Intervention de Gérald Darmanin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 1er juin 2022 à 17h05
Incidents au stade de france le 28 mai 2022 – Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'intérieur et Mme Amélie Oudéa-castéra ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques

Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur :

– Je commencerai par deux petits rectificatifs.

Premièrement, c’est la FFF et l’UEFA qui organisaient le préfiltrage, et non le consortium du Stade de France, qui n’est en aucun cas responsable, contrairement à ce que j’ai dit rapidement par abus de langage – je m’en excuse. Deuxièmement, la DNLH a bien envoyé sa note à la préfecture de police, le 25 mai à 16 h 41 – j’ai reçu cette information pendant notre audition. Cela dit, le contenu de cette note n’aurait rien changé au déroulé des événements.

Un mot sur la communication et sur le tweet que j’ai publié le soir même. Sans aller jusqu’à authentifier ce tweet sous forme de NFT, je rappellerai ce que j’ai écrit depuis le PC sécurité du Stade de France : « Des milliers de “supporters” britanniques, sans billet ou avec des faux billets, ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers ». C’est exactement ce qui s’est passé. J’ai bien dit « des milliers de supporters », pas « des dizaines de milliers ».

Par la suite, d’autres informations sont arrivées à notre connaissance. Madame de La Gontrie, on peut discuter à l’envi de l’utilisation des images. J’ai dit en introduction que des images prouvaient le départ pendant le match de très nombreux supporters britanniques par le RER D. La SNCF évoque elle-même ce point dans la note que j’ai transmise à vos présidents. Je ne peux pas vous montrer ces images,...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Ce n’est pas de ces images-là que je parle !

– ... mais je propose que le président Buffet et le président Lafon puissent les voir.

Madame de La Gontrie, vous avez combattu le Gouvernement pour empêcher les forces de l’ordre d’utiliser des caméras aéroportées dans le cadre de missions de renseignement ou de police judiciaire. Il est un peu curieux que vous déploriez aujourd’hui les conséquences d’une cause que vous défendiez...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Affirmez-vous qu’il n’y a pas d’images ?

– La critique la plus fréquemment formulée est la suivante : où sont passés les milliers de supporters qui se trouvaient autour du Stade de France ? La SNCF elle-même dit que ces personnes ont quitté les abords du stade pendant la mi-temps notamment. Vos présidents pourront regarder les images qui le démontrent, prises par les caméras de vidéoprotection.

Deuxième sujet : la délinquance. Je l’ai toujours fermement condamnée. Aurions-nous pu lutter davantage contre la délinquance ? Évidemment. Pourquoi a-t-elle été particulièrement importante ce soir-là ? Je pense l’avoir expliqué : le dispositif de sécurité et ordre publics a été levé pour sauver des vies et éviter l’écrasement des personnes qui se présentaient en surnombre aux points de contrôle des billets. La décision prise par la préfecture de police a sauvé des vies ! La conséquence a en effet été de « livrer le terrain » à une délinquance dite d’opportunité, qu’il est difficile de mesurer précisément. C’est d’ailleurs pourquoi, en une formule tout à fait novatrice, nous permettons y compris aux ressortissants de pays étrangers ayant quitté le sol français de déposer plainte.

La Seine-Saint-Denis a été évoquée de façon très insultante par certains d’entre vous : depuis plusieurs jours, certains essentialisent la délinquance en jetant en pâture certaines nationalités ; ces propos, qui font écho à une campagne présidentielle que, pourtant, les extrémistes ont perdue, sont déplacés et même nauséabonds. Quand vous dites, madame Eustache-Brinio, que depuis 1998 la France et la Seine-Saint-Denis ont changé, vous faites le jeu de partis extrémistes.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Elles ont changé, c’est un fait.

– Permettez-moi d’être choqué par ce que vous dites. J’ai été forcé de le faire pour lutter contre les fake news, mais je n’ai pas à donner les nationalités des personnes que nous interpellons. Je vois d’ici la question suivante : quel type de Français avons-nous interpellé ? Je m’attends à tout...

Pour ce qui est des interpellations, la justice poursuit les personnes concernées. On me dit qu’aucun citoyen britannique n’a été interpellé pour intrusion ou pour détention de faux billet. C’est faux : nous avons présenté à la justice quatorze citoyens britanniques pour des faits d’intrusion. Il est normal qu’ils aient été relâchés par l’autorité judiciaire – pas par moi, je le précise ! – et aient pu rentrer chez eux. Et des personnes porteuses de faux billets ont bien été interpellées en grand nombre – la presse s’en est fait l’écho. Surtout, les policiers d’ordre public et les gendarmes mobiles n’interpellent pas les gens pour détention de faux billet ; c’est bien le stadier, agent de sécurité privé, qui constate qu’un faux billet est présenté.

