rapporteur de la loi Climat et résilience. – Je me permets, en accord avec Didier Mandelli, de débuter mon propos par l’application de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire. Le taux d’application de cette loi est de 100 %, dans la mesure où toutes les mesures réglementaires d’application attendues ont été publiées. Je signale qu’un rapport fait toutefois défaut : il s’agit de celui sur les petites lignes ferroviaires, qui devait être remis au Parlement en juin 2019, puisque la mission confiée au préfet François Philizot sur le sujet devait initialement simplement le nourrir. L’ouverture à la concurrence est aujourd’hui une réalité, avec notamment le lancement d’une ligne Paris-Lyon par la société Trenitalia. Pour autant, et au-delà de l’excellent taux d’application de cette loi, cette ouverture fait face encore, ici et là, à plusieurs freins concrets, notamment en matière d’accès aux informations. En outre, je me permets de revenir sur la question du contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau, qui nous a été transmis il y a quelques semaines et qui est loin de faire l’unanimité tant il n’est pas à la hauteur du défi que représente le développement du transport ferroviaire.
J’en viens à présent au bilan d’application de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience. Ce texte comporte 305 articles au total, dont 174 ont été examinés au fond par notre commission et 131 par la commission des affaires économiques, en vertu de la délégation au fond que nous lui avons consentie. Son taux d’application est globalement faible, puisqu’il s’établit à environ 12 %. Cela s’explique, d’une part, par l’entrée en vigueur différée de plusieurs articles et, d’autre part, par la technicité de certaines mesures, dont la rédaction a pris du retard. Le contexte électoral a également pu jouer.
Comme le fera Marta de Cidrac dans un instant, j’évoquerai également plusieurs articles dont notre collègue corapporteur Pascal Martin était plus particulièrement chargé. Je rappelle que près de 40 % des dispositions figurant dans la loi promulguée le sont dans la rédaction proposée par le Sénat, ce qui est un très bon bilan par rapport à d’autres lois promulguées durant ce quinquennat ; en outre, le taux de reprise en commission mixte paritaire des amendements adoptés en séance publique par le Sénat est de 65 %, ce qui est également un très bon résultat, témoignant de la qualité du travail de notre assemblée tout au long du parcours parlementaire de cette loi.
Sur ses 305 articles, quatorze ont été jugés contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 2021 et deux ont fait l’objet d’une censure partielle. Pour être tout à fait précis, parmi ces seize articles censurés, six avaient été examinés au fond par notre commission, dont quatre introduits dans le texte lors de son examen au Sénat.
J’en viens maintenant au cœur des dispositions qui nous intéressent. S’agissant du titre « Se déplacer », qui comporte quarante-cinq articles, vingt mesures réglementaires d’application sont prévues. Quatre d’entre elles ont été prises à la date du 31 mars 2022. Deux autres mesures d’application ont en outre été publiées depuis cette date. Il manque donc 80 % des mesures prévues pour les articles d’application immédiate. Par ailleurs, une ou plusieurs ordonnances pourraient être prises sur le fondement de l’article 137 relatif à l’instauration, dans les régions volontaires subissant un report de trafic, d’une taxe sur le transport routier de marchandises. Enfin, sur les trois rapports qui devaient être transmis au Parlement au 31 mars, un seul nous a été communiqué. Compte tenu de ce faible taux d’application, je n’entrerai pas dans le détail de tous les articles dont j’étais le rapporteur et n’évoquerai que deux sujets : les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) et le secteur aérien.
