement de l'OTAN ne paraît pas négociable. Mais les Américains ont mis des éléments sur la table, en matière de contrôle des armements, de sécurité européenne, de transparence dans les manoeuvres militaire et de non-disposition de certaines installations à côté des frontières. Si les Russes poussent plus loin leurs pions militaires, cette offre sera retirée. C'est la raison pour laquelle je pense que la Russie a beaucoup à perdre d'un scénario de guerre.
Mais la situation est risquée. Il peut toujours y avoir un accident ou une provocation. L'absence de mécanisme de déconfliction à la frontière est particulièrement préoccupante. Il n'y a pas de dispositif de type « téléphone rouge » ni de communication entre les parties. Les Ukrainiens ne savent pas s'ils ont affaire, en face, aux Russes ou aux séparatistes. Que se passera-t-il si quelqu'un avance dans le no man's land ? La réponse est le tir sans sommation. Dans ces conditions, un accident peut très vite dégénérer.
Quant à la guerre hybride et aux cyberattaques, nous les vivons déjà. Il peut aussi y avoir des tentatives de déstabiliser Volodymyr Zelensky, qui a beaucoup perdu en popularité. Il a été élu avec 73 % des voix. Aujourd'hui, sa popularité est estimée à 23 %. Il tente de rassurer sa population et de ne pas être alarmiste. Mais sa ligne de crête est extrêmement étroite.
Je ne crois pas au scénario britannique d'un coup d'État à Kiev avec l'arrivée au pouvoir de Yevhen Murayev, un politicien de second rang. Mais des scénarios de déstabilisation restent possibles. À l'automne dernier, Volodymyr Zelensky a évoqué l'hypothèse d'un complot contre lui mené par l'oligarque Rinat Akhmetov. Il faut rester attentif au risque de scénarios hybrides.