Intervention de Pierre Henriet

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 10 mai 2022 à 16h00
« pour une science ouverte réaliste équilibrée et respectueuse de la liberté académique » — Présentation du rapport fait au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pierre Henriet, député, rapporteur :

– Le rapport que nous vous présentons aujourd’hui est le résultat d’une saisine de votre commission, dans la continuité du rapport sur l’intégrité scientifique que Pierre Ouzoulias et moi-même présentions le 7 juillet dernier.

Nous avons souhaité nous interroger sur l’environnement de la recherche et sur le parcours de publication scientifique à travers la question de la science ouverte. Ce rapport a été présenté aux membres de l’Opecst le 9 mars, qui lui ont réservé un accueil favorable.

Définissons d’abord la science ouverte. Selon le Comité pour la science ouverte, cette notion recouvre « la diffusion sans entrave des publications et des données de la recherche ». Elle doit permettre une meilleure accessibilité de la recherche, l’amélioration de la transparence et une plus grande reproductibilité des travaux. La volonté affichée de rendre accessible au plus grand nombre la recherche ne doit toutefois pas se faire au détriment de l’intégrité scientifique et de la liberté académique, bien au contraire.

De tout temps, la diffusion de la science a été mise en question, car elle est l’essence même de son existence. Par exemple, le Journal des savants, le plus ancien périodique scientifique d’Europe, voit le jour à Paris en 1665, c’est-à-dire un an avant la création de l’Académie royale des sciences. Comme le démontre Gaston Bachelard dans Le nouvel esprit scientifique, « toute théorie est en fait une pratique, toute nouvelle pratique engendrant une nouvelle théorie scientifique conduisant à une nouvelle philosophie de la science ».

La révolution numérique en est seulement le dernier exemple en date. Elle s’est accélérée à la fin des années 1990 et a totalement bouleversé les modalités de l’accès à la science. Les progrès de l’informatique ont profondément transformé le rapport à la connaissance, son accès, sa diffusion et plus généralement sa représentation. Dès sa mise en place, l’essor d’internet a été accompagné d’une mobilisation associative et politique en faveur du logiciel libre et de la libre circulation de l’information. L’informatique et internet ont également bouleversé les modes de publication et de diffusion des revues et monographies, notamment avec l’émergence de l’accès libre.

Dans le même temps, l’édition scientifique intégrait de nouveaux processus rendus possibles par l’informatisation et la numérisation. Cette transformation a affecté le rôle des acteurs, de nouveaux usages se sont imposés : bases de données, indexation, bibliométrie, licences libres, lesquelles constituent une solution de remplacement au droit d’auteur et ne protègent, au libre choix des auteurs, que certains aspects des droits relatifs aux œuvres. Cela a conduit à l’émergence d’autres modèles économiques plus adaptés à la diffusion sur les réseaux numériques. Ainsi, l’histoire de la science ouverte est celle des étapes de son élargissement.

Dans sa recommandation de novembre 2021 pour la science ouverte, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) désigne par ce vocable un ensemble de connaissances scientifiques ouvertes dont la principale manifestation est le libre accès aux publications scientifiques. Il faut aussi penser aux données de recherche, aux métadonnées, aux ressources éducatives libres, aux logiciels et aux codes sources. Ces ressources doivent pouvoir bénéficier à tous les acteurs de manière immédiate ou aussi rapidement que possible, et ce, gratuitement. Ces innovations vont jusqu’aux pratiques, avec les notions de sciences participatives et de sciences citoyennes.

Les initiatives se sont multipliées en faveur de la science ouverte. En France, des bibliothécaires, scientifiques et professionnels de l’information scientifique et technique ont créé en 1999 le portail revues.org, remplacé depuis par OpenEdition, tandis que se développait la plateforme Persée, plus patrimoniale. La plateforme Cairn, mise en place principalement par des acteurs privés du monde de l’édition, a rencontré un grand succès. Tout récemment, en février de cette année, des journées organisées à l’occasion de la Présidence française de l’Union européenne ont débouché sur l’adoption d’un appel de Paris sur la science ouverte et l’évaluation de la recherche.

Cette impulsion est aussi le fait des institutions européennes. Dès juillet 2012, la Commission européenne invitait chaque État membre à définir une politique nationale de science ouverte, en fixant l’objectif d’atteindre 100 % de libre accès en 2020. Pour autant, aucun texte contraignant juridiquement n’a été adopté par l’Union européenne en matière de science ouverte. Le texte de référence du côté de Bruxelles demeure donc cette simple communication.

Enfin, les pouvoirs publics ne sont pas en reste en France. La loi pour une République numérique de 2016 a repris le principe des embargos courts sur les articles scientifiques : six mois pour les sciences, techniques et médecine (STM) et douze mois pour les sciences humaines et sociales (SHS). Il est important de relever que, à l’exception de ce texte de loi, il n’existe à ce stade de dispositions contraignantes en faveur de la science ouverte ni en France, ni dans l’Union européenne, ni même dans le monde.

Récemment, un plan national pour la science ouverte 2021-2024 a été établi par le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui vise notamment à faire de la science ouverte la solution de publication par défaut de la production scientifique. Notre rapport présente les douze mesures qu’il contient. Le taux d’ouverture des publications des chercheurs français est déjà passé, selon le ministère, de 41 % en 2017 à 56 % en 2019, avec 69 % pour la biologie fondamentale et 75 % pour les mathématiques. Ces taux élevés sont dus, sans conteste, à une forte adhésion des chercheurs à l’idéal de la science ouverte.

Les approches diffèrent toutefois selon l’établissement de rattachement. Ainsi l’Université de Nantes exige-t-elle des chercheurs qu’ils publient de manière ouverte, ce qui conduit à des contentieux ; d’autres établissements le recommandent fortement sans contraindre les chercheurs.

La communication de ce rapport n’a pas manqué de susciter des réactions notamment de la part du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), dont le président, Thierry Coulhon, a annoncé un repositionnement des critères d’évaluation afin d’accorder une place plus importante à l’approche qualitative des résultats de recherche. Il est urgent de valoriser le travail de publication des chercheurs dans sa diversité. Un séminaire organisé par le Hcéres sera d’ailleurs uniquement consacré à la prise en compte des monographies.

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