Intervention de Olivier Gérard

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 27 avril 2022 : 1ère réunion
Table ronde sur la protection des mineurs face aux contenus pornographiques

Olivier Gérard, coordonnateur du pôle « Médias-usages numériques » de l'Union nationale des associations familiales (Unaf) :

Thomas Rohmer a exprimé un certain nombre de constats que nous partageons et je n'y reviendrai que pour insister sur ce sentiment d'une dégradation de la situation.

La situation est assez paradoxale. D'un côté, des dispositifs législatifs se mettent en place, les pouvoirs publics mènent des actions de communication, les associations, sur le terrain, accompagnent les publics pour leur montrer qu'il y a un certain nombre d'évolutions. De l'autre, règne ce sentiment que la situation ne s'est pas améliorée, que l'accès aux contenus pornographiques est toujours aussi facile et simple qu'avant, qu'il soit volontaire ou non. Les parents demandent un accompagnement et manifestent leur incompréhension devant ce qu'ils ressentent comme une fatalité. Ils se demandent si la protection des mineurs ou la lutte contre les violences numériques n'ont pas été sacrifiées face à d'autres enjeux, économiques notamment.

C'est pourquoi il est important d'aller au-delà de ce qui a déjà été mis en place pour montrer, comme cela a été dit, tant par le Gouvernement que par le Président de la République, qu'il y a une véritable volonté de lutter contre ce fléau, même si cette volonté n'a pas eu un impact direct et manifeste sur l'accès des mineurs à la pornographie.

Je complèterai ce constat par quelques chiffres issus de l'étude que nous avons réalisée avec l'Open.

Nombreux sont les parents à s'inquiéter des risques numériques, mais lorsque l'on creuse la question avec eux, on s'aperçoit qu'ils ne prennent pas suffisamment en compte la question de la pornographie : parmi les risques évoqués, celle-ci n'apparaît qu'en dixième position, et trois quarts des parents seulement nous disent que le numérique peut exposer à la pornographie. Pour un quart des parents, il n'y a pas de risque d'exposition à la pornographie dans le numérique, ce qui montre la méconnaissance et l'incompréhension de ces univers par certains parents.

Lorsqu'on leur demande ce qui les inquiète le plus, 44 % seulement des parents disent être inquiets du risque pornographique pour leur enfant, c'est-à-dire moins d'un parent sur deux.

Faire prendre conscience aux parents qu'il y a aujourd'hui cette problématique de la pornographie constitue donc un véritable enjeu. Beaucoup de choses ont été faites en termes de communication, mais il y a sans doute d'autres pistes à explorer pour le leur faire entendre.

S'agissant des propositions, nous partageons les trois axes évoqués tout à l'heure : agir sur le terrain juridique, renforcer les outils techniques, et agir en matière de prévention et d'éducation. Ces trois piliers qui président à notre action doivent bien sûr être activés de manière à la fois cohérente et combinée pour être efficaces.

Concernant la réglementation, nous attendons avec la même impatience que l'Open la décision du tribunal qui interviendra mi-mai. L'enjeu est majeur, car nous attendons un signal fort.

Cependant, l'accès à la pornographie ne passe pas seulement par les sites Internet dédiés. L'étude allemande que vous évoquiez en introduction le rappelle : si 40 % des jeunes de 15 à 17 ans accèdent au contenu pornographique par des sites Internet dédiés, près de trois enfants sur dix y accèdent via les réseaux sociaux. L'étude rappelle également que si l'on additionne les applications de type messageries et les e-mails, un tiers des jeunes de 15 à 17 ans sont mis face à des contenus pornographiques directement entre pairs. Nous voyons bien que les solutions juridiques ou technologiques ont leurs limites et qu'il faut à tout prix renforcer les actions d'éducation et de prévention.

Dans les pratiques et la consommation par les jeunes de contenus pornographiques, il y a un écart important entre les pratiques moyennes et les pratiques médianes, que ce soit en termes de temps passé par mois ou du moment auquel ils se sont connectés pour la dernière fois. Les jeunes se sont en moyenne connectés au cours des 24 derniers jours mais la médiane est beaucoup plus basse, ce qui montre qu'une grande partie de ces jeunes y vont de manière très excessive et quasi quotidiennement.

