Intervention de Maître Matthieu Cordelier

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 mai 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Grégory Dorcel président du groupe dorcel et maître matthieu cordelier avocat intervenu de manière indépendante dans l'élaboration d'une charte déontologique

Maître Matthieu Cordelier, avocat intervenu de manière indépendante dans l'élaboration d'une charte déontologique :

Je suis avocat en droit de la propriété intellectuelle et en droit des médias.

Je suis intervenu à plusieurs reprises pour des particuliers mineurs ou majeurs en situation difficile à la suite de cyber harcèlement ou de revenge porn. C'est par ce biais que je suis entré en relation avec M. Thomas Rohmer, président de l'association Open, et que j'ai été amené à livrer des consultations pro bono à des parents d'élèves en situation de cyber harcèlement, qui m'étaient envoyés par cette association.

J'en suis arrivé à maîtriser les sujets des droits de propriété intellectuelle, des droits à l'image et du droit de la presse et à défendre des actrices pornographiques.

J'ai discuté de ces sujets avec l'association Open et avec les différents membres des gouvernements qui se sont succédé. L'association Open a mené un très long travail pour obtenir la modification de l'article 227-24 du code pénal, avec l'ajout d'un troisième alinéa. J'espère que force d'exécution sera donnée à ce texte. L'Arcom s'est mobilisé sur ce sujet.

C'est via l'association Open que j'ai rencontré M. Dorcel, dont la position m'a paru tout à fait originale, dans la mesure où il souhaite une plus grande réglementation, pour éviter les dérives.

En la matière, éloignons-nous des concepts moraux et considérons l'individu sous l'angle de la protection des droits relatifs à la liberté individuelle. On protège le salarié qui accepte un contrat de travail déséquilibré ; on protège le consommateur contre des contrats de consommation biaisés. Pourquoi ne pas protéger l'actrice pornographique ? En ce domaine, le contexte juridique est incomplet.

La plupart des jeunes femmes que j'ai rencontrées dans mon cabinet étaient en situation difficile. Il y a un profil type, sous forme de triptyque, de l'actrice, souvent très jeune, qui sera abusée par les petites productions : elle a des problèmes psychologiques ou familiaux, des problèmes financiers et se trouve souvent isolée. En outre, lorsque je les rencontre, je constate qu'elles sont frappées de stupeur, exactement comme une victime de viol peut l'être. Par conséquent, je ne suis pas étonné que certaines productions fassent aujourd'hui l'objet de poursuites pénales. En effet, je sais que la façon dont se déroulent certains tournages n'est absolument pas normale.

Une telle situation ne se rencontre pas uniquement dans le porno. Les mannequins sont également concernés. J'ai en tête l'exemple d'une jeune femme qui avait fait des photos pour le magazine Lui et avait accepté de ne signer aucun contrat de cession de droit à l'image, dans l'espoir de faire décoller sa carrière. C'est, bien sûr, à mes yeux, une ineptie.

Qu'il s'agisse d'une actrice porno, d'un mannequin ou d'une femme ayant posé nue devant son conjoint et qui retrouve son image sur Internet, la stupeur est la même. Elles ont le sentiment d'avoir été violées dans leur intimité. Il faut en effet comprendre que, lorsque vous donnez votre image à quelqu'un, vous donnez une prolongation de votre être. Une photo est une donnée biométrique permettant de vous reconnaître, donc une donnée sensible.

Je suis intervenu aux côtés de l'association Open pour effacer des contenus. Progressivement, des actrices du porno, ou plutôt des victimes d'une profession remplie d'amateurs, m'ont demandé de les aider.

Dans le secteur de la pornographie, il existe deux catégories d'acteurs économiques. On trouve tout d'abord les acteurs institutionnels, qui ont un Kbis, c'est-à-dire un numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, et dont la démarche est respectable, comme la société Dorcel ou les portails Pornhub et YouPorn, qui appartiennent d'ailleurs au même groupe. Lorsque j'envoie une mise en demeure à ces portails, ils sont plutôt respectueux, les contenus étant retirés quasiment du premier coup, parfois même à la suite d'un simple courriel. Parce qu'ils ont une activité économique qu'ils veulent durable, ils sont respectueux des droits. Le problème, c'est que ces plateformes d'hébergement n'effectuent aucun contrôle a priori.

