Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité et, surtout, de prendre le soin d'entendre l'ensemble des parties prenantes de notre industrie. Permettez-moi de me présenter rapidement et de présenter le groupe Dorcel. Je suis Grégory Dorcel ; je dirige depuis vingt ans le groupe Dorcel. Dorcel est un groupe français qui a plus de quarante-cinq ans d'existence et qui est considéré comme un leader de l'industrie pornographique.
Notre groupe compte aujourd'hui une centaine de collaborateurs, dont 60 % de collaboratrices. Nos activités sont réparties entre le média et le retail : son activité historique est l'activité « média », qui regroupe l'achat et la production de programmes et l'édition de cinq chaînes de télévision diffusées auprès de 300 opérateurs tels que Orange, Free, SFR..., dans plus de 75 pays. Nous gérons également les offres télé et VOD adultes de dizaines d'opérateurs TV, qui nous font confiance pour notre sérieux et notre professionnalisme.
L'activité retail représente près de la moitié de notre chiffre d'affaires. Elle regroupe la fabrication et la distribution de produits et accessoires destinés au plaisir sexuel - lingerie, parapharmacie, sex toys - que nous distribuons dans nos réseaux de magasins, en ligne et chez des distributeurs classiques comme La Redoute, Veepee, Vente Privée, etc.
Cette présentation faite, je voudrais profiter de la parole qui m'est donnée pour condamner sans détour et avec la plus grande fermeté les actes odieux d'un certain milieu amateur, qui font l'objet d'enquêtes pénales en cours. À titre très personnel, je ne peux les accepter : ils sont à l'opposé des engagements et des valeurs de notre société. Nous tenons à soutenir les victimes dans cette épreuve, leur parole doit être crue et entendue. Ces affaires dramatiques ont toutefois le mérite de faire réagir notre industrie, qui connaît - nous le verrons - des avancées significatives quant aux conditions de tournage.
Chez Dorcel, nous menons un combat très important pour protéger les mineurs contre la diffusion d'images sauvages pornographiques. Notre position est claire et connue publiquement : nous sommes pleinement engagés pour le droit de jouir, entre adultes consentants, d'une sexualité libérée, mais toujours respectueuse de chacun et des lois.
À l'évidence, la pornographie reste un sujet tabou en France. Bien que consommée par 72 % des adultes, elle n'est que trop peu traitée sérieusement et en détail pour dépasser les clichés convenus. Cette ghettoïsation et le malaise persistant qui empêche de traiter rationnellement et publiquement les sujets liés à la sexualité peuvent malheureusement conduire à un manque d'information, mais aussi à un manque de régulation et de contrôle. Ils ouvrent la porte à des dérives, voire à des comportements criminels.
Pour notre part, nous nous prononçons résolument pour une reconnaissance claire et une réglementation forte de notre industrie. Cela nécessite des discussions transparentes permettant d'exposer franchement les problèmes et de définir des solutions concrètes.
Depuis sept à huit ans, des sites sauvages, notamment les tubes, diffusent des contenus pornographiques sans aucune restriction d'accès, pour des raisons purement commerciales, et au mépris de toutes les conséquences que cela peut avoir sur les enfants. Parallèlement, ces acteurs causent aussi un tort considérable à notre industrie. Avec eux, c'est la double peine : non seulement ils diffusent des contenus pornographiques à n'importe qui - y compris les enfants - mais ils diffusent également n'importe quoi : images extrêmes, avilissantes, etc. Ce nouveau système marketing a permis à quelques sociétés, qui animent ces sites, de réaliser près de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur un marché du X mondial d'environ 8 milliards d'euros.
Dans ce contexte, j'en viens aux actions du groupe Dorcel en matière de protection des mineurs.
Premièrement, tous les sites Dorcel protègent strictement les mineurs.
Deuxièmement, nous avons signé le « protocole d'engagement pour la prévention de l'exposition des mineurs aux contenus pornographiques en ligne » en tant que membre du Geste et nous avons activement participé au comité de suivi de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), sous l'égide d'Adrien Taquet, secrétaire d'État responsable de la protection de l'enfance, et de Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique. Nous avons également participé au financement du site d'information jeprotegemonenfant.gouv.fr, créé à cette occasion.