Deux mesures ont été publiées après le 31 mars 2022, et ne sont donc pas comptabilisées dans nos statistiques d’application pour la période 2021-2022. Il me semble fondamental, pour autant, d’évoquer avec vous le décret relatif à l’instauration d’une expérimentation de prêt à taux zéro pour les personnes physiques et morales domiciliées dans ou à proximité d’une ZFE-m. Je me réjouis de la publication de ce décret, qui vise à mettre en œuvre ce prêt à compter du 1er janvier 2023, pour une durée de deux ans. Il s’agissait d’un dispositif que nous avions introduit en commission, et pour lequel nous nous sommes battus en commission mixte paritaire, car nous considérions que l’extension des ZFE-m risquait d’aggraver la fracture sociale existante. Il est indispensable d’accompagner nos concitoyens, dans la mesure où l’évolution proposée conduira à exclure de nos agglomérations les véhicules les plus polluants. Pour rappel, le parc de voitures à l’échelon national était composé au 1er janvier 2020 de 43 % de véhicules classés Crit’Air 3, 4 et 5 qui, demain, seront interdits de circulation dans certaines agglomérations. Les dispositifs qui existaient jusqu’à présent se sont révélés insuffisants pour permettre aux ménages les plus modestes, mais aussi aux classes moyennes, d’acheter des véhicules propres. Il était donc important que ce décret soit publié rapidement, afin de permettre aux ménages, ainsi qu’à ceux qui travaillent dans des ZFE-m, de se préparer aux évolutions à venir. Pour autant, nous sommes attentifs aux modalités définies par le décret et notamment aux seuils d’éligibilité retenus pour bénéficier du prêt, lesquels sont susceptibles de limiter la portée globale de ce dispositif.
Outre ce décret très attendu, une autre mesure réglementaire doit être prise pour clarifier le cadre juridique des ZFE-m, notamment pour définir les conditions d’application de l’obligation de création d’une ZFE-m dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants, ainsi que les modalités de dérogation à cette obligation pour des motifs légitimes ou en cas de mise en place d’actions alternatives. Il est indispensable de préciser au plus vite ces éléments, faute de quoi on risque de ne pas atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Je déplore à ce titre le retard constaté dans le déploiement de la lecture automatisée des plaques d’immatriculation. L’efficacité des ZFE-m dépend en effet de l’existence d’un contrôle adapté.
S’agissant des dispositions relatives au transport aérien que nous avions adoptées dans le cadre de la loi Climat et résilience, d’un point de vue strictement juridique, l’application de ce texte a pris un certain retard, a priori essentiellement parce que celui-ci introduit, d’une part, des innovations dont le paramétrage réglementaire est particulièrement complexe et, d’autre part, des interdictions qui nécessitent une validation au niveau européen. Un décret très important a été pris le 28 avril dernier, qui crée une nouvelle obligation de compenser les émissions de CO2 émises lors des vols à l’intérieur de l’Hexagone. Il prévoit des projets de stockage du carbone agricoles ou forestiers situés, autant que faire se peut, sur le territoire européen. Je précise que ce dispositif s’ajoute aux obligations européennes existantes, et que ce décret a le mérite de mettre en œuvre une mesure prise sur l’initiative du Sénat, lequel, sur ma proposition, avait défini les critères d’efficacité des projets de stockage du CO2. Plusieurs autres mesures réglementaires sont encore en attente, à l’instar du décret visant à limiter le développement des capacités aéroportuaires, qui devra notamment préciser les modalités de consultation des collectivités territoriales dont les territoires sont concernés par l’activité aéroportuaire – il s’agit là encore d’un apport du Sénat. En revanche, le décret sur l’interdiction des vols en cas d’alternative ferroviaire de moins de deux heures trente ne verra sans doute pas le jour avant plusieurs mois, alors que les lignes aériennes en cause ont été presque toutes fermées, sauf pour les vols majoritairement empruntés par des passagers en correspondance. En effet, il est nécessaire que les institutions et juridictions de l’Union européenne puissent vérifier que l’interdiction prévue à l’article 145 de la loi Climat et résilience est conforme à la possibilité de dérogation prévue par le droit européen, dont le principe fondateur demeure la liberté d’exploitation des liaisons aériennes.
