Intervention de Amélie Oudéa-Castéra

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 1er juin 2022 à 17h05
Incidents au stade de france le 28 mai 2022 – Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'intérieur et Mme Amélie Oudéa-castéra ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques :

– J’insiste sur la récurrence des échanges qui ont eu lieu entre l’ensemble des parties prenantes : la première réunion a eu lieu dès le 4 mars, soit quatre jours après la désignation de la France comme pays hôte de cet événement, dont je rappelle que l’organisation était placée sous la responsabilité de l’UEFA. Au total, jusqu’au jour du match, une quinzaine de réunions se sont déroulées entre l’UEFA, la FFF, le consortium du Stade de France, la préfecture de police, la Diges, le ministère de l’intérieur. Les comptes rendus de ces réunions ont été réalisés et nous n’avons aucune objection à ce qu’ils soient rendus publics.

M. Thomas Dossus. – Je rebondirai sur la question de mon collègue David Assouline. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez évoqué l’usage parfois abusif des gaz lacrymogènes : 400 millions de personnes dans le monde ont vu que de tels gaz avaient été utilisés sans discernement, avec même une certaine nonchalance, en direction de supporters qui étaient en règle. Vous avez annoncé des enquêtes concernant les agents qui ont le malheur d’avoir été filmés ; dont acte.

Mais ma question porte sur l’usage global de ces gaz. Des sommations ou des consignes ont-elles été transmises aux supporters avant usage ? Le cas échéant, par quels moyens et dans quelle langue ? Notre police est-elle capable d’accueillir un public international ?

Vous envisagez vous-même un changement de doctrine en matière d’utilisation de ces gaz lors d’événements sportifs. Pourquoi se restreindre auxdits événements ? Nous observons depuis des années des abus de ce genre dans le cadre de manifestations classiques. N’est-il pas enfin temps de viser une méthode de maintien de l’ordre tournée plutôt vers la désescalade ?

Madame la ministre, lors de l’examen de la loi visant à démocratiser le sport en France, nous avions échangé avec votre prédécesseure sur la gestion, ou plutôt sur la non-gestion, des déplacements de supporters en Ligue 1 ces dernières années, et sur la multiplication des arrêtés préfectoraux d’interdiction de déplacement. Cette politique n’a-t-elle pas abouti à une perte d’expertise de nos forces de l’ordre en matière de gestion des flux de supporters ? Allez-vous engager un réel travail avec les instances, les clubs, les groupes de supporters et les autorités pour sécuriser et garantir ces déplacements ?

Mme Valérie Boyer. – Monsieur le ministre de l’intérieur, si cette affaire a pris une telle ampleur, ce n’est pas à cause des faux billets – croyez bien néanmoins que je ne mésestime pas leur impact –, mais parce que des personnes ont été agressées et détroussées. La France, septième puissance mondiale, a été le théâtre de ce que tous désormais qualifient de « fiasco ».

Après avoir ciblé les supporters anglais, vous avez déploré une campagne « nauséabonde », stigmatisant même certains de mes collègues qui se contentaient pourtant de vous poser une question. Je citerai donc les syndicats de police : « Les collègues nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu autant de mineurs isolés regroupés et hyperactifs. La délinquance locale était aussi présente, mais ça n’était pas dominant du tout [...]. Une chose est sûre, les pickpockets sont venus en nombre pour voler du cash, des portefeuilles, des téléphones, parfois même à des malvoyants ou à des personnes en fauteuil roulant. Selon eux, il y avait tellement de vols en flagrant délit qu’ils ne pouvaient pas interpeller tout le monde. »

Considérez-vous que les syndicats de police font une campagne « nauséabonde » ?

S’est posé, visiblement, un problème d’ordre public majeur, qui aurait dû être pointé prioritairement, en lieu et place des faux billets ou du comportement des supporters anglais – ce ne sont pas les faux billets qui agressent et qui détroussent. Comment expliquez-vous la quantité de vols et d’agressions ce soir-là, monsieur le ministre ? Le Figaro fait état d’agressions sexuelles commises au moment de ces forfaits aux abords du Stade de France. Si de telles agressions ont eu lieu, pourquoi le silence ? Si elles n’ont pas eu lieu, pourquoi ne pas le dire ?

