Intervention de Hala Abou Hassira

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 février 2022 à 10h00
Audition de s.e. Mme Hala Abou hassira ambassadeur chef de la mission de palestine en france

Hala Abou Hassira, Ambassadeur, Chef de la mission de Palestine en France :

M. le Président, Mmes les Sénatrices, MM. les Sénateurs, je vous remercie de me faire l'honneur de m'adresser à vous. Cette opportunité reflète votre intérêt pour la région du Proche-Orient, et la place qu'elle occupe dans la politique étrangère de la France. Votre prochaine visite dans mon pays, la Palestine, sera l'occasion d'observer la situation sur le terrain, et saisir la dégradation accélérée en Territoire Palestinien occupé, tant à Gaza qu'en Cisjordanie.

Permettez-moi, tout d'abord, de vous parler du messager que je suis aujourd'hui pour mieux comprendre le message. Je suis née à Gaza où j'ai grandi et fait mes études universitaires et c'est en parallèle de mes études que j'ai commencé à apprendre le français au centre culturel français de Gaza. Après avoir servi dans différents postes diplomatiques au Gabon, en France, puis comme Ambassadeur auprès de l'Union Européenne et du Canada, je suis honorée d'être nommée comme ambassadeur de la Palestine en France. Je fais partie d'une quinzaine de femmes ambassadeurs de la Palestine dans le monde.

Ma nomination en France dans ce grand pays me tenait particulièrement à coeur, tant la France occupe une place singulière dans le coeur du peuple palestinien et de tous les peuples de la région. Cette place est due à la singularité de la politique française au Proche Orient depuis l'époque du Général de Gaulle jusqu'à aujourd'hui.

En effet, c'est de Gaulle qui a prédit dans sa conférence de presse en novembre 1967 que la question de la Palestine deviendra un problème national au lieu d'être un problème de réfugiés, c'est le cas aujourd'hui.

C'est à l'initiative du Président Giscard d'Estaing que le sommet de Venise de 1981 a reconnu le droit du peuple palestinien à l'autodétermination, et c'est le Président Mitterrand qui, en 1982, devant la Knesset, a parlé pour la première fois de la nécessité de créer un État Palestinien dans le Territoire palestinien occupé en 1967.

Ce sont 3 étapes majeures dans la définition de la politique étrangère de la France à l'égard de la question palestinienne. Ces initiatives ont eu un impact et des conséquences importantes sur l'évolution de la position des États européens et celle des États-Unis sur notre cause nationale.

Aujourd'hui il existe un consensus international sur la nécessité d'une solution à deux États: l'Etat d'Israël dans ses frontières de 1967, et un État palestinien dans le territoire palestinien occupé en 1967 (la bande de Gaza et la Cisjordanie y compris Jérusalem-Est). Mais ce consensus n'est, hélas, pas partagé par l'actuel gouvernement israélien ni par les précédents.

Aujourd'hui, je tire la sonnette d'alarme sur une situation dangereuse. 2022 a commencé comme un concentré de tous les évènements de 2021, marqué par l'intensification des violations systématiques du droit international, incluant la colonisation de notre territoire et des violations des droits humains contre le peuple palestinien et sa terre par les forces d'occupation israélienne et les groupes de colons extrémistes qu'elles protègent.

Le peuple palestinien continue depuis 55 ans cette année, d'être dépossédé de sa terre, de ses maisons, d'être tué et violenté, arrêté, emprisonné, y compris les femmes, les vieux et les enfants, leur causant des traumatismes permanents. Cela a pour effet d'exacerber les besoins humanitaires et constitue le foyer d'un nouveau cycle de violence meurtrière.

Nous nous retrouvons avec une Cisjordanie complètement fragmentée par la colonisation qui empêche toute continuité géographique du futur État palestinien. Nous assistons tous les jours à une montée de violences et d'attaques des groupes de colons, avec l'appui de l'armée israélienne contre le peuple palestinien, sa terre et ses maisons.

À Jérusalem-Est, où toute une politique active systématique et systémique de nettoyage ethnique et de déracinement est déployée avec l'objectif de vider la ville de toute sa population palestinienne. La population palestinienne des quartiers de Silwan, de Batn Alhawa est menacée d'expulsion forcée imminente avant la démolition de ses maisons. Le quartier d'Al Sheikh Jarrah est aujourd'hui assiégé et vit, depuis plusieurs années, sous attaque de l'armée d'occupation et des groupes de colons.

