Le projet des routes de la soie répond-il à un objectif de politique intérieure ? Je pense que oui. Ce projet n'est pas si nouveau ; c'est en grande partie le « reconditionnement » de différents programmes antérieurs visant au développement économique des provinces de l'ouest, très en retard par rapport au reste du pays. Le réaménagement du territoire était certainement un objectif au départ, mais ce pan du projet des routes de la soie, à mon avis, est désormais assez secondaire par rapport aux objectifs de projection de puissance économique à l'international. Sur le plan interne, l'enjeu le plus important, c'est de permettre à l'économie chinoise de continuer à tourner.
Ce projet, géographiquement, se déploie tous azimuts, et sa dimension ferroviaire à travers le continent eurasiatique en est une parmi bien d'autres. Pour autant, pour nous Européens, c'est là son aspect le plus visible, celui qui nous impacte le plus directement. Tout retour en arrière aurait des conséquences non seulement sur la Chine, mais aussi sur l'Europe et sur la Russie.
Vous imaginez bien que les Chinois ont déjà réfléchi à un redéploiement de ces routes de la soie sans passer par la Russie ou l'Ukraine. Ainsi, il est envisagé de traverser le Kazakhstan, puis la Géorgie, après avoir traversé la mer Caspienne, éventuellement l'Arménie, pour arriver en Turquie. Il s'agit donc bien d'une voie alternative, mais elle ne peut pas remplacer complètement la voie ferroviaire actuelle.
Il existe aussi la possibilité d'utiliser la voie maritime plus classique : elle permet de transporter davantage de produits, mais elle prend plus de temps. Finalement, aucune option alternative à la route russe n'est pleinement satisfaisante.
Emblématique pour Pékin, le projet pakistanais de corridor, le CPEC, ne se passe pas aussi bien que prévu en raison de problèmes importants de sécurité, problèmes qui avaient certainement été largement sous-estimés par les autorités chinoises.
La Birmanie constitue aussi une option de contournement du détroit de Malacca, d'autant que les deux régimes sont proches, mais la situation sur place est compliquée et instable. Les Chinois vont certainement attendre de voir comment les choses évoluent.
Comme vous le disiez, il ne faut pas négliger les aspects politiques des routes de la soie en termes de volonté d'influence de la part de la Chine. Cela passe notamment par le digital.
L'Asie du Sud-Est est la zone dans laquelle les routes de la soie fonctionnent bien, sans être parfaites pour autant. Le train qui a été construit au Laos - pour l'instant, il s'arrête dans ce pays - est d'abord destiné, avant le tourisme, à alimenter les pays de la zone en produits chinois et la Chine en matières premières.
J'ai parlé de croissance artificielle, parce que le plan de relance chinois est orienté vers les infrastructures et le bâtiment. À chaque fois que la croissance s'essouffle, les autorités chinoises ont tendance à lancer ce type de plan... Le plan de relance de l'Union européenne n'est pas tourné vers les mêmes secteurs : elle souhaite d'abord investir dans les technologies d'avenir. Les investissements ne sont pas nécessairement productifs ; tout dépend de leur type !
Il est vrai que l'internationalisation du Yuan progresse, en particulier en Asie du Sud-Est, mais il faut savoir que le CIPS n'est pas encore autonome : il dépend de la messagerie Swift pour fonctionner, il ne peut donc pas se substituer à Swift à ce stade. Le Yuan est loin de concurrencer le dollar dans le commerce international. Il n'est d'ailleurs pas certain que les autorités chinoises souhaitent vraiment aller plus loin en la matière : à chaque tentative de plus grande internationalisation, les autorités, qui ne veulent pas perdre le contrôle de cet instrument, essentiel, de politique économique, ont fait un pas en arrière.