Intervention de Sébastien Cavalier

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 26 avril 2022 à 15h30
Audition de M. Sébastien Cavalier président de la sas pass culture

Sébastien Cavalier, président de la SAS pass Culture :

– Les instruments de musique représentent environ 12 % du total des remboursements, soit12 millions d’euros. Compte tenu du coût d’acquisition d’un instrument, le jeune consomme généralement l’intégralité de ses crédits à cet effet. Nous perdons donc notre levier pour contribuer à diversifier son parcours artistique et culturel ensuite, mais nous estimons que c’est une porte ouverte à de nombreuses découvertes. Il nous faut accepter de lâcher prise !

Mme Sylvie Robert. – Concernant l’offre collective, notamment pour les classes de quatrième, disposez-vous de premiers résultats ? Des demandes sont-elles déjà formulées ? En quoi consistent les dépenses et comment se déroule le processus ? Les offres sont-elles présentées directement par les acteurs, ou par le conseiller de la direction régionale de l’action culturelle (DRAC) chargé du pass Culture ? La part collective du pass peut-elle être utilisée pour le transport, source de dépenses importante pour les sorties culturelles, notamment dans les zones rurales ou éloignées des équipements culturels ?

Est-ce toujours l’agence Havas qui gère la communication du pass Culture ? En quoi consiste cette communication ?

Enfin, en matière d’ouverture du pass à d’autres équipements culturels, comme les musées ou les bibliothèques, ceux-ci sont souvent gérés en régie par les collectivités ; à Rennes, c’est aussi le cas de l’opéra et du centre d’art. Cela peut poser des problèmes de gestion, notamment pour le remboursement des places. Ces difficultés ont-elles été surmontées dans les contrats signés avec les collectivités ?

– L’offre collective a été testée au dernier trimestre de 2021 dans les académies de Versailles et Rennes, avant d’être généralisée au 1er janvier 2022 à tous les établissements publics de l’Éducation nationale et privés sous contrat, ainsi qu’aux établissements dépendant des ministères de l’agriculture, de la mer et des armées depuis le 1er avril. La SAS gère, pour le compte de ces ministères, des enveloppes de crédits octroyées à ces établissements au prorata du nombre de leurs élèves. Ces enveloppes financent soit des sorties, soit l’accueil d’acteurs culturels au sein des établissements. La mise en relation des acteurs et des enseignants se fait par le biais de la plateforme Adage, où des offres peuvent être déposées par tous les acteurs ; dans la pratique, certaines offres « haute couture » sont élaborées en amont, en concertation avec l’équipe enseignante. Au total, 14 000 offres ont été déposées par près de 1 800 acteurs culturels ; 3 millions d’euros ont déjà été dépensés, 20 % des établissements ont eu recours à l’offre pour des sorties, à 40 % pour du spectacle vivant. Un travail de sensibilisation est mené par le ministère auprès des enseignants et des chefs d’établissement, qui coordonnent l’usage des fonds ; nous avons de notre côté formé plus de 3 000 acteurs culturels.

Ces crédits permettent de financer des activités artistiques et culturelles, mais la question du transport s’est vite posée dans les territoires éloignés des centres urbains, où elle représente une forte barrière à la pratique culturelle. On réfléchit aujourd’hui à ouvrir la possibilité de financer les transports pour des sorties culturelles par le biais du pass Culture, mais en dernier recours : s’il existe des dispositifs portés par les collectivités, on y aura prioritairement recours. Les situations sont très hétérogènes, l’idée est d’avoir partout en tête l’objectif du 100 % EAC.

Havas est toujours notre agence de communication ; un marché de trois ans avait été conclu avant mon arrivée à la tête de la SAS. Cette communication passe essentiellement par les réseaux sociaux. Pour les plus jeunes, nous travaillons aussi beaucoup avec l’Éducation nationale et nous cherchons à associer davantage les parents. Une nouvelle campagne de communication devrait être lancée en septembre prochain.

Quant aux équipements relevant des collectivités territoriales, 1 500 d’entre elles sont inscrites au pass, mais toutes ne sont pas actives de la même façon. Une dernière question doit être réglée pour faciliter les procédures : les établissements d’une même collectivité n’ont pas de personnalité juridique et partagent donc un même numéro SIRET. Il faut adapter notre outil pour y répondre et faciliter les remboursements, sans quoi la prise en charge d’offres payantes restera impossible. Cela devrait être fait d’ici au mois de juillet.

