Intervention de Martine Filleul

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 24 mai 2022 à 15h30

Photo de Martine FilleulMartine Filleul :

rapporteure. – Après ce propos introductif, je vous propose d’en venir au cœur du sujet : comment inciter au développement d’une logistique plus durable dans nos agglomérations ?

Je vais vous présenter deux des quatre axes du travail effectué avec ma collègue Christine Herzog : en premier lieu, renforcer la prise en compte des enjeux de logistique en milieu urbain et, en second lieu, encourager les expérimentations en matière de circulation et de stationnement des véhicules de livraison afin d’assurer un partage plus fluide de la voirie.

Au fil de nos travaux, trois obstacles au développement d’une logistique durable dans nos agglomérations sont ressortis avec force : les élus locaux ont une connaissance insuffisante des flux de marchandises qui traversent leur territoire ; le dialogue entre les acteurs de la logistique urbaine, qu’ils soient publics ou privés, est souvent très insuffisant ; et les documents de planification locale n’intègrent pas suffisamment les besoins liés à la logistique urbaine.

La connaissance des flux de marchandises constitue un préalable indispensable à l’élaboration de politiques de logistique urbaine efficaces. En effet, comment les métropoles peuvent-elles calibrer leurs investissements en matière d’infrastructures logistiques ou même évaluer l’impact du transport de marchandises sur l’environnement et la circulation, si elles ne disposent pas d’un diagnostic précis de ces flux ?

Nous plaidons, avec ma collègue Christine Herzog, pour que les agglomérations de plus de 150 000 habitants réalisent une enquête « transport de marchandises en ville » (ETMV) d’ici à 2024. Une méthodologie pour effectuer ces études existe depuis les années 1990, mais, en près de trente ans, seules quatre agglomérations – Paris, Bordeaux, Dijon et Marseille – s’en sont emparées et l’enquête la plus récente, qui concerne l’Île-de-France, date du début des années 2010. Cette situation est préoccupante et contraste avec celle de la mobilité des personnes, dont les agglomérations ont une connaissance plus fine grâce aux enquêtes sur les déplacements des ménages, conduites notamment dans le cadre des plans de mobilité et, antérieurement à 2019, des plans de déplacements urbains.

Cette carence découle en grande partie du coût de ces enquêtes pour les collectivités, qui peut atteindre 1 million d’euros. Nous préconisons, pour inciter les grandes agglomérations à réaliser des ETMV, d’instituer un système de co-financement avec l’État.

J’en viens à présent au renforcement du dialogue entre les acteurs publics et privés de la logistique urbaine à l’échelon local. Nos territoires ne se sont approprié le sujet de la logistique urbaine durable que depuis peu. Or, mettre en place une logique de travail partenarial sur cette question nécessite du temps et, surtout, de la volonté. Nous avons été surprises de constater qu’au sein même de la sphère publique le dialogue et la coordination n’étaient pas toujours au rendez-vous... Une cause est à chercher dans les enchevêtrements de compétences entre les communes et les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), qui conduisent à séparer l’organisation des mobilités, qui revient à l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), de la gestion de la voirie, qui relève plutôt des pouvoirs de police du maire.

Nous proposons plusieurs pistes pour favoriser le dialogue entre les acteurs de la logistique à l’échelon local. Nous préconisons, par exemple, d’élargir au transport de marchandises le comité des partenaires institué par la loi d’orientation des mobilités (LOM) dans les AOM, qui concerne pour l’heure plutôt les mobilités de voyageurs. Il nous semble en effet important d’utiliser des structures existantes et d’articuler au mieux les dispositifs actuels pour ne pas complexifier davantage la vie des collectivités territoriales. Nous préconisons également le renouvellement du programme Interlud (Innovations territoriales et logistique urbaine durable), qui arrive à expiration fin 2022. Ce programme, piloté par l’Ademe et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), permet d’accompagner des EPCI dans l’élaboration de chartes concertées de logistique urbaine durable. Près de 50 agglomérations en ont bénéficié à ce jour. Nous proposons de poursuivre cette dynamique afin qu’elle bénéficie à un plus large nombre de territoires.

Enfin, pour ce qui concerne les politiques locales de planification, si des progrès ont été réalisés depuis la loi de 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, dite « loi Laure », l’appropriation des enjeux de logistique urbaine nous semble devoir être encore améliorée.

La logistique urbaine peut déjà être appréhendée à différentes échelles au niveau local. À l’échelle de la région, c’est le schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) qui fixe, par exemple, des objectifs de moyen et long termes pour le développement du transport de marchandises et celui des constructions logistiques. Le Sraddet doit prendre en compte la stratégie nationale bas carbone adoptée en 2020, qui fixe des objectifs en termes de performance énergétique des véhicules et de maîtrise de la croissance de la demande de transport de marchandises. À l’échelle intercommunale, le schéma de cohérence territoriale (SCoT) détermine les conditions d’implantation des constructions logistiques commerciales, pour lesquelles il doit d’ailleurs identifier des secteurs d’implantation en fonction des besoins du territoire. À l’échelle communale, enfin, le plan local d’urbanisme (PLU) est également susceptible de traiter la question de la logistique urbaine. Il peut, par exemple, imposer la réalisation d’aires de livraison. Enfin, à l’échelle de l’AOM, le plan de mobilité doit notamment déterminer l’organisation du transport de marchandises.