J’en viens maintenant aux articles qui étaient plus particulièrement suivis par notre collègue Pascal Martin, absent aujourd’hui, et qui me permettent de faire le lien avec la mission d’information que nous conduisons avec Pascal Martin et Martine Filleul sur la prévention des risques liés aux nitrates d’ammonium dans les ports fluviaux et les installations de stockage de ces engrais, qui relèvent de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
L’article 288 de la loi Climat et résilience prévoyait la mise en place d’un Bureau d’enquête accident compétent pour les risques industriels (BEA-RI). Les dispositions de cet article avaient été largement réécrites en séance publique au Sénat, sur l’initiative de notre collègue, en lien avec les services de l’État. Je rappelle que la création de ce BEA-RI avait été annoncée par la ministre Élisabeth Borne à la suite de l’accident des usines Lubrizol et Normandie Logistique à Rouen en septembre 2019, et que le Gouvernement avait reçu le soutien de la commission d’enquête sénatoriale à ce sujet. Outre l’arrêté portant création de ce bureau d’enquête, qui prendra la forme d’un service à compétence nationale (SCN), pris par le Gouvernement à la fin de l’année 2020, une instruction a été publiée en janvier 2021, puis un décret d’application de l’article 288 de la loi Climat et résilience le 25 mars 2022. Ce décret complète la partie réglementaire du code de l’environnement pour préciser les modalités de réalisation des enquêtes techniques par les agents du BEA-RI et l’articulation de ces enquêtes administratives avec les éventuelles enquêtes judiciaires qui pourraient être diligentées pour les mêmes installations. Le BEA-RI dispose désormais de l’ensemble du cadre juridique nécessaire à l’exercice de ses missions, ce qui constitue un point positif.
L’article 268 de la loi Climat et résilience révèle un point moins positif, qui concerne la réduction des émissions de protoxyde d’azote et d’ammoniac du secteur agricole. Dans le texte issu de l’Assemblée nationale ne figuraient qu’une demande de rapport et une disposition prévoyant la création d’une taxe sur les engrais azotés, fortement utilisés par nos agriculteurs, si les objectifs de réduction des émissions, définis par décret, n’étaient pas respectés durant deux années consécutives. Sur l’initiative de Pascal Martin, et avec le soutien de nombreux collègues, dont la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques Anne-Catherine Loisier, nous avions largement réécrit ces dispositions pour tenir compte du fait que l’élasticité-prix serait quasiment nulle si une telle taxe était instituée, c’est-à-dire que l’instauration d’un signal-prix sur ces engrais n’aurait pas ou très peu d’effet sur la consommation réelle d’engrais par nos agriculteurs, et donc pas ou peu d’effet sur les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques que ces engrais engendrent. Cette taxe n’aurait fait qu’accroître les charges et réduire les revenus de nos agriculteurs, ce qui aurait compromis par la même occasion leur capacité à investir dans les équipements et techniques nécessaires à la transition agroenvironnementale. Le compromis adopté par la commission mixte paritaire a permis de conserver les principaux apports du Sénat, à savoir la mise en place d’un plan national d’actions visant à accompagner les agriculteurs dans une démarche de réduction des émissions liées à l’utilisation de ces engrais et la remise au Parlement de deux rapports, l’un présentant le suivi de la mise en œuvre du plan « Éco’Azot », l’autre visant à proposer des scenarii alternatifs en cas d’instauration d’une taxe, afin de renforcer l’information des parlementaires et d’envisager l’ensemble des impacts économiques, environnementaux et sociaux de ladite taxe. Malheureusement, aucun texte d’application n’a été pris à ce jour. Il semble donc que la volonté du Gouvernement d’avancer sur ce sujet ne soit plus au rendez-vous. La guerre en Ukraine, qui renchérit l’exploitation agricole, en particulier la production d’engrais azotés, explique en partie ce retard. Il est toutefois regrettable, précisément dans ce contexte de tensions sur le marché agricole, que le Gouvernement n’ait pas jugé utile de s’emparer de l’outil que lui proposait le Sénat, à savoir ce plan « Éco’Azot » qui permettrait d’accompagner nos agriculteurs et de les soutenir davantage dans le cadre de la transition agroenvironnementale, en améliorant la résilience des exploitations. Je rappelle qu’une grande partie des engrais azotés sont produits à l’étranger et nécessitent d’utiliser du gaz pour être conçus : ce plan vise au contraire à conforter notre souveraineté alimentaire et semble particulièrement à propos.
À ce stade, le Gouvernement n’a pas jugé bon non plus de prendre le décret visant à décliner annuellement la trajectoire de réduction de ces émissions, pour atteindre – 13 % en 2030 par rapport à 2005 pour l’ammoniac et – 15 % en 2030 par rapport à 2015 s’agissant du protoxyde d’azote. C’est regrettable, car nos agriculteurs ont besoin de visibilité.