– Je suis honorée d’être devant vous aujourd’hui, pour la première fois devant le Parlement, en ma qualité de ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, même si j’aurais aimé que cela se produise dans des circonstances plus positives. Ma démarche, avec le ministre de l’intérieur, est celle d’une transparence la plus complète possible.
Je commencerai par exprimer à nouveau nos regrets vis-à-vis des personnes dont la soirée a été gâchée samedi, et des 2 700 supporters de Liverpool qui avaient acheté des tickets valides et qui ont été privés de ce beau match.
Je m’inscris dans une démarche de responsabilité. C’est pourquoi, dès lundi matin, j’ai réuni l’ensemble des parties prenantes pour analyser les incidents, établir les responsabilités de chacun et tirer les enseignements qui s’imposent : l’UEFA, en tant qu’organisateur de cette compétition, la Fédération française de football, qui détenait certains pans de responsabilité en délégation de l’UEFA, le consortium Stade de France, gestionnaire de l’enceinte, et, du côté de l’État, la préfecture de police, la préfecture de Seine-Saint-Denis, la DNLH et la mairie de Saint-Denis, collectivité hôte du match. Je retiens de cette réunion de retour d’expérience et d’analyse une convergence de vues et d’interprétation sur ce qui s’est passé. Certes, nous avions tous des points d’observation différents, complémentaires, mais nous nous sommes assurés que rien n’était incohérent. Comme souvent dans pareille affaire, il y a eu une forme de conjonction de circonstances, de faits, quelque chose qui a entraîné un processus dynamique et exponentiel, chaque pas franchi amplifiant les difficultés rencontrées de manière croissante, pour reprendre les mots des responsables du Stade de France. Je retiens aussi de cette réunion la cause racine : la proportion extrêmement élevée de faux billets, peut-être inédite et difficilement prévisible.
La DNLH, dont je n’ai pas non plus reçu la note en amont, prévoyait qu’environ 50 000 supporters anglais seraient présents dans la capitale sans être détenteurs de billets. Trois formes de difficultés étaient mentionnées : la première était la possession de faux billets. La deuxième était la tentative de pénétrer par ruse dans l’enceinte sportive, en utilisant par exemple des uniformes de stewards, de personnel de l’UEFA, de personnel médical ou d’agents de nettoyage. Notons que cela n’a pas été constaté. La troisième était le risque de voir plusieurs centaines de supporters anglais tenter de forcer les tourniquets et les différentes portes d’accès. La proportion très forte de faux billets n’était pas mentionnée.
La finale a été organisée en trois mois et l’identité des finalistes n’a été connue que le 4 mai. Or les supporters de Liverpool ont une spécificité très forte. Le temps d’adaptation à leurs techniques, aux risques spécifiques qu’ils présentent, était malheureusement très compté.
Le ministre de l’intérieur ayant été formidablement exhaustif, je ne reviendrai pas sur tous les éléments. Mais l’un d’eux est capital : la perception d’une incohérence entre ces 30 000 à 40 000 supporters sans billet ou munis de faux billets et les 2 800 faux billets scannés aux ultimes portes de contrôle signalés par l’UEFA. Nous avons essayé de décortiquer au mieux cette arithmétique. Les enquêtes du parquet de Bobigny et de l’UEFA nous donneront des éléments plus précis. Toutefois, je voudrais partager avec vous non une incohérence, mais au contraire une cohérence, en sept points.
Premier point : les 30 000 à 40 000 supporters évoqués étaient soit sans billet soit munis de faux billets, la proportion de chacun de ces deux groupes étant difficile à établir. Les supporters sans billet ont été largement tenus à l’écart de la première zone de filtrage. Les données d’affluence dans les transports en commun montrent bien un volume très important de retour de ces supporters avant même la fin du match. Ce premier ensemble de supporters sans billet était vraisemblablement important.
Deuxième point : la première zone de filtrage a rempli son objectif de rejet d’un certain nombre de détenteurs de faux billets, grâce aux stylos chimiques. L’ensemble des témoignages sont concordants : on a recensé entre 55 et 70 % de faux billets dans cette première zone de filtrage. Au début, l’UEFA, alertée par les stadiers, eux-mêmes surpris, ne croyait pas à ces statistiques et s’est demandée si les stylos chimiques n’étaient pas défectueux. Ils en ont même apporté d’autres aux stadiers.