Nous accompagnons les collectivités dans la prise en main des outils ; ainsi, je serai bientôt à Rennes pour participer à l’élaboration d’un programme spécifique pour cette ville. Nous avons aussi récemment formé les équipes de la ville de Cannes à l’utilisation du pass Culture. Nous avons nos locaux à Paris, mais 25 membres de notre équipe sont dans les régions, souvent dans les DRAC, au plus proche des territoires ; nous souhaitons encore augmenter leur nombre.

M. Pierre Ouzoulias. – Vous avez décrit la politique culturelle française comme une politique de l’offre ; pour ma part, j’estime plutôt qu’il s’agit, depuis cinquante ans, d’une politique de la médiation, telle qu’elle a été formalisée par André Malraux, selon qui « la médiation fonde la dimension à la fois singulière et collective de notre appartenance et, au-delà, de notre citoyenneté ». Vous conviendrez que l’algorithme ne saurait remplacer le médiateur ; alors, quelle relation doit-on établir entre les deux ? Le médiateur doit pouvoir agir localement sur l’algorithme, qui ne saurait être paramétré nationalement.

M. Julien Bargeton. – Je me réjouis des récentes évolutions du pass Culture, qui s’inscrit désormais dans une politique culturelle toujours plus approfondie. Que faudrait-il faire pour aller plus loin encore, pour faire du pass un couronnement de notre volonté de démocratisation de l’accès à la culture ? Quels objectifs remplis feraient de 2022 une année réussie pour vous ? Plus largement, quelle sera à l’avenir la place de cet outil dans la médiation et l’éducation culturelles ?

M. Cédric Vial. – En ouvrant l’application sur un téléphone, on lit : « Le pass Culture est une initiative du Gouvernement financée par le ministère de la culture » ; une formule similaire est ensuite employée : « le Gouvernement offre un crédit... » Il me semble que les crédits que, suivant la Constitution, le Gouvernement est amené à gérer appartiennent plutôt à l’État. Une telle approche me paraît pour le moins inédite et surprenante, d’autant que la Caisse des dépôts et consignations, qui participe au financement du pass, ne dépend pas du Gouvernement… Cette présentation vous a-t-elle été soufflée par un cabinet ministériel, ou bien s’agit-il d’un choix assumé ?

Je constate par ailleurs que les offres de presse d’actualité présentes dans l’application sont assez limitées – Libération, Courrier international et L’Équipe me semblent être les seuls choix proposés – ; ce manque de pluralisme est surprenant dans un dispositif public. Un problème similaire semble se poser pour les opérateurs d’abonnement numérique de cinéma. N’aurait-il pas mieux valu attendre de conclure des partenariats plus divers avant de mettre ces offres en ligne ?

Enfin, je suis mal à l’aise avec la mise en place d’un tel dispositif alors que de nombreuses collectivités mènent déjà une action similaire avec compétence. Plutôt que de les aider de manière décentralisée, on se substitue à elles, on crée des doublons. La culture est importante pour les jeunes, mais le sport l’est tout autant, tout comme le transport, ou encore la nourriture, l’habillement et l’hygiène. Tout cela ne requiert-il pas de nouveaux coupons dans votre logique ? Où s’arrêter dans cette dérive ?

Mme Else Joseph. – Les offres accessibles avec le pass Culture pour les jeunes de mon département des Ardennes sont très limitées. Vous avez dit vouloir convaincre les collectivités : quels soucis demeurent pour ce faire ? Enfin, je m’inquiète de la faible part des réservations effectuées dans le domaine du patrimoine ; comment cela s’explique-t-il et comment mieux valoriser ces offres ? Il est important de sensibiliser les jeunes à la protection du patrimoine ; les chantiers jouent un rôle important en la matière et présentent des métiers trop faiblement valorisés.

