Intervention de Pierre Ouzoulias

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 10 mai 2022 à 16h00
« pour une science ouverte réaliste équilibrée et respectueuse de la liberté académique » — Présentation du rapport fait au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo de Pierre OuzouliasPierre Ouzoulias :

rapporteur. – Il y a eu une évolution énorme de la publication scientifique depuis la numérisation. Un chercheur ne travaille pas aujourd’hui comme il y a vingt ans. On peut chercher un mot-clé dans la totalité de la littérature grecque et romaine ! C’est un changement radical que l’on ne doit pas remettre en question, car il permet des recherches qui étaient impossibles auparavant. Pour autant, les formes de validation de la science n’ont pas changé, avec le rôle des pairs, la présence de comités éditoriaux, etc. Néanmoins, des revues prédatrices sont nées et sont beaucoup moins regardantes.

Il est vrai que l’accès aux revues les plus chères est complexe en France et plus encore dans les pays moins développés, et que la pratique du piratage est généralisée, parfois à l’initiative des chercheurs eux-mêmes.

Je vous conseille de consulter Cairn par le biais de la bibliothèque du Sénat. Le Sénat paye cher un abonnement qui ne lui donne pas accès à la totalité de la documentation. Rendre accessible de façon libre tout ce portail coûterait 9 millions d’euros. En soustrayant les économies réalisées sur les abonnements des bibliothèques, le coût final serait de 5 millions d’euros. La science française peut-elle consacrer cette somme à une opération qui permet de financer les petits éditeurs et rend disponible dans le monde entier la totalité de la recherche française en sciences humaines ? Il me semble que cela serait très intéressant, car on réglerait ainsi le problème de la diffusion et celui de la rémunération des auteurs.

Le stockage des données est un problème majeur. Jamais notre civilisation n’a autant produit de données, mais aucune civilisation n’en gardera aussi peu. Tout ce qui était sur papier a été conservé à la Bibliothèque nationale de France, mais aujourd’hui, les dépôts numériques ne s’accompagnent d’aucune garantie de pérennité. Vous, sénateurs, que laisserez-vous comme archives ? Nos prédécesseurs laissaient la totalité de leur documentation écrite sur support physique, mais moi, je n’ai presque pas d’écrits à laisser.

Mme Sylvie Robert. – Cela ne relève-t-il pas de la responsabilité des laboratoires de recherche ?

rapporteur. – Si, mais ceux-ci n’en ont pas les moyens techniques. Ainsi, mes bases de données archéologiques d’il y a dix ans ne sont plus accessibles, car les supports ont changé. Nous aurions besoin d’un organisme interministériel permettant une sauvegarde technique, qui est très coûteuse. Il faudrait saisir l’Opecst à ce sujet !

M. Bernard Fialaire. – J’entends que l’on se soucie de la liberté de recherche, mais la publication doit être contrôlée. Vous semblez dire que le meilleur contrôle serait le fait des comités de lecture des revues privées.

rapporteur. – Des revues publiques aussi !

M. Bernard Fialaire. – J’ai entendu que l’on reprochait aux institutions de contrôler les publications des chercheurs. Je ne suis pas choqué que l’on mette en place un filtre scientifique pour ne pas laisser au privé cette responsabilité. Il peut, certes, exister quelques grandes revues vertueuses, mais il y en a aussi qui poursuivent d’autres buts. Sur ce point, je trouve votre discours ambigu.

rapporteur. – Le Sénat a voté des amendements sur l’intégrité scientifique qui contraignent légalement chaque scientifique à obéir à des mesures déontologiques fortes sur le respect des règles de l’art. Nous sommes le seul pays du monde à avoir intégré cela dans la loi.

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