Troisième point : seules les premières zones de filtrage aux portes X, Y et Z ont été relâchées. Aux autres portes, elles ont continué d’agir. D’ailleurs, les données de la Fédération française de football montrent que 33 % des faux billets détectés relèvent d’autres portes. Cette première zone de filtrage a donc continué à fonctionner tout au long de la période de contrôle sur une partie significative du stade. La zone de filtrage des portes X, Y et Z n’a été relâchée que de 19 h 39 à 19 h 54, puis rétablie jusqu’à ce que, vers 21 h, les stadiers quittent progressivement leur poste.
Quatrième point : après cette première zone de filtrage, les forces positionnées près des portes X, Y et Z ont pu écarter à leur tour un certain nombre d’individus sans titre d’accès valide.
Cinquième point : devant les tripodes, les agents de sécurité vérifient de nouveau les billets de manière visuelle, ce qui leur permet d’écarter les fraudes les plus évidentes, et ils vérifient l’exactitude de la porte d’entrée.
Sixième point : les 2 800 billets irréguliers scannés ont été repérés après ces cinq étapes.
Enfin, septième point : le Stade de France a établi que, malgré ces six étapes progressives, quelques centaines de spectateurs sans billet ou sans billet valide ont réussi à pénétrer dans l’enceinte du stade.
Ces étapes successives établissent en réalité une cohérence forte entre les 30 000 à 40 000 supporters évoqués au début et les chiffres des tripodes fournis par Orange à l’UEFA. C’est un élément important de la confiance en notre analyse.
Je m’inscris dans une démarche de responsabilité tournée vers l’avenir. Nous avons pris quatre décisions majeures : la première a été de réclamer une compensation pour les 2 700 supporters de Liverpool qui n’ont pu assister à ce match alors que leurs billets étaient valides. Nous avons demandé que cette compensation soit rapide et individualisée.
La deuxième a été de demander à l’UEFA une enquête très approfondie sur l’ensemble des failles constatées et notamment sur le point très sensible de la billetterie. L’enjeu est de comprendre comment cette fraude a pu être possible dans de tels volumes, avec quelles mécaniques et quelles complicités.
La troisième a été de demander au préfet Cadot, délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), de rassembler de la manière la plus exhaustive possible les analyses de toutes les parties prenantes, dans un rapport public qui vous sera transmis, messieurs les présidents.
La quatrième, avec Gérald Darmanin, a été de renforcer le pilotage des grands événements, notamment à risques.
Nous allons devoir nous améliorer dans cinq directions. Premièrement, dans la gestion des flux, au sortir des transports publics, a fortiori lors de grèves, avec une capacité renouvelée à gérer des plans de secours, des itinéraires de délestage, des replis bien coordonnés. Nous devrons améliorer le barriérage au Stade de France, mieux l’adapter à la pression des spectateurs, optimiser la gestion de la zone de premier filtrage avec des aménagements matériels et des moyens humains bien calibrés, une juste répartition des responsabilités entre agents de sécurité et forces de l’ordre, et sans doute la piétonisation de certaines voies d’accès pour éviter les croisements de flux antagonistes entre piétons et véhicules, qui créent une dangerosité particulière.
Deuxièmement, nous devons améliorer la communication et la signalétique, avec une meilleure information des voyageurs, tout particulièrement des supporters, dans les transports en commun.
Troisièmement, en matière de sécurité, nous devons nous interroger sur les conséquences concrètes pour les forces de l’ordre du contrôle d’un dispositif parfois très vaste, avec un enjeu majeur de coordination entre nos forces de sécurité intérieure et les agents de sécurité privée, mais aussi avec une attention particulière sur la filière des agents de sécurité privée. Ce sont des métiers en tension qui exigent une formation de qualité et qui seront cruciaux pour nos prochains événements.
Quatrièmement, nous devrons mieux anticiper la lutte contre la délinquance pour garantir la sécurisation générale de nos grands événements.
Cinquièmement, nous devons améliorer la billetterie avec une utilisation plus systématique de la billetterie électronique, en travaillant sur la blockchain et la cybersécurité, et en renforçant nos techniques de prévention de la fraude. Ce n’est pas spécifique à la France et une coopération européenne ou internationale sera nécessaire en matière de renseignements.