L'étude rappelle aussi qu'il existe des dispositifs techniques de type VPN, dont le taux de notoriété chez les jeunes est de 40 %, dont 9 % qui savent les utiliser. Quels que soient les dispositifs légaux qui seront mis en place, ces solutions techniques permettront de les contourner. D'où l'importance de l'enjeu éducatif, car on doit faire comprendre à ces jeunes pourquoi est-ce qu'on met en place des dispositifs techniques et pourquoi est-ce que les solutions qui permettent de les contourner ne doivent pas forcément être utilisées.

En dehors des sites, 30 % des jeunes de 15 à 17 ans disent consulter des contenus pornographiques sur les réseaux sociaux. Rappelons qu'entre 7 et 10 ans, un enfant sur deux dispose d'un, voire de deux comptes sur les réseaux sociaux, malgré l'interdiction théorique avant 13 ans et le RGPD qui prévoit un consentement du mineur et des parents entre 13 et 15 ans pour la France - 13 et 16 ans dans les textes européens. Quatre ans après son adoption, rien n'a changé, les réseaux sociaux ne mettent toujours pas en place de dispositifs de vérification de l'âge. Cette situation est véritablement inacceptable. Sur le terrain, on rappelle la loi, mais les dispositifs pour l'appliquer sont inexistants !

Alors, on nous explique que la vérification de l'âge soulève un certain nombre de problématiques et n'est pas aussi simple à mettre en oeuvre qu'on le souhaiterait. Nous, nous pensons que dans cet univers de technologie numérique, il doit être possible de trouver des systèmes pour protéger les enfants, éviter l'accès des plus jeunes aux réseaux sociaux sans aucun consentement parental, et garantir le respect de certains principes, liés aux données personnelles, à la vie privée, à la liberté de navigation, notamment des adultes. C'est pour nous un point d'alerte parce qu'il y a, là aussi, un enjeu extrêmement important pour les parents et pour les familles.

Concernant les solutions techniques et le contrôle parental, nous avons évidemment soutenu la proposition de loi de Bruno Studer. Ce dispositif constitue pour nous une brique supplémentaire, notamment pour les plus jeunes, parce qu'on sait que les dispositifs de contrôle parental sont plus pertinents lorsque les enfants sont plus jeunes, pour éviter notamment qu'ils ne tombent sur des contenus de manière involontaire. S'agissant des préados ou des adolescents, les solutions sont plus complexes puisqu'elles doivent prendre en compte des enjeux d'autonomie, de liberté, de respect de l'intimité. Le consentement et l'accord des parents peut ne pas être nécessaire, voire même leur information sur ce que fait l'enfant.

Cette « brique » supplémentaire soulève de véritables enjeux éducatifs et d'accompagnement à la bonne utilisation de ces outils. La notion même de contrôle parental peut créer une confusion. L'idée n'est pas de tout contrôler et surveiller, voire de « fliquer », mais de protéger et accompagner les enfants vers l'autonomie. Or certains parents tendent vers une logique de surveillance permanente.

Lorsque vous parlez avec des parents et que vous évoquez la manière dont ils accompagnent les enfants, vous avez régulièrement des parents qui vous disent : « J'ai installé un contrôle parental, je suis tranquille », comme si le contrôle parental pouvait sécuriser les enfants à 100 %. Or on l'a vu dans l'étude allemande, il y a des modes d'accès à la pornographie qui ne sont pas sécurisés par les outils de contrôle parental. Ceux-ci ne constituent en rien un remède miracle qui remplacerait les parents : ils sont à leur service, mais ne se substitueront jamais à l'accompagnement et au dialogue.

Un autre aspect est très important à prendre en compte. Pour être efficaces, ces outils doivent être correctement paramétrés en fonction de l'enfant et des pratiques familiales. Proposer aux parents une aide lors de leur activation, c'est-à-dire lorsqu'ils utilisent pour la première fois les outils numériques, est une bonne chose, mais il faut également que les parents soient accompagnés pour comprendre ce que sont ces outils, comment les utiliser, comment les paramétrer, comment les adapter à l'âge des enfants. Cette logique d'accompagnement est évidemment encore plus nécessaire s'agissant des parents qui se trouvent éloignés du numérique ou en difficulté avec ces outils.