Les responsables de la FFF nous l’ont dit lors de la réunion de lundi matin : on a même cru un instant que les stylos chimiques livrés aux stadiers étaient défectueux, puisque la quasi-intégralité des billets vérifiés côté britannique – trois portes seulement sur une quinzaine au total – étaient faux, si bien que les stadiers ont interrompu l’entrée des spectateurs au motif, précisément, que les stylos ne marchaient pas. Or tel n’était pas le cas : partout ailleurs, là où les billets présentés étaient vrais, les stylos fonctionnaient.

Les policiers d’ordre public n’ont certes pas interpellé les détenteurs de faux billets, parce qu’ils avaient autre chose à faire : ils avaient à gérer une foule, des enfants, des femmes enceintes, des gens venus faire la fête, comme dit M. Assouline. Si là est la faute commise par la police nationale et par la gendarmerie samedi soir, je l’assume bien volontiers : c’est une faute vénielle.

Monsieur Durain, l’organisation de cet événement n’a donné lieu à aucune expérimentation inédite. Je rappelle d’ailleurs que la billetterie et l’entrée au stade ne sont pas de la responsabilité de l’État et du ministère de l’intérieur. D’autres autorités, que vous pourrez auditionner, sont en cause.

Une nouveauté relative : décision a été prise par l’organisateur de procéder à des préfiltrages, comme lors de la finale de la Coupe de France. L’application de cette décision légitime s’est heurtée à une difficulté, une grande majorité des spectateurs optant pour le RER D, celui-ci concentrant de surcroît – pas de chance ! – l’intégralité du flux des virages anglais. Si l’on ajoute au tableau le fait que de très nombreux faux billets aient été présentés – tous en format papier, fait ô combien troublant quand l’usage est désormais partout au billet électronique... –, on comprend que le préfiltrage n’ait pas connu le même succès que lors de la finale de la Coupe de France. Ce préfiltrage a permis néanmoins d’éviter un drame : à défaut d’un tel dispositif, les intrusions auraient sans doute été massives et le terrain aurait été envahi – en d’autres termes, la finale n’aurait pas eu lieu. Ce préfiltrage organisé par la FFF était donc, me semble-t-il, une bonne mesure.

Les arrêtés pris par le préfet de police étaient nécessaires s’agissant de nos amis britanniques, à qui il arrive, comme à d’autres supporters de football, de consommer de l’alcool avant de se rendre au stade. Nous avons autorisé la consommation d’alcool dans le stade, mais non aux abords du stade, à partir de 18 h, afin d’inciter les spectateurs à entrer dans le stade et d’éviter les points de fixation à l’extérieur. Le club de Liverpool n’est pas un club comme les autres, toutes les notes de renseignement le démontrent. Souvenez-vous de la finale de la Ligue des champions organisée à Madrid en 2019 : les mêmes problèmes s’étaient posés – faux billets, dizaines de milliers de personnes massées à l’extérieur du stade –, et Liverpool était déjà à l’affiche. Peut-être aurions-nous dû anticiper davantage ce genre de difficultés... Si le club de Liverpool a de nombreux supporters formidables, il est certain, avec tout le respect que j’ai pour lui, qu’il attire aussi des hooligans – la DNLH en recense entre 50 et 100 dans sa note –, dont le comportement diffère, au hasard, de celui des supporters madrilènes. Nous y étions préparés, mais ils ne se sont pas manifestés cette fois-ci.

Madame de La Gontrie, de nombreuses réunions ont eu lieu : cinq présidées par le préfet de police, le 16 mai, le 19 mai, le 23 mai, le 25 mai, le 27 mai, et quatre organisées par le délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), auxquelles le préfet de police a participé, le 4 avril, le 27 avril, le 5 mai, le 19 mai. Nous n’avons rien à cacher : les comptes rendus sont à votre disposition.

Un mot sur la « fan zone » : j’ai parlé, par abus de langage, de 40 000 supporters britanniques présents sur le cours de Vincennes ; il ne s’agit pas que de Britanniques, mais de supporters de Liverpool. Il est avéré que 12 000 supporters britanniques, en ce sens élargi, ont quitté la « fan zone » deux heures avant le coup d’envoi pour se rendre au Stade de France en transports en commun. Il n’y a donc pas d’un côté la « fan zone » et de l’autre le stade : les deux communiquent. Je rappelle au passage que le préfet de police a eu à gérer pendant trois jours la présence de supporters britanniques sur notre sol, sans difficulté particulière. Monsieur Paccaud, les chiffres de la RATP, de la SNCF et de la FFF, laquelle n’est pas sous l’autorité du Gouvernement, ainsi que les bornages de la connectique Orange, concordent dans le sens de ce que nous disons depuis le début.