– Je conviens volontiers, monsieur Ouzoulias, que les algorithmes n’ont pas vocation à remplacer la médiation. Le pass Culture est un outil visant à faire découvrir aux jeunes une offre culturelle diverse et à offrir aux acteurs culturels un accès renouvelé à ce public qu’ils ne touchaient largement qu’à travers des logiques de groupes constitués. Cet outil sera d’autant plus efficace que chacun pourra contribuer au bon équilibre du dispositif. Nous avons toujours voulu ancrer le pass dans la proximité, dans des lieux de culture : ainsi, on ne peut l’utiliser pour se faire livrer un livre, il faut se rendre dans une librairie. Or les acteurs de ces lieux, les libraires en l’occurrence, sont des gens passionnés et passionnants, ce sont d’excellents médiateurs. Les offres exclusives que j’ai évoquées tout à l’heure sont aussi une forme de médiation.

Le pass permet enfin de financer la création de postes de médiateurs dans les musées ou les centres d’art, lieux qui n’ont pas forcément les moyens aujourd’hui d’accueillir un public aussi large qu’ils le souhaitent ; la médiation numérique inventée pendant le confinement reste aussi d’actualité pour ces établissements, nous pouvons nous en faire l’écho. Nous voulons plus largement ouvrir plus largement aux acteurs la possibilité d’offrir de la médiation directement sur notre application, d’y prendre la main sur la manière dont leur offre est présentée. Cela prend du temps car il faut que ces acteurs élaborent des supports de communication dans des formats adaptés pour qu’ils parlent aux jeunes.

Merci, monsieur Vial, d’avoir attiré mon attention sur cette formulation ; il y aurait en effet une certaine logique à parler d’État plutôt que de Gouvernement. Quant à la pluralité des offres numériques, cela ne dépend pas que de nous. Nous proposons à tous d’être présents sur l’application, libre à eux d’y consentir ou non. Rappelons que les offres numériques ne sont pas remboursées ; c’est pourquoi certains médias n’ont pas souhaité être présents. Nous avons préféré commencer avec ceux qui ont souhaité participer et convaincre les autres progressivement. La position de certains réfractaires évolue, du fait notamment de leur désir de rajeunir leur lectorat ; certaines plateformes de niche trouvent en outre dans le pass Culture une visibilité bienvenue. En tout cas, aucun argent public n’est engagé dans ce domaine.

Madame Joseph, nous pouvons dresser un état des lieux de l’offre du pass Culture dans les Ardennes et vous le communiquer. Le niveau d’équipement varie selon les territoires et les acteurs locaux sont plus ou moins motivés ; nous essayons toujours de les convaincre. Pour les collectivités, beaucoup ont considéré que la gratuité dont bénéficient souvent les jeunes dans leurs équipements rendait inutile leur présence dans le pass Culture, qui nécessite un léger investissement de leur part. Nous essayons donc de simplifier les procédures et de travailler avec elles pour les convaincre d’utiliser le pass pour améliorer la visibilité de leur politique culturelle auprès des jeunes. Quant au patrimoine, nous menons aujourd’hui un important travail avec les musées ; nous étudions aussi la possibilité de faire visiter des chantiers de fouilles et de restauration, mais leur ouverture au public entraîne de nombreuses contraintes qui doivent être prises en considération dès la conception du chantier. Le Centre des monuments nationaux a rejoint le pass Culture. Nous avons par ailleurs mené des actions autour des métiers de la culture et en particulier du patrimoine. Restons optimistes : fin 2021, les musées figuraient dans le « top 3 » des réservations que les jeunes envisageaient de faire en 2022 via l’application.

Quant aux objectifs que M. Bargeton m’invite à exposer pour 2022, j’en vois plusieurs. Notre objectif primordial est de toucher au maximum tous les jeunes ; dans cette perspective, l’idée lancée par le Président de la République d’étendre la part collective du pass aux élèves de sixième et cinquième serait une belle façon de renforcer l’éducation artistique et culturelle. Il serait aussi bienvenu d’ouvrir cette part collective aux jeunes en apprentissage, qui sont plus de 300 000 dans la classe d’âge qui nous concerne, en collaboration avec les chambres consulaires. Ensuite, nous voulons améliorer l’efficacité de notre application auprès des jeunes, qui se montrent très exigeants en la matière ; il faut que la circulation y soit plus fluide, de manière à ce que les jeunes s’y perdent dans de grands chemins de découverte et à ce que notre catalogue soit mieux mis en valeur. Enfin, nous souhaiterions atteindre 3 millions d’utilisateurs réguliers, ce qui serait impressionnant au vu de la jeunesse de cet outil, qui évolue très vite.

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