Intervention de Françoise Nicolas

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 mai 2022 à 9h30
Situation de la chine et relations avec la france et l'union européenne — Audition de Mme Françoise Nicolas directeur du centre asie de l'institut français des relations internationales ifri et de M. Marc Julienne responsable des activités chine à l'ifri

Françoise Nicolas, directeur du centre Asie de l'Institut français des relations internationales (IFRI) :

La pandémie et la guerre en Ukraine interviennent dans un contexte économique qui n'était déjà pas particulièrement brillant pour la Chine, avec notamment la crise du secteur immobilier - faillite de grands promoteurs, scandale Evergrande, etc. Cette situation a été aggravée par la poursuite des tensions commerciales avec les États-Unis.

La pandémie en tant que telle a, dans un premier temps, eu un impact plutôt positif, une fois passé le blocage de l'activité au moment du confinement de Wuhan. Ainsi, le ralentissement très brutal de la croissance en 2020 a été suivi d'une reprise très vive, au moment où les autres pays ont été touchés à leur tour. La Chine avait alors « un coup d'avance ». De fait, elle est le seul pays à avoir connu une croissance positive en 2020. Cependant, dès la fin de 2021, celle-ci s'est essoufflée, même si les performances à l'exportation sont restées relativement brillantes, notamment vers l'Union européenne.

Toujours est-il que la reprise de la pandémie, avec les nouvelles mesures de confinement qu'elle entraîne et le blocage de la circulation des biens et des personnes, pèsera lourdement, à n'en pas douter, sur l'économie chinoise, d'autant que, cette fois-ci, c'est le coeur manufacturier du pays qui est touché à Shenzhen, tout comme l'est le coeur financier à Shanghai.

En outre, cette reprise de la pandémie peut créer des incertitudes et entraîner des retards - voire des reports - dans les investissements des entreprises, comme l'atteste l'effondrement de l'indice de confiance.

Comme l'a reconnu son Premier ministre, Li Keqiang, la Chine se trouve confrontée à un triple défi : une contraction de la demande, un choc de l'offre et un effondrement des anticipations.

À la pandémie s'est ajoutée la guerre en Ukraine, dont l'impact sur la Chine est assez mitigé.

Dans le domaine énergétique, l'effet a été plutôt positif pour elle : accès à du pétrole bon marché ; à plus long terme, réorientation des flux de gaz de l'Europe vers la Chine. Cependant, il faut rester prudent : autant il est facile de réorienter les flux de pétrole, autant cette opération est beaucoup plus complexe pour le gaz, celui-ci transitant par des gazoducs. Or ceux qui, depuis la Russie, alimentent la Chine ne sont pas ceux qui alimentent l'Union européenne et ils ne sont pas interconnectés. Le projet Power of Siberia 2, qui devrait permettre cette interconnexion, ne sera pas opérationnel avant longtemps.

Autre effet bénéfique pour la Chine de la guerre en Ukraine : sous l'effet des sanctions, la Russie cherche à réorienter ses ventes vers ce pays. En particulier, elle lui vend du blé à prix cassé.

Malgré tout, les effets négatifs de la guerre sont nombreux. Ainsi, un coup très dur a été porté aux routes de la soie. Le tronçon ferroviaire qui traverse l'ensemble de la masse eurasiatique, la « ceinture », comme l'appellent les Chinois, fonctionnait dans l'ensemble très bien, et dans les deux sens : de la Chine vers l'Europe et inversement, même si, au début, on observait une certaine asymétrie. La barre du million de containers a été franchie en 2021. À ce jour, les opérateurs occidentaux hésitent désormais à l'utiliser, ce qui a provoqué un effondrement du trafic. Sans compter que la voie de passage par l'Ukraine, qui était certes une voie secondaire, est désormais complètement bloquée.

