rapporteur. – Il me revient de vous présenter les huit propositions que nous nous sommes efforcés de formuler au regard des problèmes rencontrés.
Premièrement, nous pensons qu’il faut définir et mettre en œuvre, dans une logique réellement interministérielle, une politique équilibrée et concertée de la science ouverte et de l’édition scientifique, en assurant un soutien aux petits éditeurs. Ce n’est pas un hasard si l’Office a été saisi de ce sujet par la commission de la culture, qui se préoccupe de l’édition française.
Tout se passe comme si la science ouverte était, en définitive, le seul déterminant logique de l’action du Mesri, et plus largement de l’action du Gouvernement en la matière. Cela ne peut plus durer.
Les services du ministère de la culture compétents pour l’édition et le droit d’auteur sont totalement marginalisés aujourd’hui. Ils devront être associés plus étroitement, notamment en ce qui concerne l’économie du livre et la promotion de la lecture.
Le plan de soutien à l’édition portant sur la période 2017-2021 est resté insuffisant et constituait en grande partie un trompe-l’œil. Voici l’occasion de lancer pour la période 2022-2025 un véritable plan pluriannuel de soutien à l’édition scientifique, axé sur les petits éditeurs et les sciences humaines et sociales, dans le cadre d’une politique interministérielle concertée de la science ouverte et de l’édition scientifique qui prenne en compte tous les enjeux en présence.
Deuxièmement, il convient en effet de faciliter le dialogue entre toutes les parties prenantes. Pour être effective et équilibrée, la politique interministérielle de la science ouverte et de l’édition doit faire l’objet d’une véritable concertation : cela implique de faire travailler ensemble toutes les parties prenantes, de mieux articuler les acteurs publics et privés, les petits et les grands, pour progresser pragmatiquement vers le libre accès et la science ouverte.
Concrètement, il est proposé de réformer l’Observatoire de l’édition scientifique, pour en faire une instance interministérielle permanente de dialogue, et de le rapprocher du médiateur du livre et du comité pour la science ouverte (CoSO), qui s’appuie aujourd’hui sur le Coordinateur national de la science ouverte. Cet observatoire a refusé de nous auditionner, mais il a entendu le médiateur.
Troisièmement, nous prônons un respect accru de la liberté académique, de l’indépendance des chercheurs, de la liberté de divulgation et du droit d’auteur. Les incitations à l’ouverture immédiate ne doivent pas se transformer en obligations : il s’agit de facultés offertes aux enseignants-chercheurs. Par principe, la publication dans des revues payantes ne doit pas pouvoir être interdite, directement ou indirectement.
Quatrièmement, nous estimons préférable de favoriser la voie du pluralisme par la bibliodiversité, plutôt que de programmer l’hégémonie du modèle « Diamant ». Il faut abandonner la perspective d’une voie unique poussant à l’uniformisation et à la généralisation d’un seul modèle, synonyme d’étatisation de l’édition scientifique. Dans l’intérêt de la science et de la société, nous avons en effet besoin de diversité, de pluralisme et surtout pas d’un scénario de domination unique du modèle « Diamant ». Les archives ouvertes ne doivent pas devenir la voie unique non plus. Les livres, les revues et les plateformes payants n’ont pas vocation à disparaître.
Cinquièmement, il faut mieux évaluer les effets de la politique de la science ouverte et conditionner toute mesure nouvelle à des études d’impact approfondies. Les investissements engagés pourront ainsi mieux s’inscrire dans une démarche équilibrée, durable et cohérente. Par exemple, s’il est décidé de réduire davantage la durée des barrières mobiles issues de l’article 30 de la loi pour une République numérique, il faudra le faire en étant armé d’un bilan rigoureux de l’impact des dispositions en vigueur, et identifier préalablement les effets induits par un nouveau raccourcissement des durées d’embargo.
Sixièmement, nous voulons joindre le geste à la parole en prônant un renforcement du rôle du Parlement en matière de science ouverte. Sur un plan juridique comme sur un plan démocratique, il appartient au Parlement de définir le cadre légal de la science ouverte et de l’édition scientifique, ce n’est pas le rôle des agences de financement ou des établissements publics de recherche d’imposer des mesures contraignantes allant au-delà de la loi. Ces acteurs publics ont en effet eu tendance, avec l’appui du Gouvernement via le CoSO, à rendre obligatoire l’accès ouvert immédiat et à restreindre la liberté de publier, par exemple dans les revues hybrides. Or la seule disposition législative aux effets normatifs adoptée en faveur de la science ouverte est bien l’article 30 de la loi pour une République numérique. Aucune des dispositions de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur (LPR) n’a de valeur contraignante à ce sujet, puisque ce texte se contente d’inscrire une référence à la science ouverte dans les missions des enseignants et des enseignants-chercheurs. Dans ce cadre, le respect de la loi, de la liberté académique et du principe constitutionnel de l’indépendance des enseignants-chercheurs doit prévaloir, y compris dans leur activité de publication. C’est pourquoi les directives d’ouverture immédiate adressées aux chercheurs doivent être évitées, dans la mesure où des incitations respectant la liberté académique sont préférables à des obligations sans fondement législatif. Le renforcement du rôle du Parlement en matière de suivi de la science ouverte, de l’édition scientifique et de sa transition numérique passera aussi par des remises périodiques de rapports au Parlement, à l’occasion desquelles un débat pourrait être organisé par l’Opecst.