Les 28 familles de ce quartier sont menacées d'expulsion forcée imminente par ordre des tribunaux israéliens complices, les forçant à se réfugier pour la deuxième et ou troisième fois de leurs vies, ce qui constitue un crime de guerre selon l'article 49 de la Convention de Genève et l'article 7 du Statut de Rome. La protection de la population sous occupation est une obligation, non seulement par la puissance occupante mais aussi par les États membres et signataires de ces conventions.

La résolution 10/21 portant sur la protection de la population civile palestinienne a été adoptée à la majorité à l'Assemblée générale des Nations unies le 13 juin 2018. Elle préconise l'examen des mesures garantissant la sécurité et la protection de la population civile dans le Territoire Palestinien occupé, y compris la bande de Gaza. Mais aujourd'hui aucun mécanisme n'a été mis en place pour son application.

Dans les lieux saints chrétiens et musulmans de Jérusalem-Est, surtout dans l'esplanade d'Al-Aqsa, les politiques de judaïsation de la ville sont à l'oeuvre, depuis 1967, et sont accélérées aujourd'hui par les attaques des colons et d'un grand nombre de députés extrémistes. Ces politiques et pratiques illégales israéliennes dans la ville visent à mettre la main sur ses lieux saints et à la vider de ses habitants palestiniens (chrétiens et musulmans), mettant en péril le statu quo dans les lieux saints qui perdure depuis le 17e siècle (1855).

Ces politiques modifient la nature démographique, géographique, culturelle et historique de Jérusalem-Est, future capitale de l'État de Palestine indépendant.

La bande de Gaza avec ses 2 millions d'habitants subit depuis 2007 le siège le plus inhumain et le plus long de l'histoire. Les agressions sanglantes ont coûté la vie à des milliers de civils, enfants et femmes compris, laissant une jeunesse mutilée et sans avenir. Ce blocus et ces agressions répétées visent à tuer lentement toute vie palestinienne dans la bande de Gaza, détruisant infrastructures, réservoirs d'eau, stations d'électricité, hôpitaux et écoles.

Deux millions de Palestiniens vivent dans une prison à ciel ouvert à Gaza. Plus de 5000 prisonniers politiques palestiniens sont détenus dans les geôles israéliennes parmi lesquelles des enfants, des femmes enceintes et des vieillards, des malades chroniques et des handicapés. 500 d'entre eux sont en détention administrative, sans inculpation ni procès. Nombre de ces prisonniers meurent de n'avoir pas reçu les soins nécessaires ou après une grève de la faim. Et lorsqu'ils meurent, leurs dépouilles ne sont pas restituées aux familles pour les enterrer dignement. Après leur mort, ils deviennent prisonniers dans ce qui est appelé le « cimetière des chiffres ».

C'est tout un peuple qui est pris en otage par cette occupation. Avec plus de 7 millions de palestiniens réfugiés à travers le monde, dans les pays voisins, mais aussi à l'intérieur même du Territoire palestinien occupé, ces réfugiés, depuis 74 ans, attendent toujours de retourner chez eux en application de la résolution 194 de l'Assemblée générale de l'ONU, privés des services vitaux et primaires, d'éducation et de soins. À cet égard, nous saluons le travail colossal que fait l'UNRWA, et remercions les États contributeurs à son budget de fonctionnement y compris la France, pour assister et fournir ces services primaires, particulièrement en ces temps éprouvants de pandémie de Covid-19.

Voici le quotidien douloureux de tout Palestinien victime de ce régime de colonisation depuis la Nakba jusqu'à ce jour.

Nous croyions tous que M. Netanyahu était le Premier ministre israélien le plus extrémiste au pouvoir en Israël, mais nous sommes aujourd'hui face à un Premier Ministre qui se vante publiquement d'avoir tué beaucoup de Palestiniens sans éprouver aucun problème avec ces actes criminels ; qui a réitéré publiquement son rejet de la solution à deux États, et la création d'un État palestinien, qui déclare avoir la colonisation pour projet principal, et qui a validé en novembre 2021 l'ordre à l'armée d'occupation israélienne de « tirer-pour-tuer » tout Palestinien suspecté de représenter une menace, tout cela, bien entendu, en toute impunité et dans un silence assourdissant de la communauté internationale.

