Intervention de Jean-François Longeot

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 mai 2022 à 15h30
Bilan annuel de l'application des lois – communications

Photo de Jean-François LongeotJean-François Longeot :

président. – Comme chaque année à cette époque, les commissions permanentes sont appelées à dresser le bilan de l’application des lois qu’elles ont examinées au fond lors des sessions précédentes, comme le prévoit l’article 19 bis A du Règlement du Sénat.

L’exercice intervient cette fois-ci dans un contexte particulier, marqué par la fin du quinquennat, ce qui permet d’avoir une véritable photographie de la manière dont le Gouvernement s’est mobilisé pour rendre applicables les textes qu’il a fait voter.

Le rôle de vigie que le Sénat joue chaque année lui permet de s’assurer que l’intention du législateur a été respectée et garantit un contrôle de conformité entre l’esprit des lois et les mesures réglementaires prises pour leur application.

Cet exercice présente aussi l’intérêt de vérifier si la cadence du Gouvernement est aussi infernale que celle qu’il impose au Parlement pour faire voter les textes inscrits à l’ordre du jour prioritaire qu’il établit. Par comparaison avec l’année dernière, quelques progrès ont été réalisés, mais ceux-ci s’expliquent avant tout par l’achèvement de la XVe législature et l’effet d’accélération propre à la fin du quinquennat.

Ce bilan porte sur les lois promulguées au cours des dix dernières années jusqu’au 30 septembre 2021. Sont comptabilisées les mesures d’application prises jusqu’au 31 mars 2022.

À titre liminaire, je souhaite attirer l’attention de la commission sur quelques constats généraux.

Une seule loi examinée au fond par notre commission est entrée en vigueur au cours de la session parlementaire 2020-2021, contre deux durant la session précédente : il s’agit de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, que nous appelons plus volontiers loi « Climat et résilience ». Pour ce texte, une très faible partie des mesures attendues ont été publiées au 31 mars 2022. La loi Climat et résilience n’est en effet applicable qu’à 12 % si l’on tient compte des mesures prévues par les articles en vigueur. Ce défaut d’application interroge, car durant l’examen de ce texte, le Gouvernement n’a cessé de marteler l’urgence et la nécessité de légiférer sans tarder, afin de relever les défis de la résilience et de l’adaptation au changement climatique. Il est regrettable que l’urgence législative ne se soit pas doublée d’une urgence réglementaire, même si l’entrée en vigueur différée ou la technicité de certaines mesures contribuent en partie à expliquer ce retard.

S’agissant des textes plus anciens, parmi les vingt-cinq lois promulguées entre le 1er octobre 2011 et le 30 septembre 2021 relevant des domaines de compétence de la commission et nécessitant des mesures d’application, onze devaient encore faire l’objet d’une ou plusieurs mesures d’application au 1er avril 2022. Plus de cinquante mesures d’application de ces lois ont été prises entre le 1er avril 2021 et le 31 mars 2022, ce qui a fait sensiblement progresser leurs taux d’application. C’est le cas en particulier pour la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, dont le taux d’application est passé de 58 % l’année dernière à 89 % cette année. Quant à la loi n° 2020-105 du 11 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, son taux d’application est passé de 40 % à 78 %. Je mentionnerai également la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP, dont l’examen au Sénat avait été renvoyé à une commission spéciale que je présidais, et qui est désormais applicable à environ 70 %.

Certains textes plus anciens attendent encore des mesures d’application, comme la loi relative à Voies navigables de France, qui date de 2012, ou encore la loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit de l’Union européenne, dite « Ddadue » de 2013, dont deux décrets d’application n’ont toujours pas été publiés à ce jour. Les textes les plus récents ne sont pas non plus épargnés, notamment certains textes emblématiques pour notre commission. Ainsi, seules onze des quinze mesures d’applications attendues de la loi créant l’Office français pour la biodiversité de 2019 ont été publiées : nous ne pouvons que regretter l’absence d’évolution du taux d’application de ce texte. Je citerai également la loi relative à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) de 2019, pour laquelle nous attendons toujours la publication de deux mesures d’application.