Au-delà des volets juridiques et techniques, l'enjeu éducatif consiste principalement à accompagner les enfants, les professionnels et les parents. L'idée n'est pas de discuter en famille des enjeux de la pornographie, mais il est important que les parents soient bien conscients des risques et de ce qu'il y a derrière ces risques : si les enfants souhaitent accéder à des contenus pornographiques, c'est d'abord parce qu'ils se posent des questions sur la sexualité. Le sujet n'est pas facile et les parents n'ont pas nécessairement à être leurs interlocuteurs, mais ils doivent être en mesure de les orienter et les guider vers des ressources, des outils ou des lieux appropriés. Certaines ressources en ligne sont formidables : les parents pourraient inciter les jeunes à les consulter. L'enjeu de parentalité est donc important et il faut continuer à impliquer les adultes, non seulement dans ces démarches, mais aussi dans une optique plus large d'éducation aux médias et de compréhension des enjeux numériques.

J'indiquais plus tôt que l'accès aux contenus pornographiques passait par les réseaux sociaux et les échanges de contenus entre jeunes, souvent via le smartphone. Aujourd'hui, en France, l'âge du tout premier équipement en téléphone portable est inférieur à 10 ans, certains parents équipant leurs enfants dès 6, 7, et 8 ans, sans pour autant les accompagner dans son usage, peut-être parce qu'au départ, ils ne voient pas les risques de leur démarche, mais plutôt les bénéfices, tantôt réels, tantôt fantasmés. Travailler sur la prévention du risque pornographique, c'est donc aussi travailler sur l'accompagnement à la parentalité numérique, c'est-à-dire amener les parents à comprendre les enjeux numériques, dont les enjeux de pornographie, ce qui renvoie à cette question d'encadrement plus général des pratiques numériques des enfants - on ne peut pas déconnecter ces deux aspects.

Dans les actions que nous menons à l'Unaf, que ce soit en ligne, à travers un certain nombre de ressources ou sur le terrain, nous essayons de proposer des outils sur les questions de la pornographie, de l'éveil amoureux, des pratiques à risque, des usages numériques des enfants, mais aussi sur des questions plus générales, de l'accompagnement au bon usage des outils numériques, ou encore des questions telles que « pourquoi, comment et à quel âge équiper son enfant d'un téléphone portable ? ». Notre approche se veut globale et, comme Open, nous travaillons aussi avec d'autres structures, parce que sur certaines thématiques précises, nous orientons plutôt vers des structures de terrain existantes.

En résumé, il y a pour nous un véritable enjeu de parentalité dans la connaissance de ces ressources, tout en sachant, quand c'est nécessaire, quitter la logique d'éducation aux enjeux numériques par le seul numérique. On oublie souvent que pour beaucoup de parents, la solution ne passe pas uniquement par ces aspects, parce qu'ils sont attachés, comme les jeunes, à l'échange, aux interactions avec d'autres adultes. Il y a là un enjeu majeur de politique publique, qui implique des moyens financiers adaptés à la hauteur des défis : ce soutien est évidemment important pour les associations qui interviennent sur le terrain.

L'Unaf est également favorable aux espaces de discussion où les jeunes peuvent librement s'exprimer et poser des questions. Nous avons quelques associations et quelques Udaf qui développent des actions à destination des jeunes autour des questions relatives à la vie affective, relationnelle et sexuelle, les fameuses séances d'Evars (éducation à la vie affective relationnelle et sexuelle), et nous partageons le constat qu'effectivement ces sujets sont parfois difficiles à aborder, notamment dans les établissements scolaires où il y a encore des points de blocage et où il est assez compliqué de développer ces actions. Nous essayons de les organiser dans d'autres lieux, avec d'autres partenaires, mais il nous semble qu'effectivement l'école doit s'ouvrir à ces problématiques.

Dernier point, il y a un effort de communication à faire autour des ressources à destination des jeunes sur ces problématiques. Beaucoup de choses ont déjà été faites, mais on a aussi un certain nombre de jeunes ados ou de préados qui n'ont pas connaissance de ces ressources et il y a là un enjeu de communication important.

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