Les plateformes sont alimentées par des productions d'amateurs qui se veulent des professionnels parce qu'ils gagnent de l'argent avec cette activité. Toutefois, j'insiste sur ce terme, ce sont des amateurs. Il s'agit soit de petits pirates informatiques qui récupèrent du contenu chez d'autres éditeurs, soit de petits producteurs, qui sont à la fois acteurs, réalisateurs et producteurs. Ils postent des contenus pornographiques sur leurs propres chaînes, pour les monétiser, grâce à la publicité.

YouPorn, Pornhub, TikTok et Instagram rémunèrent les titulaires de ces comptes, qui sont parfois de jeunes femmes, parfois des pirates, parfois des sociétés. Pour une rémunération oscillant entre 200 euros et 500 euros par jour, une demi-douzaine ou une dizaine de vidéos sera diffusée, de manière très large, soit en tant que teaser, soit en tant que contenu.

Parfois, les petits auto-producteurs montent leur site Internet. Il n'y a là rien de compliqué ! Il suffit d'acheter un nom de domaine et de mettre en ligne. Avec un nom de société et un Kbis, vous respectez la loi.

Le plus souvent, avec des productions d'amateurs, soit il n'y a pas de contrat, soit il y a un contrat de cession de droit à l'image sur un territoire et une durée illimités, pour une rémunération de 300 euros. Ce contrat ne précise pas ce que vous allez tourner ni avec combien d'individus.

Lorsque je demande à mes clientes pourquoi elles ont accepté de se retrouver dans un véritable gang bang, face à cinq hommes, elles me répondent que la situation s'est présentée ainsi et qu'elles se sont senties bêtes. Elles n'ont pas su dire non. Elles ont le sentiment d'avoir été violées, dans la mesure où elles ont été prises au dépourvu, n'ayant été informées de rien. Elles ont signé un vague bout de papier valant cession de droit à l'image pour l'éternité et sur tous les territoires du monde. Pour 300 euros, elles se retrouvent à faire des choses qu'elles n'auraient a priori pas faites.

L'absence de contrat me donne des armes pour demander le retrait des contenus. En revanche, cela coûte très cher à la victime en honoraires d'avocat. Ne serait-ce qu'en frais postaux, il y en a souvent pour plus cher que la rémunération perçue pour faire une vidéo.

Ces jeunes femmes sont coincées. À 24 ou 27 ans, elles souhaitent entrer dans la vie professionnelle, mais il y a toujours quelqu'un qui les aura vues dans un film. C'est un véritable préjudice. D'où l'intérêt de protéger ces individus contre eux-mêmes, exactement comme on le fait pour un salarié ou un consommateur.

M. Dorcel m'a demandé, parce qu'il savait que j'étais indépendant, d'intervenir en toute autonomie sur la rédaction d'une charte, aux côtés de Liza Del Sierra et du sociologue Alexandre Duclos. Tous deux ont fait un travail de recueil d'informations auprès des différents acteurs du secteur économique, afin de connaître les doléances et les suggestions des uns et des autres. Pour ma part, j'ai remis en forme leur projet de charte, afin de lui donner une structure juridique.

La difficulté qui est apparue, c'est qu'un certain nombre d'acteurs du porno ne souhaitent pas forcément devenir des salariés. Ils ne veulent pas relever de ce qui devrait être, à mes yeux, le statut roi, à savoir le contrat de travail d'artiste-interprète, qui prévoit une rémunération pour le temps du tournage et une rémunération pour l'utilisation de l'interprétation. Dans la pornographie, certaines actrices ont une renommée particulière et font vendre davantage de films, ce qui explique l'importance de leur cachet. J'insiste sur cette comparaison avec le cinéma traditionnel.