Je partage avec vous ces pistes de travail et ces premiers enseignements, sur lesquels le préfet Cadot reviendra. Mais il ne faut jamais oublier que notre pays a une longue tradition de réception de grands événements. La Ryder Cup, en 2018, avait réuni 270 000 spectateurs de 90 nationalités. Le championnat masculin de handball de 2017 a réuni 540 000 personnes. Le championnat féminin de handball s’est également tenu sans difficulté. La Coupe du monde féminine de football en 2019 a rassemblé 1,2 million de spectateurs ; Roland-Garros, en ce moment, accueille 40 000 spectateurs au quotidien.
Je veux souligner la qualité de la gouvernance, avec la délégation interministérielle aux grands événements sportifs, la délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop), l’instance de coordination nationale pour la sécurité des jeux et de la Coupe du monde de 2023, avec le préfet Ziad Khoury et l’ensemble de ces personnes extraordinairement mobilisées pour travailler sur toute la sûreté qui concourra à la bonne organisation de nos événements.
En conclusion, nous tirerons toutes les leçons. C’est peut-être la sportive en moi qui parle : ces événements nous poussent à progresser, à nous remettre en question là où c’est nécessaire et à réunir toutes les conditions pour faire de nos grands événements des succès sportifs mais aussi les fêtes populaires que les Français sont en droit d’attendre.
Mes pensées vont aussi aux Britanniques. Je réitère mes regrets vis-à-vis des supporters privés de match et je les appelle à la compréhension des difficultés que nous avons rencontrées. Dans son rapport sur les événements de la finale de l’Euro en juillet 2021 entre l’Italie et l’Angleterre, la baronne Louise Casey parle d’un échec collectif à anticiper les risques, de 17 brèches dans le dispositif de sécurité, d’une période de confusion allant d’une heure et demie avant le coup d’envoi jusqu’aux tirs au but, de concentration de foule, de chute de barrières. Elle évoque des attaques d’une violence sans précédent contre les policiers et les stewards. Souvenons-nous de tout cela.
J’ai bien entendu été sensible à l’appel du club de Liverpool. Nous avons besoin de comprendre le trafic et la désorganisation, qui a peut-être tranché avec l’encadrement du Real Madrid vis-à-vis de ses supporters. Cela ne retire rien au fait que Liverpool est un grand club avec un grand coach et de grands joueurs.
Soyez persuadés de notre mobilisation la plus totale pour faire du match France-Danemark de vendredi soir une bien meilleure expérience.
M. Michel Savin. – Je tiens tout d’abord à remercier les présidents Lafon et Buffet pour l’organisation rapide de cette audition.
Les images vues par 400 millions de téléspectateurs sont catastrophiques et incompréhensibles.
Je ne reviendrai pas sur les faits. Monsieur le ministre, je voudrais évoquer votre communication : dès le samedi soir, depuis le PC de sécurité du stade, vous avez rapidement tweeté que les incidents ayant entaché cette finale étaient uniquement de la faute des milliers de spectateurs anglais sans billet ou avec de faux billets. Vous avez par la suite affirmé que 30 000 à 40 000 spectateurs anglais sans billet ou avec de faux billets étaient massés devant le stade. S’y ajoutent logiquement les 10 000 supporters de Liverpool munis de vrais billets mais qui, à 21 h, n’étaient pas encore entrés dans le stade. Si l’on se base sur ces affirmations, cela signifie qu’entre 20 h et 21 h, entre 40 000 et 50 000 supporters anglais, soit plus de la moitié de la capacité totale du stade, étaient devant l’équipement sportif. Le problème, Monsieur le ministre, c’est que cette foule immense, personne ne l’a vue ! Ce chiffre de 30 000 à 40 000, c’est le vôtre. Pas une image, pas un témoignage de policier ou de journaliste ne corroborent votre étrange récit. La SNCF a fait savoir publiquement dans la presse qu’aucun flux particulier ou plus important que d’habitude n’avait été enregistré dans l’autre sens, après le début du match. Où sont donc passés tous ces gens ? Comme vous le demande le Président de la République, et par souci de transparence et de crédibilité de la parole gouvernementale, Monsieur le ministre, détaillez les sources officielles vous permettant de formuler de telles affirmations. Transmettez-nous rapidement l’intégralité des documents officiels.