Pourtant, de l’avis de nombreux acteurs entendus durant nos travaux, la place de la logistique urbaine dans ces différents documents doit encore être confortée. Nous avons identifié deux angles morts. D’une part, il nous semble que le plan de mobilité pourrait comporter un diagnostic des flux de marchandises traversant l’AOM et, sur cette base, cartographier les zones logistiques ainsi que les emplacements potentiels pour les modes d’avitaillement, afin de favoriser le développement des livraisons utilisant des modes peu carbonés. Nous proposons donc d’approfondir le plan de mobilité en ce sens dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants. D’autre part, considérant que la logistique est un volet essentiel de la compétitivité et de l’attractivité économique des territoires, nous proposons de compléter le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) élaboré par la région.

Enfin, nous constatons une difficulté à traduire localement les actions inscrites dans ces documents de planification en matière de logistique urbaine. Plusieurs raisons peuvent être identifiées, au premier rang desquelles une incarnation politique souvent insuffisante de ce sujet. Nous préconisons de pallier cette difficulté en suggérant la désignation, dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants, d’un élu responsable de la logistique.

J’en viens à présent au deuxième axe de notre rapport : optimiser les règles régissant la circulation et le stationnement des véhicules de livraison afin d’assurer une meilleure gestion de la voirie en ville.

S’agissant des règles de circulation applicables aux véhicules de livraison, trois sujets ont retenu notre attention.

En premier lieu, certaines agglomérations conduisent des expérimentations intéressantes afin de réduire la congestion liée au transport de marchandises. En 2021, la ville de Paris a expérimenté les livraisons en horaires décalés – entre 21 heures et 7 heures du matin – dans le treizième arrondissement. Cette expérience aurait permis de réduire la congestion de 18 %. La ville de Bordeaux avait conduit une expérience similaire en 2016, qui aurait permis une baisse de 4 % des émissions de CO2. Nous souhaitons que ce type d’initiative soit encouragé, à condition bien sûr d’appliquer un cahier des charges garantissant le respect de la tranquillité des riverains – notamment grâce à l’utilisation d’équipements silencieux – et des conditions de travail des chauffeurs-livreurs.

En second lieu, de nombreux acteurs du transport de marchandises ont fait part de leurs difficultés à accomplir leurs missions face au casse-tête que constitue la réglementation sur la circulation, qui varie fortement d’une métropole à l’autre. Nous souhaitons qu’une base de données nationale soit constituée, recensant les règles applicables dans les agglomérations, afin de les mettre à disposition des transporteurs. Des travaux sont en cours à la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) ; il importe de les faire aboutir rapidement.

Enfin, la réglementation étant vaine en l’absence de contrôle effectif, nous préconisons l’accélération du déploiement de la lecture automatisée des plaques d’immatriculation (LAPI) pour mieux détecter les véhicules non autorisés dans les ZFE-m. La LOM a permis le recours à cette technologie pour les ZFE-m dans un souci d’opérationnalité, les contrôles traditionnels étant trop lourds à mettre en œuvre à une telle échelle. Le Gouvernement annonce les premiers tests pour la LAPI pour 2023, mais de nombreux acteurs sont sceptiques quant à la possibilité de tenir ce calendrier...

Je terminerai en abordant brièvement la question du stationnement des véhicules de livraison. Nous formulons trois propositions sur ce volet : développer l’offre de places de stationnement pour ces véhicules en ville, avec un gabarit permettant de garantir leur accessibilité ; favoriser le déploiement d’applications de gestion intelligente des aires de livraison, à l’instar de l’application Parkunload, actuellement expérimentée dans le IVe arrondissement de Paris, qui permet aux chauffeurs-livreurs de réserver une aire de livraison et, ainsi, de limiter le temps de circulation ; enfin, renforcer le contrôle du stationnement des particuliers sur des aires de livraison en ouvrant la possibilité aux agglomérations d’appliquer une pénalité financière administrative en cas de stationnement illicite, sur le modèle du forfait post-stationnement applicable au stationnement payant depuis la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam). Une telle évolution permettrait de prévenir plus efficacement le stationnement sur ces aires, car le forfait – dont le montant sera fixé par chaque agglomération pourra être rendu plus dissuasif que les amendes de deuxième classe aujourd’hui appliquées, dont le montant n’est que de 35 euros. Nous proposons, en outre, que le produit de cette pénalité soit affecté au financement des politiques de logistique urbaine.

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