Troisièmement, depuis 2015, suite à des discussions avec des associations de protection de l'enfance - dont vous en avez auditionné certaines, et que je remercie pour leur travail acharné - nous avons élaboré avec elles des solutions permettant de contraindre les sites sauvages à respecter le code pénal français, alors même qu'ils sont pour la plupart hébergés à l'étranger, dans des paradis fiscaux.
Le groupe Dorcel s'est donc engagé pour la mise en place d'une réglementation adaptée, forte et efficace.
Dès 2016, nous avons ainsi échangé avec les équipes du cabinet de Mme Rossignol, au ministère des familles, de l'enfance et des droits des femmes, qui ont, les premières, commencé à travailler concrètement sur le sujet. Nous avons, depuis, rencontré les représentants de nombreux ministères, administrations, professionnels de l'enfance, juristes et associations. Nous avons été auditionnés à l'Assemblée nationale par Mme la députée Bérangère Couillard, qui a produit un rapport exceptionnel de pertinence et d'exactitude. Enfin, nous avons été auditionnés ici même au Sénat, par Mme la sénatrice Marie Mercier, qui a fait adopter l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020 permettant de bloquer les sites Internet violant la protection des mineurs imposée par le code pénal.
Cette loi a été votée. Nous attendons désormais avec impatience sa mise en application par l'Arcom et par la justice, qui doit rendre sous peu ses premières décisions exécutoires. Nous espérons que cette loi sera appliquée avec volonté et force. La France, si elle l'applique, deviendrait alors le pays occidental le plus en avance en matière de protection des mineurs sur le web et pourrait servir d'exemple aux autres pays.
J'en viens aux actions que nous avons menées pour mieux encadrer les conditions de tournage, notamment par l'élaboration et la mise en oeuvre de chartes.
J'insiste d'abord sur le fait que le groupe Dorcel n'a jamais fait l'objet d'aucune poursuite judiciaire, ni aujourd'hui ni par le passé, ni au sujet des affaires en cours ou d'aucune autre. Les affaires criminelles récentes sont effroyables et ne sont pas assimilables aux activités régulières de notre industrie ni aux milliers de professionnels qui exercent chaque jour leur métier de façon responsable. La justice suit son cours pour déterminer les responsables et les condamner, mais l'industrie que je défends n'abuse pas des novices dans des mises en scène glauques. L'industrie que je défends est celle des stars du X, des fictions pour adultes diffusées par tous les groupes audiovisuels du monde occidental, celle des réalisatrices et réalisateurs engagés, parmi lesquels des féministes, celle des artistes aux millions de fans et des clients qui achètent ces contenus pour les consommer, dans 50 % des cas, en couple. En un mot, ce n'est pas l'industrie pornocriminelle que les abolitionnistes fustigent en boucle.
J'entends que certains voudraient interdire la pornographie. Nous serions donc le seul pays occidental à le faire, alors que les rares pays interdisant aujourd'hui la pornographie ne me semblent pas être des modèles de société très enviables. Il y a donc ceux qui veulent imposer à tous un changement des moeurs et ceux, comme vous je l'espère, qui veulent trouver des solutions concrètes et efficaces pour mieux protéger nos concitoyens.
En tant que leaders du secteur, animés par la volonté de construire une industrie toujours plus responsable, nous avons fait deux constats, qui ont dicté nos actions. Premièrement, il n'existait pas de standards de production établis et reconnus. Ainsi, les modèles amateurs et amatrices n'avaient aucun moyen de savoir ce qui les attendait ni de distinguer ce qui était normal ou exigible de ce qui ne l'était pas. Nous avons donc souhaité l'élaboration d'une charte qui puisse être rendue publique et servir de référence, de standard, afin qu'aucun novice non professionnel ne se puisse être piégé par manque d'informations.