Nous cherchons toujours un partenaire qui s'engage pour la paix.

Cette position est une constante de la politique israélienne. En effet, depuis les accords d'Oslo le nombre de colons israéliens dans les territoires palestiniens occupés a été multiplié par 4, passant de 200 000 en 1993 à 800 000 aujourd'hui. La colonisation a été étudiée pour empêcher toute continuité géographique. La loi « Israël, État Nation du peuple juif » votée par la Knesset en 2018, définit la colonisation comme une « valeur nationale » invitant à la consolider et à la développer. Elle accorde la suprématie du peuple juif au détriment de 25 % de la population de l'Etat d'Israël composée d'Arabes israéliens.

Quant à l'administration américaine, le Président Trump a mis à mal, non seulement les droits fondamentaux du peuple palestinien, mais aussi l'ensemble du système multilatéral international. Nous avions espéré que le Président Biden allait réparer le mal que son prédécesseur avait fait, mais aucune initiative politique n'a encore vu le jour. Le consulat américain à Jérusalem demeure fermé ainsi que la Mission palestinienne à Washington. Aujourd'hui, il perdure un vide politique laissé par toute une communauté internationale qui laisse Israël dans une zone de confort, par l'absence de mise en responsabilité et par des condamnations timides garantissant l'impunité totale d'une occupation militaire qui se prolonge à l'infini.

Le droit international est très clair. Il offre des outils légaux afin d'exercer une vraie pression sur une puissance occupante, Israël en l'occurrence est en totale violation des conventions et du droit international. Ces outils incluent le recours à la Cour pénale internationale (CPI), des sanctions telles que l'interdiction de vente d'armes qui contribue au maintien de l'occupation et d'un système de discrimination et d'oppression imposé sur le peuple palestinien. Ces sanctions peuvent également s'appliquer sur des produits issus des colonies et pas seulement leur étiquetage.

Malgré le blocage de l'horizon politique, la direction palestinienne reste attachée à la solution à deux États endossée par la communauté internationale. Elle demeure déterminée à protéger les acquis des institutions démocratiques de l'État de Palestine et à poursuivre ses réformes pour créer un avenir meilleur pour la jeunesse palestinienne. Ainsi, le Président Mahmoud Abbas s'est vu obligé de reporter les élections législatives et présidentielles, jusqu'à ce qu'Israël, la force occupante, autorise leur tenue à Jérusalem-Est comme par le passé (en 1996 et 2006) et ce, conformément aux accords signés avec Israël pour la tenue des élections. Ils stipulent la tenue des élections dans l'ensemble du Territoire palestinien occupé : c'est-à-dire la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza.

Ces élections sous occupation, représentent un impératif démocratique, et renforceront les efforts de réconciliation déjà déployés pour mettre fin à la division inter-palestinienne.

Mais les réformes de l'administration palestinienne doivent composer avec une grave crise financière déclenchée par la diminution de l'aide internationale et la saisie, par Israël, des revenus des taxes palestiniennes qu'il collecte à la place du gouvernement palestinien, moyennant une commission exorbitante et non agréée. Ces recettes constituent 60 % du budget de fonctionnement du gouvernement palestinien lequel n'est plus en mesure de payer intégralement ses fonctionnaires. Israël retient régulièrement les fonds palestiniens, exerçant ainsi un chantage politique inacceptable, en parfaite violation du protocole de Paris de 1994. Une révision s'impose.

Face à cette réalité alarmante sur le terrain, en l'absence de perspectives politiques pour la reprise d'un processus politique crédible, et l'engagement depuis 30 ans en faveur de la solution à deux États, la direction palestinienne se trouve obligée d'explorer de nouveaux scénarios.

L'occupation, censée être temporaire par nature, ne peut durer et doit cesser urgemment. Pour nous, le statu quo actuel n'est pas tenable. Lors de son dernier discours devant l'Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier, le Président Mahmoud Abbas, a exprimé notre attachement depuis 30 ans envers la solution à deux États, sans trouver en face de partenaire israélien qui s'engage pour la même solution. Bien au contraire, les gouvernements israéliens successifs ont maintenu une politique de colonisation et d'occupation permanente qui sabote toute solution et, avec elle, les aspirations légitimes du peuple palestinien.