La charte traite notamment de la sécurité au travail, du respect de l'hygiène, notamment de l'utilisation du préservatif, et du respect de l'intimité. En effet, alors que, sur un tournage pornographique, on est la plupart du temps dénudé, il y a des moments où l'on peut avoir envie de se couvrir, de se reposer, d'être au chaud ou de prendre une douche. Il convient de prendre en compte ces aspects, liés à la spécificité de ce métier.

Puisqu'il n'existe pas de convention collective à proprement parler ni de règles juridiques adaptées, nous avons voulu inventer de nouvelles règles se fondant sur les doléances des acteurs et des actrices.

Le point d'orgue de cette construction juridique est l'obligation précontractuelle d'information des acteurs et des actrices, même si la réalité du tournage peut être légèrement différente, à la suite d'absences inopinées. Quoi qu'il en soit, il s'agit de faire en sorte que l'acteur, qui tourne dans sa plus simple intimité, sache qui sera présent sur le tournage, avec qui ou quel type de partenaires il tournera, avec combien de partenaires et pour faire quoi.

C'est exactement ainsi que cela se passe dans le cinéma classique : le cachet d'une actrice est fonction de l'étendue de peau qu'elle montrera à la caméra. C'est vrai pour les contrats hollywoodiens et français.

J'en viens à la difficulté de retirer des contenus. En cas de plainte pour absence de consentement à la diffusion de l'image, qui entre dans le cadre d'une infraction pénale, les procureurs de la République considèrent que, dans la mesure où la jeune femme regarde la caméra, elle est consentante. Vous connaissez comme moi la manière d'interpréter les dispositions du code pénal : la conjonction « ou » n'est pas cumulative. Certains procureurs, pour se débarrasser du sujet, partent du principe que si vous avez donné votre consentement pour la prise de vue, vous avez donné votre consentement pour la diffusion. Tel n'est pas le cas, et c'est tout le problème !

Si j'accepte de faire un tournage porno, cela signifie-t-il que j'accepte que le film soit diffusé gratuitement sur tous les portails du monde ? Ou bien avais-je dans l'idée que le film serait diffusé sur un portail payant, dont l'accès serait limité ? La question du type de diffusion est importante. Cette question ne se pose pas avec des producteurs comme M. Dorcel, qui respecte les droits voisins et le droit à l'information précontractuelle. Mais l'industrie de la petite pornographie amateur s'en moque complètement. Ils font simplement signer un contrat de droit à l'image, pour être sûr de ne pas tomber sous le coup de l'article 226-1 du code pénal. On continue donc d'avoir des productions pour lesquelles l'actrice n'a été informée de rien.

Par ailleurs, les juridictions refusent également de poursuivre au civil. Voilà de nombreuses années, la Cour de cassation s'est prononcée sur la manière de céder un droit à l'image. Certains de mes confrères avaient développé l'argument selon lequel le droit à l'image constitue un attribut patrimonial de la personnalité. Dès lors, pourquoi ne se céderait-il pas de la même manière qu'un droit de propriété intellectuelle, avec une limite de temps et de territoire et une proportionnalité de la rémunération ?

La Cour de cassation a rejeté cette interprétation car la propriété intellectuelle est un droit spécial, qui fonctionne selon une procédure spéciale et un code spécial. Dans ce cadre ne sont prévus que le droit d'auteur, les droits voisins, le droit sui generis des bases de données, le droit des marques, le droit des dessins et modèles et le droit des brevets.

À l'heure actuelle, le droit à l'image n'est protégé que par l'article 9 du code civil, en matière de protection de la vie privée. Par conséquent, il n'existe aujourd'hui aucune disposition légale permettant d'encadrer la manière dont on cède son image. Ma proposition vise tout simplement à aller dans le sens d'une limitation géographique, temporelle et financière pour ce qui concerne le droit à l'image.

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