Je vais commencer par les accords d'Abraham. Notre position est extrêmement claire. Israël a un intérêt à faire la paix avec son voisin direct et premier partenaire : la Palestine pour établir un règlement définitif et final lors d'un accord de paix. Ensuite, Israël pourra normaliser ses relations avec l'ensemble des pays arabes et des pays islamiques (56 au total). Ces accords n'ont rien à voir avec la Palestine. Il ne faut pas se tromper et tomber dans une illusion. Ce sont des accords bilatéraux entre Israël et des pays signataires. L'accord de Paix principal doit être fait d'abord avec la Palestine.
La jeunesse palestinienne aspire à la paix mais elle est complètement désespérée. Nous n'avons rien à offrir à cette jeunesse ! C'est la raison pour laquelle nous avons tenu à maintenir les élections législatives et présidentielles pour permettre à cette jeunesse d'exercer et de vivre ce processus démocratique. Aujourd'hui en Palestine, plus de 50 % de la population à moins de 25 ans. La moitié de la population n'a jamais exercé son droit de vote. Nous sommes conscients de l'aspiration de cette jeunesse palestinienne.
Notre position est très claire mais il y a des « lignes rouges ». La tenue des élections doit se faire dans l'ensemble des territoires palestiniens occupés. Israël a rejeté la tenue des élections à Jérusalem-Est l'année dernière. Le choix était extrêmement difficile de prendre la décision de reporter les élections car on a voulu donner l'occasion à notre jeunesse d'exercer ce droit afin de renouveler notre leadership sur nos institutions. Mais faire les élections sans Jérusalem-Est serait une trahison à notre cause et à notre peuple. Ce serait une acceptation de l'annexion par Israël de Jérusalem-Est et du plan de Donald Trump !
C'est la raison pour laquelle, on a décidé d'opter pour un report des élections jusqu'à l'autorisation de tenir le scrutin à Jérusalem-Est. Le monde oublie que nous sommes sous occupation. Pour tenir ces élections, nous avons besoin de l'autorisation de la force occupante qui est Israël. Nous restons attachés à la tenue de ces élections et nous restons fermes dans notre position de les faire dans l'ensemble des territoires occupés. Le médiateur européen a constaté et nous a transmis le rejet catégorique israélien de la tenue des élections à Jérusalem-Est.
Madame Jourda, vous avez parlé d'une situation économique extrêmement sombre. Aujourd'hui, le gouvernement palestinien essaye de travailler et de fournir les services publics principaux, essaye de garantir le fonctionnement des institutions et essaye de renforcer une économie fragilisée par les différentes crises occasionnées par l'occupation israélienne. Nos exportations et nos importations sont à la merci de l'occupation israélienne. Pour faire du chantage politique contre le gouvernement palestinien, Israël gèle les revenus et l'argent qui doivent servir à développer le pays. Aujourd'hui, nous sommes focalisés sur le développement des zones C. Les zones C constituent 40 % de la Cisjordanie. Ce sont ces mêmes zones qu'il y a deux ans, Israël a tenté d'annexer de jure. Aujourd'hui, il y a une annexion de facto de la vallée du Jourdain et d'une grande superficie de la Cisjordanie.
Aujourd'hui, nous investissons et nous encourageons nos partenaires internationaux et européens à le faire également. L'AFD est extrêmement impliquée avec le gouvernement palestinien pour mener des projets au bénéfice des citoyens palestiniens dans la zone C et dans les zones menacées d'expropriation afin de changer leur quotidien et de les aider à subsister sur leur terre.
Avec peu de ressources, nous essayons de fournir le maximum de services. La pandémie a été l'épreuve la plus grande pour le gouvernement palestinien. Nous étions le deuxième pays dans le monde à imposer un confinement général, tout simplement pour éviter une catastrophe potentielle et parce que nous n'avons pas les moyens de gérer une situation incontrôlable. C'est la raison pour laquelle, nous avons imposé un confinement draconien pour protéger la population, faute d'infrastructures hospitalières adaptées. Malgré cette situation austère et ce manque de moyens, nous avons réussi à gérer avec le minimum de dégâts la pandémie.