Face à cette réalité, le Président Abbas, avec l'objectif de protéger notre peuple, son identité nationale et politique, a exigé d'Israël de mettre un terme à l'occupation militaire des territoires palestiniens occupés depuis 1967. Dans un an, le cas échéant, le peuple palestinien et sa direction se trouveront devant deux options : demander l'égalité au sein d'un seul État qui serait de facto un État d'apartheid, en raison du rejet d'Israël d'une telle idée ; ou l'application de la résolution 181 de 1947, cette même résolution qui a créé l'État d'Israël.

En ce 1er février, Amnesty International a publié un rapport intitulé : «?L'Apartheid commis par Israël à l'encontre des Palestiniens. Un système cruel de domination et un crime contre l'humanité?». Ce rapport a été précédé par trois autres, le premier de Al-Haq, une organisation de défense des droits de l'homme en Palestine (qui s'est vu décerner en 2018 le Prix des droits de l'homme de la République française), le deuxième de Betselem (lauréat du même prix), et qui est la plus grande organisation de défense des droits de l'homme en Israël, et le troisième de Human Rights Watch arrivant, après des années d'études de terrain et de documentation, à la conclusion que l'État d'Israël exerce « un crime d'apartheid » contre le peuple palestinien en territoire palestinien occupé. Ces 4 rapports se sont basés sur la définition du « crime de l'apartheid » définie par la résolution 3068 de l'assemblée générale des Nations unies du 30 novembre 1973. Cette définition est, en outre, reconnue par le statut de Rome de 2002 instituant une cour pénale internationale.

En droit international, le seuil pour définir un crime d'apartheid est atteint lorsque trois critères principaux sont réunis :

- un système institutionnalisé d'oppression et de domination d'un groupe racial par un autre ;

- un ou des actes inhumains, tels que les transferts forcés de populations, tortures et meurtres, commis dans le cadre de ce système institutionnalisé ;

- une intention de maintenir la domination d'un groupe racial sur un autre.

Recensés par le tout nouveau rapport d'Amnesty International, je cite, « les actes discriminatoires d'Israël constitutifs du crime d'apartheid comprennent : la poursuite des déplacements forcés ; les déportations forcées, les transferts forcés et les restrictions arbitraires à la liberté de mouvement ; le déni de nationalité et le droit de retour ; la dépossession raciale et discriminatoire des terres et des biens ; et l'attribution et l'accès discriminatoires aux ressources nationales, y compris la terre, le logement et l'eau ; ».

Ce sont les mots d'Amnesty International et, avant elle, d'Al-Haq, de HRW et des ONG palestiniennes qualifiées par Israël de terroristes et d'antisémites pour avoir rétabli des faits objectifs.

Face à cette réalité, il y a urgence à ce que la communauté internationale prenne ses responsabilités en tant qu'États parties aux différentes conventions, notamment la Convention de Genève et la Charte des Nations unies. Il est primordial de créer les conditions nécessaires pour qu'un processus politique crédible soit lancé, et ce par la tenue d'une conférence internationale pour la paix, basée sur les termes de références agréées par l'ensemble de la communauté internationale qui incluent les différentes résolutions des Nations unies, le principe de la terre contre la paix, la conférence de Madrid et l'Initiative arabe de paix pour sortir de l'impasse actuelle. Une impasse dangereuse dont les conséquences seront désastreuses pour tous.

À cet égard, nous invitons la France à prendre l'initiative politique d'organiser une conférence internationale pour la paix, et à oeuvrer pour la mise en application de la résolution 2334 du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité, et enfin de reconnaitre l'État de Palestine pour protéger la solution à deux États avant qu'il ne soit trop tard. Le moment est venu pour que la France marque l'Histoire de nouveau.

Il est temps de rendre justice à un peuple qui a trop longtemps souffert et de lui permettre de créer un État indépendant, souverain et contiguë, dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, vivant en paix et en sécurité avec Israël.

Ne faites de la Palestine ni d'Israël d'exceptions quand il s'agit des droits fondamentaux et du respect du droit international, car ces droits sont tout simplement indivisibles pour tous.

Je vous remercie de votre attention.

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