Parallèlement à ces retards que l’exécutif aura du mal à justifier, on ne peut que déplorer que le recours aux ordonnances s’inscrive dans une tendance désormais structurelle, celle d’un accroissement de l’usage de la législation déléguée, notamment depuis 2017. Notre assemblée attache au suivi des ordonnances une importance toute particulière, puisqu’elle a modifié son règlement en juin 2021 pour faire explicitement figurer cette exigence parmi les missions des commissions permanentes et qu’elle a renforcé l’information du Sénat sur les intentions du Gouvernement en matière de publication et de ratification de ces dernières. Une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 28 mai 2020, connue sous le nom de « Force 5 », a clarifié la nature juridique des mesures prises sur le fondement d’une ordonnance qui, à l’expiration du délai d’habilitation voté par le Parlement, « doivent être regardées comme des dispositions législatives ». Cette évolution jurisprudentielle ne doit pas pour autant conduire le législateur à ne pas assumer ses responsabilités. Il est en effet crucial que le Parlement ne laisse pas s’appliquer indéfiniment des ordonnances emblématiques dans des domaines essentiels sans les examiner. Il est également primordial de veiller à la ratification expresse des ordonnances. Ainsi, il nous appartient de vérifier que le droit qui s’applique correspond effectivement aux intentions du législateur. Tel a d’ailleurs été tout le sens de la démarche engagée par notre commission, par la voix de son rapporteur Jean-Claude Anglars, dans le cadre de l’examen en novembre 2021 et en février dernier du projet de loi de ratification des ordonnances relatives à la compétence de la Collectivité européenne d’Alsace en matière de transports, qui portait notamment sur l’instauration d’une taxe sur le transport routier de marchandises. Nous pouvons nous féliciter que le Parlement se soit donné les moyens de débattre réellement du contenu de ces ordonnances, et notamment du périmètre d’application de cette nouvelle taxe. Rappelons aussi que c’est grâce à la mobilisation et à l’implication de notre Haute Assemblée que ce texte, très attendu, a pu être promulgué et le droit en vigueur substantiellement amélioré.

Le nombre d’ordonnances publiées ces derniers mois impose donc une vigilance constante et une veille attentive de la part de notre commission. À cet égard, il semble que le Gouvernement ne parvienne pas à publier les ordonnances pour lesquelles il a lui-même demandé une habilitation. L’exemple de la loi d’orientation des mobilités, dite LOM, est particulièrement éclairant. Ainsi, deux des habilitations prévues par le texte n’ont pas abouti, les délais de publication des ordonnances ayant expiré. C’est le signe d’un recours excessif, ou à tout le moins non maîtrisé, à l’article 38 de la Constitution, régulièrement dénoncé – à juste titre – par le Sénat.

S’agissant du suivi des ordonnances, un dernier point d’attention mérite d’être signalé : la proposition de loi visant à permettre l’implantation de panneaux photovoltaïques en zone littorale, déposée par Didier Mandelli et dont Jean-Claude Anglars était le rapporteur, a inspiré l’ajout d’une disposition dans un projet d’ordonnance qui était soumis à consultation publique jusqu’à hier. Si l’on peut se féliciter que le Gouvernement reprenne à son compte un dispositif introduit sur notre initiative, je déplore qu’il n’ait pas déployé les efforts nécessaires pour faire aboutir la proposition de loi avant la suspension des travaux parlementaires de février. Nous serons donc vigilants lors de la publication de l’ordonnance et ferons en sorte de faire appliquer la volonté du législateur. Le cas échéant, nous saurons évidemment proposer les mesures nécessaires pour ce faire.

Venons-en au deuxième temps de notre analyse. Comme le prévoit désormais l’article 19 bis B du Règlement du Sénat, chaque loi promulguée fait l’objet d’un suivi par le rapporteur désigné pour son examen au fond. Je cède donc la parole à nos rapporteurs, d’abord à Philippe Tabarot, Marta de Cidrac et Didier Mandelli en remplacement de Pascal Martin, rapporteurs de la loi Climat et résilience, puis de nouveau à Marta de Cidrac en tant que rapporteure de la loi AGEC, ainsi qu’à Didier Mandelli, rapporteur de la LOM et à Louis-Jean de Nicolaÿ pour ce qui concerne la loi portant création de l’ANCT.

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