Les relations avec les États-Unis existent. Elles sont au minimum. Il y a un dialogue avec le président américain Joe Biden et avec le ministre des affaires étrangères, Anthony Blinken. De multiples coups de fil ont eu lieu entre le Président Abbas et l'administration américaine. Mais nous attendons toujours un vrai engagement américain. Aujourd'hui la solution de ce tableau ne passe pas par des petites mesures économiques ou des petits encouragements à l'investissement. On a besoin d'un vrai engagement politique de la part de l'administration américaine. Or, jusqu'à maintenant, cela n'a pas été le cas ! Les Américains se désengagent totalement de la région comme par exemple de l'Afghanistan. Nous souhaitons que les Américains se focalisent sur cette cause centrale de la région. Si elle ne résoudra pas toutes les crises de notre région, elle les apaisera tout de même et apportera une certaine stabilité. Nous attendons donc toujours une initiative américaine importante.
Mais en attendant, nous comptons sur nos partenaires européens. La France a fait l'Histoire concernant la question palestinienne par le courage politique de ses présidents. Aujourd'hui nous attendons que la France soit au rendez-vous. La France s'est toujours investie pour la paix. Je me rappelle de l'initiative française de la conférence pour la paix en 2016. La France a déployé des efforts gigantesques dans un moment où on croyait impossible la tenue d'une telle conférence et le rassemblement de partenaires internationaux autour d'une même table. La France est toujours capable de jouer ce rôle par sa crédibilité et sa légitimité dans la région. La France a la responsabilité de ramener aussi les pays européens autour de cette question. Nous sommes conscients des divisions européennes sur la question palestinienne. Il est important de ramener les européens à une position commune pour la paix. En tant que présidente de l'Union européenne et membre permanent du Conseil de sécurité, la France engage sa responsabilité internationale au service du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. Nous attendons beaucoup de nos amis français.
La relation avec la France n'est pas seulement gouvernementale, elle se situe aussi au niveau des peuples. La coopération décentralisée entre la France et la Palestine est la plus riche au monde. Cet engagement des collectivités territoriales françaises avec les collectivités palestiniennes est un levier important qui a un impact sur la vie quotidienne des Palestiniens et particulièrement dans les zones C (zones menacées d'expulsion et d'expropriation). À Gaza, l'AFD est engagée dans divers projets et principalement dans le secteur de l'eau avec une station de dessalement. Il y aussi le soutien à la jeunesse par divers projets.
J'étais récemment à la station F où se trouve le plus grand incubateur au monde. En Palestine, il y a huit incubateurs dont cinq se trouvent dans la bande de Gaza avec une jeunesse ambitieuse et talentueuse ! La coopération décentralisée reste un levier important, ainsi que l'AFD avec laquelle nous travaillons en étroite coordination afin de mener des projets prioritaires.
Aujourd'hui, nous sommes les témoins des bouleversements de ce qui se passe en Ukraine. La Palestine n'intervient pas dans les affaires intérieures d'autres pays. Notre objectif national est bien clair. Notre objectif en tant qu'État de Palestine est de résoudre le conflit et de mettre un terme à l'occupation militaire israélienne de notre terre. La Palestine soutient tout effort pour apaiser un conflit ailleurs dans le monde. La Palestine appuie tout effort diplomatique engagé par la communauté internationale afin de démanteler une tension qui existe ailleurs dans le monde.
En politique interne, nous faisons face au dilemme de la réconciliation interpalestinienne. C'est un sujet qui dure depuis plus longtemps que prévu. Nous sommes déterminés à aboutir dans ce dialogue avec le Fatah et le Hamas afin de réunir la Maison palestinienne face au danger plus grand qu'est l'occupation. Des pourparlers sont engagés avec la médiation de l'Égypte. Le président al-Sissi déploie beaucoup d'efforts pour ramener le Fatah et le Hamas, avec le reste des factions politiques palestiniennes, dans le chemin de l'unité et de la réconciliation interpalestinienne. C'est une priorité car cette division entraîne pour notre peuple un déchirement de la population palestinienne entre la bande de Gaza et la Cisjordanie. C'est une priorité pour le président Abbas et pour l'OLP qui est une institution que nous renforçons. Récemment, un Conseil central palestinien s'est tenu pour construire une stratégie commune palestinienne pour la réconciliation et contre l'occupation. J'ai donc espoir qu'on arrive, avec l'aide de nos voisins, et principalement de l'Égypte et de la Jordanie, à consolider un rapprochement entre le Fatah et le Hamas.
Nous avons une relation d'amitié et de solidarité avec la Turquie. C'est une relation historique. La Turquie a toujours eu des relations avec Israël. Ce n'est pas une relation cachée ! Nous n'intervenons pas dans les affaires internes des pays (surtout les pays de la région). La Turquie a joué un rôle dans le dialogue interpalestinien. Nous accueillons toujours tout effort qui peut nous amener vers la concrétisation de cette réconciliation.