Je suis accompagnée de M. Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller maître, et de Mmes Perrine Tournade et Sandrine Venera, conseillères référendaires, qui ont réalisé cette enquête.
Dans le cadre du 2° de l'article 58 de la LOLF, vous nous avez saisis d'une demande d'enquête relative à la présentation et l'exécution des dépenses de l'État en outre-mer. Ce sujet, technique a priori, comporte une forte dimension politique.
Nous avons eu plusieurs échanges avec les rapporteurs spéciaux au cours de cette enquête : un échange de cadrage en avril 2021, puis un point d'étape le 7 décembre 2021. Je vous remercie de nous avoir accordé un délai pour la remise du rapport, dans une période marquée par la crise du covid qui touchait tout particulièrement les territoires ultramarins.
Notre enquête s'appuie sur une dizaine de travaux antérieurs des juridictions financières, dont certains sont récents.
Sur les 94 programmes budgétaires qui contribuent aux dépenses de l'État en outre-mer, nous avons sélectionné un échantillon de 16 programmes en raison de leur variété budgétaire, de leur intégration dans les axes prioritaires pour les outre-mer, de leur poids budgétaire et d'éventuelles spécificités territoriales. Ils représentent près de 55 % du total des dépenses, soit 11 milliards d'euros sur un total de 21 milliards prévus pour 2022.
Nous avons retenu un périmètre d'analyse large des instruments de la politique outre-mer pour identifier la stratégie de l'État dans ces territoires, en prenant en compte les objectifs de la loi relative à l'égalité réelle outre-mer du 28 février 2017, dite loi ÉROM, ceux des Assises des outre-mer de 2017-2018, ceux du Livre bleu outre-mer de 2018, ainsi que ceux inclus dans les contrats de convergence et de transformation (CCT) mis en place en 2019. Nous avons eu des échanges avec les responsables de programmes, avec les acteurs de terrain et avec les délégations outre-mer des deux assemblées parlementaires pour identifier leurs attendus et leurs critiques sur le document de politique transversale (DPT), seul document de synthèse de l'implication de l'État en outre-mer. Nous avons également conduit un travail itératif avec la direction du budget et la DGOM, que je remercie.
L'effort financier de l'État en faveur des outre-mer est important, mais il est sous-exécuté. Cet effort représente 4 % des dépenses du budget général, soit 21 milliards d'euros en 2021. Ces crédits, dont 93 % sont portés par neuf missions, sont en augmentation significative depuis une dizaine d'années.
Le programme 123 permet la contractualisation avec les collectivités territoriales. On constate sur ce programme d'importants restes à payer, de l'ordre de 1,9 milliard d'euros en 2021. Les crédits sont mis à disposition, mais nous notons une difficulté structurelle à les engager. Les facteurs d'explication sont multiples : mauvais calibrage au regard de la réalité des projets ; technique budgétaire classique en dépit des efforts de la DGOM pour limiter cette sous-exécution ; mais surtout difficultés structurelles des territoires à engager les crédits. Sur le logement, on constate ainsi un taux de sous-exécution de l'ordre de 21 %. Sur la contractualisation, ce taux est de 16 %.
L'exemple des CCT est éloquent à cet égard. Sur les quelque 3,1 milliards d'euros contractualisés - dont 62 % sont apportés par l'État et 38 % par les collectivités territoriales -, les taux de consommation sont anormalement bas : 33 % sur les autorisations d'engagement et 16 % sur les crédits de paiement. D'où notre suggestion de proroger ces contrats au-delà de leur terme prévu en 2022. La sous-consommation s'explique par des difficultés structurelles liées au tissu économique, à la rareté et à l'insécurité juridique du foncier, au manque d'ingénierie dans les collectivités, au manque de maturité des projets, à l'éloignement géographique, à un pilotage interministériel perfectible ainsi qu'à un cadre rigide, parfois inadapté aux spécificités des territoires ultramarins, empêchant notamment toute réorientation des crédits vers d'autres projets plus matures.
Les engagements financiers de l'État peinent à se concrétiser localement. Les collectivités souffrent d'un déficit de compétences, d'une situation financière dégradée et de dépenses de fonctionnement importantes. Les dispositifs d'aides sont pourtant multiples - contrats de Cahors, contrats de redressement en outre-mer (Corom), plans Cocarde, etc. -, mais insuffisamment suivis. En outre, l'État est parfois amené à se substituer aux collectivités territoriales.
L'accompagnement par l'État est diversifié : Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Agence française de développement (AFD), Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)... Mais ces dispositifs sont mal organisés, mal connus, mal coordonnés. Certains projets portés directement par l'État souffrent de moindres retards que les projets pilotés par collectivités territoriales elles-mêmes : il faut aider les collectivités territoriales à acquérir des compétences propres en ingénierie.
Le montant des dépenses fiscales est trois fois plus élevé que celui des dépenses budgétaires, soit 6 milliards d'euros en 2021, dont 700 millions inscrits au programme 123. Considérées comme nécessaires à l'économie ultramarine, les dépenses fiscales sont cependant des outils contestés. À maintes reprises, la Cour des comptes a souligné qu'elles sont difficiles à chiffrer, à cibler et à piloter et qu'elles ne sont pas évaluées. Dans notre rapport de septembre 2020 sur le logement, nous avons ainsi mis en exergue la grande complexité du dispositif, qui fait intervenir des intermédiaires, qui privilégie la rentabilité financière immédiate, qui comporte des effets d'aubaine, etc. La localisation géographique des investissements dépend moins des besoins des collectivités territoriales que des choix des promoteurs. La Cour des comptes est donc défavorable aux dépenses fiscales, en outre-mer comme en métropole.
Le DPT prétend à l'exhaustivité, mais est in fine peu éclairant et peu utile. Il est censé permettre d'évaluer l'atteinte des objectifs de la politique de l'État outre-mer et de rassembler les éléments relatifs aux 94 programmes, à la mission « Outre-mer », aux prélèvements sur les recettes de l'État. Mais il restitue difficilement ces crédits dispersés et ne permet pas de vous éclairer. Il est en outre très complexe à élaborer. Au final, il ne présente pas de véritable dimension stratégique, sa fiabilité est contestable et son utilité, marginale.
C'est pourquoi nous proposons la création d'un nouveau document public de synthèse relatif aux outre-mer pour assurer l'information du Parlement et lui permettre de suivre le déploiement des instruments financiers. Il pourrait être décorrélé de l'année budgétaire. La DGOM semble réticente à une évolution de l'ossature du DPT. Les parlementaires y sont aussi attachés, mais il est trop touffu. J'ai conscience que la réalisation de deux documents distincts constituerait une lourde charge de travail pour la DGOM.
Enfin, notre rapport se conclut par une série de recommandations.
Ce sujet est technique en apparence, mais révélateur des imperfections et des faiblesses de la politique de l'État en faveur des outre-mer. Nous proposons de faire évoluer l'information pour faire mieux apparaître les objectifs et permettre le suivi précis des CCT.