De multiples dysfonctionnements ont conduit à ce fiasco en mondovision : grève du RER B mal anticipée, problèmes de pilotage du filtrage, ratés dans le contrôle des billets... Ces dysfonctionnements appellent des réponses rapides.
À aucun moment dans votre conférence de presse de lundi, monsieur le ministre, vous n’avez évoqué les 300 à 400 jeunes qui ont tenté, certains y sont parvenus, de pénétrer sans contrôle dans le stade en débordant les stadiers. Ces bandes ont ensuite agressé et détroussé les spectateurs à la chaîne, avec une violence inouïe parfaitement décrite dans la presse internationale et visible sur quantité de vidéos. Les méfaits de ces bandes de jeunes ont-ils eu un effet sur le chaos de cette soirée ? Votre stratégie de communication ciblée quasi uniquement sur les supporters anglais a-t-elle pour objectif d’éviter d’évoquer ces actes de délinquance ?
Enfin, vous avez souligné que la France avait eu seulement trois mois pour organiser cet événement majeur qui, d’ordinaire, exige douze mois de préparation. Ces contraintes étaient connues quand le président Macron est intervenu personnellement auprès de l’UEFA pour accueillir ce match qui devait avoir lieu à Saint-Pétersbourg. Monsieur le ministre, avez-vous été consulté par le Président de la République pour l’organisation de cette finale en France ?
M. Jérôme Durain. – Merci pour la quantité d’informations transmises. On a bien compris ce qui s’est passé. Cherchons maintenant à comprendre pourquoi cela s’est passé. Se sont conjuguées beaucoup d’impréparation et d’improvisation. On assiste à un festival de défausses assez peu fair-play sur les supporters, le club anglais, les grévistes, les détenteurs de faux billets, alors que c’est nous qui avons marqué un but contre notre camp puisque l’essentiel des défaillances sont de coordination, de filtrage, de gestion des flux, de note non lue ou non transmise. En voulant organiser à la hâte cette manifestation, nous avons sans doute eu les yeux plus gros que le ventre.
N’y a-t-il pas un problème de conception dans notre maintien de l’ordre public ? Ce n’est pas nouveau : après les gilets jaunes, on pensait que des leçons avaient été tirées. Manifestement, non ! Le préfet de police a-t-il dépêché les bonnes unités sur place ? Pourquoi la fameuse note de la DNLH n’a-t-elle jamais été lue ? La délégation interministérielle aux grands événements sportifs et la préfecture de police se parlent-elles ?
Quelle a été la coordination opérationnelle entre les flux issus des RER D et B ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de réorientation plus tôt ? Pourquoi n’est-on pas intervenu contre les délinquants qui dépouillaient les supporters ?
Est-il vrai que le dispositif de sécurité et d’accès au stade était expérimental ? Est-on sur une nouvelle organisation ? J’en veux pour preuve la publication d’un arrêté préfectoral qui permet de fermer les commerces, ce qui n’avait jamais été le cas jusqu’à présent. A-t-on testé à la hâte, sans préparation, un nouveau dispositif pour un événement aussi important ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Grâce à ce que tout le monde appelle « le fiasco de samedi soir », le monde entier a pu découvrir que la Seine-Saint-Denis n’était pas la Californie sans la mer, contrairement à ce que disait le Président de la République récemment. Je ne me réjouis pas de ces images qui, à travers le monde, ont détérioré la réputation de la France.
Le Stade de France a ouvert fin 1998. La France a changé depuis. Lorsque le Président de la République a proposé que la France accueille la finale de la Ligue des champions dans les délais que l’on sait, pourquoi, Monsieur le ministre, n’a-t-on pas créé un comité de pilotage réunissant tous les acteurs concernés par cette manifestation ? Je vous ai beaucoup écouté. Vos propos ont beaucoup choqué. Pourquoi un tel déni de ce qui s’est réellement passé ? Pourquoi ne pas dénoncer la réalité et présenter des excuses aux Espagnols et aux Anglais ?
Avez-vous renoncé à restaurer l’ordre public partout dans notre pays ?
M. Jean-Jacques Lozach. – Nous sommes là pour comprendre ce qui s’est passé samedi soir et savoir qui est responsable de quoi. Il y a eu des dysfonctionnements, des débordements, de l’imprévoyance, surtout quand on prend connaissance a posteriori de la note de la DNLH du 25 mai. On a très peu évoqué l’information défaillante des personnes concernées.