Qui était responsable du dispositif ? C’est le préfet de police, qui se trouvait en salle de commandement. De notre point de vue, le moment qui promettait d’être le plus « dramatique », en principe, était l’après-match : des supporters anglais chauffés à blanc, qu’ils aient gagné ou perdu, un rendez-vous situé quelque part entre la « fan zone », le Stade de France et les Champs-Élysées. Le directeur de cabinet du préfet de police était au Stade de France. Quand je me suis rendu, avec Mme la ministre des sports, au PC sécurité du stade, j’y ai retrouvé des représentants de l’UEFA, de la FFF, des gendarmes mobiles, de la préfecture de la police de Paris, de la DOPC – je précise que, depuis la réforme de la répartition des compétences du préfet de police et des préfets de département, le préfet de Seine-Saint-Denis n’a pas la charge de l’ordre public.

M. Paccaud suggère que nous n’aurions pas prévu l’arrivée de 100 000 Anglais sur notre territoire. Nous l’avions évidemment prévue. Comme le montre l’analyse des points de filtrage de la police aux frontières, ces supporters ont privilégié la voiture et le bateau. Simplement, nous nous attendions à ce que seuls les supporters munis de billets aillent au stade, les autres se dirigeant vers la « fan zone ». Notre erreur a sans doute été de ne pas voir que les dizaines de milliers de ressortissants britanniques qui n’avaient pas de billet – sans même parler des faux billets, phénomène que nous ignorions – se rendraient pour beaucoup au Stade de France.

Concernant l’idée de créer des itinéraires de secours, vous avez tout à fait raison. L’une des petites erreurs commises par l’autorité qui commandait le barrage a sans doute été de n’accepter le détournement par le contour des voies du RER D qu’autour de 18 h 50 : il eût fallu le faire plus tôt. J’en excuse bien volontiers les policiers et les autorités de la FFF : pendant plus d’une demi-heure, les stadiers n’ont pas compris ce qui se passait. Ils ont cru que les stylos ne fonctionnaient pas et ont même temporairement arrêté de contrôler. C’est le préfet de police qui a décidé d’abord d’autoriser le contournement puis de lever le préfiltrage. À l’avenir, peut-être ces décisions devront-elles être prises immédiatement en cas de difficulté. Cela dit, en dépit de l’image donnée, nous n’avons eu à déplorer ni mort ni blessé grave.

Monsieur Assouline, vous avez parfaitement raison : il ne s’agit pas d’un match de water-polo ou de hockey sur glace. Pour ce qui est d’événements un peu plus comparables, nous venons d’organiser deux grands matchs internationaux de rugby à Marseille ; il ne s’est strictement rien passé. Ne nous tirons pas une balle dans le pied par goût de la polémique électorale. Lors du championnat d’Europe de football, en 2016, les choses se sont parfaitement bien passées – le mérite en revient à M. Cazeneuve. Pour avoir préparé une candidature à l’organisation de l’Euro, en 2012, en tant que directeur de cabinet du ministre des sports, je sais combien la France sait accueillir ce type d’événements – c’est une fierté nationale.

N’avons-nous pas fait néanmoins, en l’espèce, une erreur d’appréciation ? Accueillant Liverpool, nous accueillions des supporters qui, pour une petite partie d’entre eux, ont un certain passif : ce club pose évidemment des problèmes d’ordre public, toutes les notes de renseignement le prouvent. Le dispositif de sécurité qui a été mis en place était un dispositif d’ordre public de grande envergure ; l’erreur a sans doute été d’anticiper un hooliganisme qui ne s’est finalement pas manifesté, heureusement. En revanche, nous n’avions pas mis en place le dispositif de sécurité publique qui aurait permis de lutter contre une forme de délinquance qui, sans être structurelle à Saint-Denis – évitons les fantasmes –, s’est trouvée « aidée » – je reprends le mot du terrain – par la présence sur place, hors du stade, de dizaines de milliers de personnes étrangères, un seul RER, de surcroît, fonctionnant normalement, et de nombreux policiers d’ordre public étant forcés de quitter le terrain pour surveiller les grilles.

S’agissant de Liverpool, nous nous attendions à des problèmes dont nous pensions qu’ils viendraient de hooligans violents et de mouvements de foule. Or le problème est venu des faux billets. Nous l’anticiperons mieux la prochaine fois, sans aucune espèce de doute. Là est l’explication de ce qui s’est passé samedi soir.

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