En parallèle, nous nous sommes nous-mêmes remis en question et avons voulu vérifier si nos bonnes pratiques usuelles étaient suffisantes. Il ne s'agissait plus d'avoir l'impression de bien faire ; toute notre production devait être garantie par des procédures strictes, vérifiables et transparentes.
Nous avons donc lancé et financé un groupe de travail indépendant, dont la mission a consisté à auditionner de nombreux professionnels, à identifier les problèmes rencontrés et à analyser les attentes, afin d'élaborer une charte qui y réponde véritablement. Vous avez déjà entendu Liza Del Sierra à ce sujet et Me Cordelier vous apportera plus de précisions dans un instant. Chez Dorcel, nous avons immédiatement adopté cette charte, en allant parfois plus loin, par exemple en matière de rémunération ou de détection des maladies sexuellement transmissibles (MST).
Nous pensons néanmoins que d'autres actions s'imposent. En effet, les pratiques criminelles évoquées se sont développées principalement autour de contenus pornographiques d'amateurs et d'indépendants diffusés principalement sur le web, sans aucune régulation. À l'inverse, les producteurs traditionnels ont toujours travaillé en répondant à un cadre légal et sociétal, mais aussi aux chartes éditoriales des différents diffuseurs. En tant que diffuseurs, nous appliquons nous-mêmes depuis longtemps des chartes éditoriales strictes qui bannissent les contenus violents, dégradants ou humiliants. Nous avons décidé d'aller plus loin et commencé à imposer ces chartes de production aux cent vingt producteurs internationaux dont nous diffusons les films. Nous nous donnons ainsi trois à cinq ans pour que 100 % des contenus que nous diffusons y répondent.
Nous pensons que les diffuseurs ont un grand rôle à jouer pour imposer ces standards et il semble que d'autres grands diffuseurs français rejoignent cette idée. Si nous souhaitons généraliser ces pratiques, tout ne peut être réglé par les seuls diffuseurs. Tant que la pornographie ne sera pas prise en considération, tant qu'elle restera un tabou pour les différentes instances, que sa légalité et les statuts mêmes des professionnels qui y travaillent quotidiennement seront remis en cause, les dérives et les comportements criminels seront, selon nous, favorisés.
La France est le seul pays où les acteurs et les actrices ne sont pas épaulés par des agents et où leur statut légal reste encore incertain... Alors que les productions pornographiques sont consommées régulièrement par plus de la moitié des adultes Français, nous continuons à faire comme si elles n'existaient pas, comme si elles n'étaient ni usuelles ni légales. Les acteurs et actrices de cette industrie doivent tous savoir qu'ils exercent un vrai métier, qui doit être reconnu, encadré, et qui doit obéir à des règles et protections comme tout autre métier. Faire du porno, ce n'est pas faire une petite vidéo entre amis...
Par ailleurs, les agences d'artistes doivent pouvoir exister, à l'instar du cinéma traditionnel ou du mannequinat. Les artistes ont besoin de ces agences pour être représentés, accompagnés et défendus.
Sur le plan législatif, enfin, l'article 227-24 du code pénal est le seul à régir la pornographie. Depuis sa création en 1994, la notion d'« atteinte à la dignité de la personne humaine » s'est vue limitée aux seuls contenus susceptibles d'être accessibles aux mineurs. Or selon nous, l'atteinte à la dignité humaine doit s'appliquer à l'ensemble des contenus, y compris aux contenus pour adultes. Autrefois, une unité de police nommée « outrage aux bonnes moeurs » traquait les contenus violents ou dégradants et surveillait ainsi le milieu de la production X française. Nous pensons qu'il faut rétablir cette notion par la voie législative.
En conclusion, même si elle n'est pas du goût de tous, la pornographie fait clairement partie du quotidien des Françaises et des Français. Comme toutes les autres industries, elle peut être éthique et responsable. Elle a besoin d'évolutions, de régulation et de contrôle, et nous sommes à votre entière disposition pour étudier ensemble comment avancer sur ces propositions. Dans cette démarche, nous solliciterons le prochain ministre chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, afin d'élaborer conjointement une charte d'engagement.