Monsieur le ministre, avez-vous la certitude que le Gouvernement s’est donné tous les moyens, notamment humains, pour que la soirée se déroule comme une fête paisible tout en respectant le cahier des charges imposé par l’UEFA, en lien avec la Fédération française de football ? L’image du pays se trouve ternie par cet événement.
L’estimation des 30 000 à 40 000 personnes sans billet ou avec des billets frauduleux a mis le feu aux poudres. Quand on fait le lien avec l’absence de toute garde à vue pour intrusion ou faux billet par le parquet de Bobigny, on est dubitatif.
En songeant aux grands événements sportifs internationaux (GESI) à venir, ne tombons pas dans les amalgames. Il est évident que la sécurité de la finale de la Ligue des champions entre le Real Madrid et Liverpool n’a rien à voir avec celle des épreuves olympiques de canoé-kayak ou de tir à l’arc ! Néanmoins, il faut tirer les enseignements de ce qui s’est passé. Envisagez-vous de réformer globalement la doctrine française de stratégie sécuritaire pour ce type d’événements, afin de sortir d’une image de tout-répressif ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – J’aurai deux questions, et autant de demandes.
Monsieur le ministre, quid de la coordination qui a été mise en place en amont de la rencontre entre les différents services concernés, consortium du Stade de France, RATP, FFF, etc. ? Les comptes rendus des réunions préparatoires sont-ils disponibles ? L’épisode de la « note fantôme » montre que le travail collectif s’est avéré difficile...
Par ailleurs, après vous avoir écouté longuement, nous ne savons toujours pas où sont passées les 30 000 personnes qui sont censées avoir causé cette situation. Vous avez malicieusement regretté de n’avoir pas eu de drones à votre disposition ; mais vous aviez des caméras de vidéosurveillance et un hélicoptère survolait la zone. Il doit être possible d’avoir connaissance des images qui ont été filmées...
Les Français ont l’impression que vous leur racontez des « carabistouilles ». Montrez ces images et nous pourrons voir précisément quels furent les flux de personnes ce soir-là. Je rappelle que la fan zone anglaise était pleine : 40 000 Anglais étaient donc dans le XIIe arrondissement ! Ils ne pouvaient être à la fois sur le cours de Vincennes et autour du Stade de France.
M. Claude Kern. – J’irai à l’essentiel : ce qui m’intéresse, c’est l’avenir. À l’aune des événements catastrophiques de samedi soir, ce qui m’inquiète, en tant que corapporteur, avec David Assouline, de la mission d’information relative à la préparation des jeux OIympiques et Paralympiques de 2024, c’est la question de la sécurité. Il va falloir assurer la sécurité des sportifs, des organisateurs, des officiels, des personnalités, des journalistes, de supporters en très grand nombre, et cela sur différents sites à la fois, sans parler de la cérémonie d’ouverture. La situation sera donc autrement plus complexe à traiter.
Je suppose que cette question a été évoquée avec le comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (Cojop) et avec le Comité international olympique (CIO). J’espère qu’elle le sera à nouveau.
Envisagez-vous une nouvelle procédure ? Quels seront les acteurs associés à cette réflexion ?
M. David Assouline. – La France est un grand pays d’accueil d’événements sportifs. Il nous revient à nous aussi de défendre cette image et ce savoir-faire. En 2016, nous avons organisé le championnat d’Europe de football : c’est comparable, puisqu’il s’agit du même sport, à ceci près qu’il s’était agi d’accueillir beaucoup plus de monde et sur une période beaucoup plus longue... De surcroît, nous vivions à l’époque une vague d’attentats terroristes. Or, à l’exception des événements survenus à Marseille, l’organisation fut parfaite – j’ajoute que les acteurs impliqués étaient à peu près les mêmes qu’aujourd’hui, l’UEFA notamment.
Le savoir-faire de nos fonctionnaires et de tous ceux qui contribuent d’une façon ou d’une autre au bon déroulement de ce genre d’événements – je pense aussi aux personnels hôteliers ou aux éboueurs – n’est pas en cause. La question qui se pose est bien plutôt une question de pilotage conjoncturel d’un événement dont la nature ne diffère pas de celle d’autres événements que, par le passé, nous avons su organiser. Cette fois, ça n’a pas marché.
