Intervention de Alexis Guilpart

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 10 février 2022 à 9h20
Audition publique sur les aspects scientifiques et technologiques de la gestion quantitative de l'eau

Alexis Guilpart, coordinateur du réseau « Eau et milieux aquatiques » à France Nature Environnement :

Pour France Nature Environnement, les conclusions du Varenne sont assez déséquilibrées. Certaines annonces et réaffirmations sont importantes : l'enjeu autour des sols, la transition agroécologique, la dimension de l'échelle territoriale et du bassin, la nécessité pour les filières de s'adapter au dérèglement climatique et le recensement des ouvrages de stockage d'eau existants. Cependant, ceci figurait déjà dans les conclusions des Assises de l'eau de 2019.

En revanche, beaucoup de régressions et déstabilisations apparaissent dans les conclusions. Le Varenne mise sur le développement de l'accès à la ressource en eau pour l'irrigation comme réponse au changement climatique sans réfléchir sur les usages agricoles de l'irrigation. La question de la souveraineté alimentaire devrait être discutée plus en profondeur. Il faudrait réfléchir à la production agricole qu'on souhaite pour chaque territoire.

Le récent décret du 23 juin 2021 sur la gestion quantitative de l'eau et la gestion des situations de crise liées à la sécheresse serait déjà modifié pour répondre aux besoins de certaines professions irrigantes, ce qui déstabilise le cadre de la réflexion. Des solutions « technicistes » sont proposées et mériteraient d'être discutées dans leur pertinence au cas par cas. Il manque en outre deux sujets dans les conclusions : je n'ai pas constaté la réaffirmation d'une quête de sobriété dans l'agriculture, et le lien entre quantité et qualité de l'eau n'a pas nourri en profondeur les discussions du Varenne.

Face à ces conclusions que nous estimons déséquilibrées, deux sujets sont importants. L'irrigation concernerait 6 % des surfaces utiles, mais représente 48 % de l'eau consommée. On ne peut pas élargir le nombre de surfaces qui auraient recours à cette solution pour répondre au changement climatique, notamment dans le cadre des objectifs fixés par les Assises de l'Eau de réduction des prélèvements d'eau de 10 % en 5 ans et de 25 % en 15 ans.

Les conclusions misent beaucoup sur le prélèvement de l'eau en hiver. Or, l'hiver est extrêmement sec en 2022 dans de nombreuses parties du territoire français, notamment sur tout le sud de la Loire (mis à part les Pyrénées), alors que cela correspond aux territoires en forte tension et en demande d'accès à l'eau. Or, ils se trouvent privés d'eau en hiver. Miser sur l'irrigation et le stockage pour sécuriser l'accès à l'eau ne peut donc pas être une réponse unique. De surcroît, les milieux ont besoin de plus d'eau en hiver pour reconstituer et recharger des cours d'eau. L'augmentation des flux d'eau ne signifie donc pas qu'il soit possible de prélever davantage.

Trop miser sur l'irrigation revient à créer un cercle vicieux de dépendance à l'eau : plus notre agriculture misera sur l'irrigation, plus il y aura une pression exercée sur la ressource, plus il y aura une pression pour multiplier les ouvrages ou les volumes de prélèvement. Ceci conduit à aggraver des phénomènes de sécheresse et amène à une perte de résilience de nos systèmes agricoles qui ont alors encore plus tendance à se tourner vers l'irrigation. Pour certains, une solution consisterait à optimiser l'irrigation par des moyens techniques. Cela peut être une solution pour l'exploitant, mais une étude parue dans Science en 2018 montre que l'optimisation ne réduira pas la consommation, car on aura tendance à utiliser toute la ressource disponible pour irriguer plus de surfaces ou plus intensément.

Nous nous trouvons aujourd'hui à un carrefour en matière de préservation et de partage de la ressource, avec des choix qui nous engageront pour les décennies à venir. J'ai déjà évoqué le risque de maladaptation et d'aggravation des sécheresses et le cycle de dépendance à l'eau si nous misons trop sur le stockage et l'irrigation.

La dimension économique a également été absente du Varenne. Quelles que soient les techniques employées, cela nécessite de construire des ouvrages et prévoir de la maintenance, ce qui a un coût. Avec la REUT, l'eau coûte trois fois plus cher et l'agriculteur sera probablement plus enclin à repenser son modèle de production. L'hydroélectricité valorise l'eau de manière plus élevée et les agriculteurs ne souhaiteront pas payer leur eau d'irrigation au prix où la valoriserait EDF. Dans le cas d'une forte pression d'irrigation, des centrales nucléaires pourraient ne plus avoir accès à l'eau et être mises à l'arrêt, cela représenterait également un coût considérable.

La réglementation européenne doit être prise en compte, dans le cadre de la directive-cadre sur l'eau ou de l'écoconditionnalité des aides. Aujourd'hui il n'est pas possible de mobiliser une aide au développement de l'irrigation dans un territoire qui serait en déficit structurel sans réaliser de fortes économies d'eau en parallèle.

Nous pensons qu'il faut miser en priorité sur la sobriété, les solutions fondées sur la nature et la transition agroécologique. Ces solutions ont en effet de multiples bénéfices d'atténuation du changement climatique pour la biodiversité et les aspects économiques et sociaux des territoires, ainsi que pour une meilleure alimentation. Cela rejoint les conclusions du rapport de l'IPBES, qui pointait en 2021 un risque de maladaptation et une réelle nécessité de miser sur d'autres solutions que l'irrigation.

France Nature Environnement a pour objectif de faire changer la perception de l'eau, qui n'est pas qu'une ressource, mais aussi un milieu de vie. Contrairement à ce qui a été affirmé dans les conclusions du Varenne, ce n'est pas un gisement à exploiter. L'impératif de sobriété doit être défini collectivement pour que les milieux naturels ne constituent pas une variable d'ajustement. Les enjeux de ce travail collectif sont de décider au cas par cas et dans quels contextes territoriaux les solutions méritent d'être étudiées.

L'idée de revenir sur l'instruction des PTGE et de permettre au préfet de mettre fin aux discussions, dont la durée serait jugée excessive, risquerait d'entrainer l'imposition autoritaire d'un calendrier, qui conduirait à des maladaptations. Les PTGE qui ont des difficultés à se développer souffrent d'un manque de diagnostic précis des besoins et d'une insuffisante connaissance à une échelle fine des ressources disponibles. La cartographie des ouvrages et forages et des besoins réels est encore insuffisante pour pouvoir envisager de nouveaux ouvrages et de nouvelles méthodes.

Nous souhaitons que la feuille de route des Assises de l'eau soit suivie au plus près. Contrairement à Jean Launay, nous considérons que le Varenne de l'eau déséquilibre ces conclusions. Le dialogue doit être stabilisé et les différentes solutions proposées ne peuvent être envisagées qu'au regard d'un impératif de sobriété dans les différents usages.

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