De manière plus générale, les projets qui se sont développés dans le cadre de ces routes de la soie subissent le contrecoup de la neutralité affichée par Pékin, laquelle pèse sur les relations entre la Chine et l'Ukraine.

En outre, les sanctions prises à l'encontre de la Russie risquent de poser des problèmes de compliance à la Chine si elle continue de commercer avec Moscou.

On observe une autre conséquence négative à la guerre : la détérioration du portefeuille de prêts consentis par la Chine à la Russie, à l'Ukraine et à la Biélorussie.

Enfin, le dernier impact, indirect, de la guerre en Ukraine que je souhaite souligner, est la remontée des taux d'intérêt aux États-Unis, qui, en créant un écart croissant avec les taux d'intérêt chinois, faibles, risque de conduire à des sorties de capitaux de la Chine vers le reste du monde.

Globalement, la guerre en Ukraine a un impact négatif sur la Chine, tandis que la pandémie, après un premier effet positif, a eu ensuite un effet négatif.

Cette situation s'ajoute aux difficultés que connaissait la Chine. Les institutions internationales ne croient pas à l'objectif d'une croissance à 5,5 % que se sont fixé les autorités. Ainsi, le Fonds monétaire international a revu ses prévisions à la baisse, à 4,4 %. En réalité, ces objectifs de croissance ne veulent pas dire grand-chose, d'une part, parce que les autorités chinoises manipulent aisément les chiffres, d'autre part, parce qu'ils peuvent être « artificiellement » atteints par le lancement d'un vaste plan de relance des investissements, qui ne sont pas nécessairement des investissements productifs. C'est une manière traditionnelle en Chine de répondre aux chocs économiques.

Si cet objectif de croissance est atteint, cela fera l'affaire de Xi Jinping, qui pourra se vanter auprès de sa population d'être en bon gestionnaire, mais, je le répète, cela ne voudra pas nécessairement dire grand-chose.

S'agissant, enfin, de la réorientation de la politique économique de la Chine, ce sera, à mon avis, le changement dans la continuité ou la continuité dans le changement. La nouvelle orientation précédemment amorcée sera sans doute poursuivie, à savoir la fameuse stratégie de la double circulation lancée par XI Jinping voilà deux ans, avec la volonté d'autonomiser un peu plus l'économie chinoise : une autonomisation technologique grâce à la poursuite du programme Made in China 2025 et une autonomisation du marché chinois en s'appuyant davantage sur la consommation intérieure. Il est probable par ailleurs que sera engagé un plan de relance pour soutenir la croissance.

De même, il est vraisemblable que seront relancés les efforts d'internationalisation du renminbi dans ce contexte de guerre en Ukraine, par volonté d'une moindre dépendance au dollar - la Russie, à cet égard, a servi de contre-exemple. Les autorités chinoises ont ainsi compris tout l'intérêt d'une plus grande autonomie sur le plan monétaire. Les changements, cependant, seront lents. Si l'on observe les réserves de change, on constate que la place du dollar, bien qu'elle ait décru, est encore très importante, alors que celle du renminbi est proche de zéro. On peut penser qu'elle s'accroîtra.

Dans les opérations de change, les émissions de dette, les prêts internationaux et les paiements internationaux, là encore, le dollar est prépondérant, même si l'euro affiche des résultats encourageants en ce qui concerne les paiements. Le renminbi, quant à lui, est relégué très loin. Un moyen pour les Chinois que leur monnaie gagne en importance peut consister à faire adhérer davantage d'institutions financières au Cross-Border Inter-Bank Payments System, leur système de compensation monétaire : à ce jour, il compte 1 100 membres, contre 11 000 pour le système Swift.

Enfin, en prenant acte de la détérioration de la situation économique, les autorités semblent vouloir revenir légèrement en arrière dans leur volonté de mettre au pas les entreprises de haute technologie, réalisant que cette stratégie s'est révélée assez négative. Il faut voir là le signe d'une certaine inquiétude.

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