J’en viens donc à la question qu’a posée M. Durain, celle de la doctrine de maintien de l’ordre. La gestion d’un tel événement ne relève pas seulement du maintien de l’ordre : il s’agit d’accueillir des familles et des gens qui viennent pour faire la fête. N’y a-t-il pas eu, au cœur de la façon dont vous avez appréhendé l’événement, une identification implicite des supporters de Liverpool à des hooligans ? Si tel est le cas, vous ne vous êtes pas mis en position de gérer des masses populaires venues faire la fête. Dès que des pressions ont eu lieu, la réaction a été celle qui prévaut face à des délinquants ou à des hooligans, et qui a prévalu ces dernières années lors de nombreuses manifestations revendicatives encadrées par la préfecture de police de Paris.
Vous avez promis la transparence la plus totale : pourriez-vous nous donner une idée précise des consignes adressées avant l’événement aux forces de l’ordre, et des ordres donnés au moment où des tensions sont apparues ? Je pense notamment à l’usage de gaz lacrymogènes : vous tenterez peut-être de nous convaincre qu’il s’est agi d’une initiative isolée et qu’aucun ordre ne fut donné en ce sens ; ce serait un peu fort de café !
Il eût fallu considérer qu’il s’agissait d’abord et avant tout d’une manifestation sportive, festive et populaire !
M. Jean-Raymond Hugonet. – Madame la ministre, vous auriez sans doute préféré un autre baptême du feu ; je suis malgré tout heureux de vous recevoir ce soir pour la première fois et de constater que le sport a enfin un ministère de plein exercice, après avoir été traité comme la dernière roue du carrosse ces dernières années.
Pour assurer la sécurité, il faut avant tout tenir le terrain. Or, samedi soir, personne n’a tenu le terrain, sinon le milieu magique du Real Madrid. Clairement, la responsabilité de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) est engagée ; en tout cas, cette question exige des éclaircissements.
Qui était le patron opérationnel de ce dispositif ? Je rappelle qu’en 2006 s’est déroulée à Paris, devant 79 500 personnes, une finale de Champions League opposant déjà un club anglais, défait comme cette année, à un club espagnol. Nous savons faire ! C’est donc clairement un problème d’organisation. Pouvez-vous détailler devant nous les modalités d’organisation de l’événement et la nature des rapports entre DOPC, UEFA et stadiers ?
M. Olivier Paccaud. – M. le ministre de l’intérieur n’étant pas ministre des affaires étrangères, on comprend mieux le caractère peu diplomatique des propos qu’il a tenus à l’endroit de nos amis britanniques ; le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas travaillé à l’« entente cordiale »...
Monsieur le ministre, vous avez insisté sur le fait qu’il était difficile d’organiser ce type de rencontre en trois mois. Avons-nous eu les yeux plus gros que le ventre ? Fallait-il faire ce « test » ?
Votre démonstration a reposé pour moitié, ou presque, sur la question du préfiltrage. Les lacunes semblent s’être concentrées à ce niveau. Dans l’ancien monde, le préfiltrage consistait en une multitude de petits points de contrôle. Mme la ministre a indiqué qu’il fallait peut-être mieux baliser, réorienter ; elle a parlé d’« itinéraires de secours ». Mais tout cela existait auparavant.
Visiblement, un changement a eu lieu du jour au lendemain : on a voulu tester quelque chose de nouveau. Était-ce bien adapté ?
Concernant le dispositif policier, monsieur le ministre, vous avez esquissé un mea culpa. Les effectifs étaient suffisants pour du maintien de l’ordre, avez-vous dit, mais pas pour de la lutte contre la criminalité. Vous avez donné un chiffre : 326 hommes ; c’était d’autant moins suffisant que certains autres chiffres posent question. Quid des fameux 40 000 ? Si l’on fait l’addition de tous les chiffres que vous avez donnés, on tombe sur un total de 90 000 à 100 000 Anglais sur le sol français. Ce chiffre était forcément connu la veille, voire l’avant-veille !
De deux choses l’une : soit il y avait bien 100 000 Anglais à Paris, dont un grand nombre sans billet, et c’est l’adaptation à cette situation connue qui a fait défaut ; soit il n’y avait pas 100 000 Anglais, mais bien moins, et tout simplement nous n’étions pas prêts.