rapporteur. – Nous avons été très surpris des réactions parfois violentes qui ont accueilli ce rapport. J’ai ainsi été présenté comme « un sénateur communiste qui défend des intérêts privés de multinationales monopolistiques » !
Les modes de publication sont très divers, notamment entre les disciplines, le domaine des sciences exactes différant ainsi de celui des sciences humaines. Il serait faux, pourtant, de considérer que la publication publique serait vertueuse alors que la publication privée devrait être écartée : les deux sont imbriquées et beaucoup de revues privées aux mains d’associations sont entièrement gérées par des chercheurs publics.
Il y a eu trois temps majeurs dans le domaine : durant le premier, le lecteur abonné payait la publication, puis, au cours du deuxième, le coût de celle-ci a été transféré au chercheur, enfin, dans le troisième temps, qui correspond à la période actuelle, ce sont les organismes de recherche de l’État qui aident les éditeurs à publier des articles libres de droits à leur sortie. Ce dernier modèle a été appelé le modèle « Diamant » ; il pose toutefois certains problèmes, notamment parce qu’il ignore la diversité des acteurs de l’édition. Certaines entreprises éditoriales sont, certes, plus rentables que le commerce de luxe, en raison de situations monopolistiques, et engrangent des bénéfices considérables grâce à la recherche publique. Nous avons toutefois souhaité mettre en évidence le risque que pourrait faire peser une étatisation complète de l’édition scientifique pour les sciences humaines. Cela poserait des questions en matière de contrôle, en particulier.
En outre, dans ce domaine, il n’y a pas de politique interministérielle cohérente. La Cour des comptes l’a souligné en relevant une quarantaine de stratégies nationales différentes, mises en œuvre par des organismes différents. Seul le Mesri assure la conduite de la science ouverte et, en son sein, celle-ci repose sur une seule personne, qui entretient des relations exécrables avec le monde de l’édition privée comme avec le ministère de la culture. Le Parlement est totalement absent de ces discussions, alors que celles-ci touchent à des droits fondamentaux, dont la liberté académique. Cette question est aujourd’hui en suspens. Nous avons reçu à ce sujet un courrier du directeur général délégué à la science du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) indiquant que « la liberté académique n’inclut certainement pas le droit de publier des résultats produits avec des fonds publics de telle sorte que ceux-ci ne soient accessibles et utilisables que de manière restreinte, quand il existe d’autres possibilités. » Le CNRS se donne donc la possibilité de forcer ses chercheurs à utiliser tel ou tel support en fonction de critères qui ne sont pas discutés collectivement. À notre sens, il s’agit d’une dérive dommageable, d’autant plus que la première recommandation donnée aux chercheurs par le CNRS est l’abandon de la totalité de leurs droits d’auteur. Cela nous pose question et un contentieux est d’ailleurs en train de naître à ce sujet. Nous avons condamné une forme d’étatisation de la recherche, qui nous semble contraire à l’esprit de la liberté académique.
Enfin, s’agissant du livre, il est très peu reconnu comme outil de publication scientifique, car l’essentiel de l’évaluation de la recherche repose sur des outils qui ne prennent en compte que des revues, collectées par de grandes bases de données anglo-saxonnes permettant la construction et la publication d’indicateurs d’impact. Nous critiquons cette forme purement quantitative d’évaluation de la recherche. Le livre, parce qu’il échappe à cette normalisation quantitative de l’évaluation est un outil peu abordé. Il n’est ainsi pas intégré dans l’évaluation de la recherche publiée dans les bleus budgétaires. Or, dans la stratégie des éditeurs, il reste un outil indispensable et les chercheurs en sciences humaines publient des livres qui se vendent très bien et qui entretiennent l’appétit important du public pour ces disciplines. Cette contribution au débat public n’est pas quantifiée aujourd’hui par les critères pris en compte, notamment, par le budget. Il est donc nécessaire de rendre sa place au livre et à ses éditeurs. Regardez dans ce quartier, les éditions Cujas ou Pedone, par exemple, sont de très petites entreprises qui ne vivent que de la vente des livres et parfois des revues. Si on leur enlevait cette ressource, on mettrait en péril leur existence et la diversité de publications de recherches qu’elles garantissent. Le ministère de la culture a identifié cela, mais le Mesri ne veut toujours pas le voir. Le Parlement doit donc, à mon sens, se saisir de cette question fondamentale, car il y va d’une des bases de la recherche : la liberté académique.