Septièmement, afin de réduire la pression à la publication, il convient de réviser les modalités d’évaluation des chercheurs, au profit de critères plus qualitatifs. L’évaluation par les pairs et les approches qualitatives doivent primer. Il faut sortir d’une évaluation reposant exclusivement sur la bibliométrie et les publications dans des revues à facteur d’impact élevé, comme d’une course folle motivée par l’alternative « publier ou périr ».
Huitièmement, nous proposons d’offrir des formations aux enjeux de la science ouverte dans tous les milieux de la recherche. Il convient d’agir communauté par communauté, en veillant à l’échange de bonnes pratiques et en cherchant à développer les compétences en termes d’information, de publication et de documentation.
La formation des doctorants, nouvelle génération de chercheurs, est aussi essentielle. Le Passeport pour la science ouverte est un guide conçu pour accompagner les doctorants à chaque étape de leur parcours de recherche, quel que soit leur champ disciplinaire. Il propose une série de bonnes pratiques et d’outils directement activables. Un guide à l’usage des écoles doctorales vise également à former à la science ouverte tout au long de la thèse. Ces documents sont intéressants, mais ils présentent une vision parfois militante du sujet et pourront avantageusement être enrichis dans le sens des orientations du présent rapport.
En conclusion, nous tenons à souligner que la science ouverte, pour être effective, doit être réaliste, équilibrée et respectueuse de la liberté académique. La Realpolitik de la science ouverte prônée dans notre rapport s’oppose à son instrumentalisation. Il faut se rappeler la formule de Samuel Johnson, pour qui « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». C’est pourquoi, de mot d’ordre politique incantatoire, la science ouverte doit devenir un projet plus réaliste, conditionné par une approche consensuelle et équilibrée.
En vue de garantir durablement le pluralisme essentiel pour notre culture et la vitalité de la démocratie, une attention vigilante doit être portée à la diversité du monde de l’édition, tout particulièrement en sciences humaines et sociales. Plus qu’un enjeu propre aux chercheurs, il s’agit d’un choix de société quant à la diversité intellectuelle et à la place accordée au savoir dans notre temps.
Nous serons donc très attentifs à la position qu’adoptera in fine le Conseil de l’Union européenne sur la science ouverte, les 9 et 10 juin prochains. Les différentes orientations de son projet de conclusions, actuellement en discussion par les experts nationaux, réaffirment et accentuent la dynamique européenne en faveur d’une plus grande ouverture de la science. Les objectifs d’accès et de préservation de l’information scientifique ou l’appel à davantage de multilinguisme afin de favoriser une communication plus large des résultats de la recherche sont des évolutions que nous pouvons soutenir. Il en va de même s’agissant des modalités nouvelles d’évaluation de la recherche, dont le projet de conclusions rappelle que celle-ci doit être basée sur des principes de qualité et d’excellence.
Toutefois, je me dois de souligner une contradiction majeure du texte qui menace directement la pérennité d’acteurs de l’édition scientifique privée : si le projet de conclusions reconnaît bien l’importance de préserver la multiplicité des modèles économiques pour favoriser une ouverture harmonieuse de la science, il comporte plusieurs dispositions qui pourraient menacer directement la pérennité des éditeurs d’information scientifique et technique, et les emplois qui leur sont associés. Il s’agit notamment de l’accès sans entrave à une réutilisation des résultats de la recherche, des publications et des données financés sur fonds publics à des fins de recherche, sur lequel le Conseil invite la Commission à travailler. Pourquoi un nouveau cadre réglementaire, alors que le marché actuel de l’édition scientifique s’opère déjà dans des conditions de transparence et de concurrence, et dans le respect de la propriété intellectuelle ? Une ouverture non maîtrisée déstabiliserait les acteurs de l’écosystème, en plus de conduire à une étatisation d’une grande partie de l’édition scientifique, avec des conséquences importantes pour les finances publiques.
Il y a également lieu d’être inquiet lorsque la Commission invite les États membres à s’assurer du contrôle et de la propriété des bases de données bibliographiques et encourage le développement de plateformes de publication en libre accès, en concurrence frontale avec le travail et les investissements effectués par les éditeurs.
Je ne m’attarderai pas sur la question des frais d’abonnement et de publication en open access qui implique une entorse éventuelle au droit de la concurrence pour ce qui concerne les prix des frais de traitement des articles et des abonnements.
Enfin, il apparaît que ce texte est de nature à porter atteinte aux droits des auteurs : en effet, en encourageant la rétention de droits, les intentions de la Commission desservent directement les intérêts des auteurs, car le mécanisme de cession de droits des auteurs aux éditeurs leur apporte, d’une part, la garantie que leur travail puisse être éditorialisé et mis en avant dans un environnement numérique plus que jamais concurrentiel et assure, d’autre part, la protection de leurs droits face à des sites illégaux comme SciHub, qui menacent la cybersécurité de leurs données.