M. Alain Marc. – Monsieur le ministre, madame la ministre, vous avez établi avec précision la chronologie des événements de la soirée. Je sais le travail remarquable des policiers et gendarmes, malgré quelques dérapages – des enquêtes ont été diligentées.

Ce qui m’inquiète, c’est la perception dégradée de la France dans le monde entier. Afin de restaurer l’image de notre pays, qui est très attractif pour les touristes comme pour les entreprises, il est impératif que les événements planétaires organisés en France en 2023 et en 2024 soient réussis.

Divers intervenants – consortium du Stade de France, UEFA, FFF, préfecture de police – avaient chacun un rôle bien précis dans des espaces bien précis. N’y a-t-il pas eu un problème avec l’autorité coordinatrice ?

M. François Bonhomme. – Une remarque sur l’expérimentation du préfiltrage : ces contrôles ne relèvent certes pas de votre autorité directe, monsieur le ministre, mais était-ce vraiment le moment d’expérimenter ? Concernant par ailleurs les billets papier, n’y aurait-il pas lieu de mener une réflexion plus approfondie sur le mode d’authentification des billets ?

Un mot, ensuite, sur l’évaluation du niveau de risque : vous avez dit que la finale de la Coupe de France relevait d’un niveau de risque supérieur. Or il n’est nul besoin d’être amateur de football pour comprendre que la finale de la Champions League, avec ses 400 millions de téléspectateurs, est un événement par nature spécifique et exige une réponse de sécurité adaptée. Quant à l’analogie avec la finale de 2019 entre Liverpool et Tottenham, je ne suis pas certain qu’elle vaille : le phénomène des faux billets n’avait pas connu cette ampleur.

Plus largement, je suis frappé de la façon dont vos analyses euphémisent la situation. Certes, ce soir, on assiste à un léger rétropédalage. Vous exprimez des regrets ; serais-je Anglais, supporter de football, aurais-je été privé d’entrer au stade en dépit de billets en règle, aurais-je été de surcroît détroussé et molesté, ce sont des excuses que j’attendrais ! Mettre le trouble sur le compte des supporters anglais de Liverpool, c’est très malvenu, surtout quand on connaît l’histoire de ce club et les mesures draconiennes qu’il a prises contre le hooliganisme.

Nous aurons beaucoup de mal à corriger l’image ternie qui a été donnée. Notre capacité à organiser de grands événements dans de bonnes conditions pose question. Avant de se tourner vers l’avenir, madame la ministre, il faut comprendre les causes de ce qui s’est passé pour rectifier le tir rapidement.

M. Jacques Grosperrin. – J’ai entendu des regrets, un très léger mea culpa, jamais d’excuses : vous refusez de reconnaître votre responsabilité dans ces événements. Certes, la responsabilité de l’UEFA est engagée, mais la rencontre se déroulait sur le sol français ! C’est le Président de la République qui a choisi, dans l’urgence, d’organiser cette finale à Saint-Denis, en trois mois au lieu de dix-huit : il eût fallu y réfléchir !

Vous avez reproché ses propos à notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio. Mais Thierry Henry avait dit lui-même que Saint-Denis n’était pas Paris – on peut difficilement lui donner tort. Le maire de Liverpool a diligenté une enquête ; la vérité éclatera un jour.

L’intervention de police a-t-elle été adaptée et proportionnée à la situation ? Les gaz étaient prévus pour des hooligans, qui ne sont jamais apparus...

Que pensez-vous des réactions du monde entier devant la piètre image donnée de notre pays ?

Était-il nécessaire de réagir de façon aussi agressive à l’endroit de nos voisins anglais ? Vous vous défaussez sur les faux billets quand il faudrait s’excuser... Il n’est jamais trop tard !

Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Concernant la consommation d’alcool et la vente à la sauvette aux abords du stade, l’article L. 332-4 du code du sport prohibe l’entrée dans une enceinte sportive en état d’ivresse. Pourtant, nombreux sont ceux qui, comme moi, pourront vous décrire les ventes d’alcool sauvages, les bacs de fortune, les barbecues clandestins dans des conditions d’hygiène déplorables, à l’arrivée au stade. Alors que nous sortons à peine de la pandémie, comment expliquez-vous qu’une telle vente à la sauvette soit tolérée ?

Concernant par ailleurs la lutte contre la menace terroriste, comment expliquez-vous que j’aie pu moi-même accéder au stade sans fouille préalable ? Un tel manquement ne peut qu’inquiéter.

Madame la ministre, « Don’t crack under pressure », avez-vous écrit sur Twitter ce matin. C’est le titre du récit d’un sportif, pour qui les seules limites sont celles que l’on repousse. Mais c’est à la ministre, et non à la sportive, que je m’adresse : quand on exerce des responsabilités, il faut avoir conscience de ses limites !

M. Alain Richard. – Ce n’est pas la première fois qu’une défaillance de la ligne B du RER se produit avant un match important. Les Franciliens savent que cette ligne n’est pas d’une fiabilité totale, indépendamment des mouvements sociaux... Le préfet semble avoir improvisé en direct pour gérer les flux à la sortie du RER D, où se trouvaient massés des gens en trop grand nombre. C’est surprenant !

Dans le cadre des jeux Olympiques, de nombreux événements auront lieu en Seine-Saint-Denis ; il y a donc un retour d’expérience très sérieux à faire sur ce point.

Quant à la façon dont on doit traiter les agissements des pickpockets, ce sujet relève de la sécurité publique. Des effectifs plus importants qu’à l’accoutumée avaient été prévus, avez-vous indiqué, monsieur le ministre. La doctrine d’emploi des forces de sécurité publique vous paraît-elle satisfaisante là où il s’agit d’intercepter les auteurs de tels actes, donc de dissuader les pickpockets ?

Un message aux deux présidents, pour conclure : nous ne perdrions pas notre temps à recevoir dans quelques semaines le préfet Michel Cadot, quand il aura remis son rapport.

M. Éric Kerrouche. – Le préfet de police, qui disposait de trente-six unités de forces mobiles, soit environ 33 % des forces nationales, a choisi de n’en déployer que dix. Ce choix est difficilement explicable au regard de la note que vous avez évoquée. Cette stratégie a-t-elle été validée par votre cabinet ou par vous-même ?

Comment expliquer le déploiement de la brigade de répression de l’action violente, qui n’est pas adaptée à ce genre d’événement, plutôt que des CRS ? Si les faux billets peuvent en partie expliquer ce choix, il me semble tout de même qu’une telle situation témoigne d’un problème d’anticipation stratégique.

M. Jérémy Bacchi. – Depuis samedi dernier, le club de Liverpool, ses supporters, c’est-à-dire les victimes, les grévistes du RER B et les jeunes de Seine-Saint-Denis sont tour à tour accusés d’être responsables du fiasco du Stade de France.

Monsieur le ministre, vous avez parlé d’une fraude aux faux billets massive, industrielle et organisée. Madame la ministre, vous avez évoqué de 30 000 à 40 000 supporters sans billets ou munis de faux billets, soit la moitié de la capacité totale du stade. De quels éléments concrets disposez-vous pour tenir ces propos, alors que les enquêtes n’ont pas encore abouti ? Tous les observateurs présents sur place ont souligné le caractère apparemment marginal de cette fraude. Aucune des personnes placées en garde à vue ne l’a été en raison d’intrusion frauduleuse ou de détention de faux billets...

Si vos chiffres s’avéraient exacts, comment une production industrielle d’une telle ampleur, encore jamais rencontrée sur un tel événement, a-t-elle pu passer sous les radars ?

Ne pensez-vous pas nécessaire de s’interroger sur la gestion purement sécuritaire des fans de football que nous avons connue ces dernières années ? Ne faut-il pas déplorer un manque de moyens et de compétences dans la gestion de ces flux, si bien qu’il est devenu plus simple d’interdire quasi systématiquement les déplacements ? Ainsi, sur les 380 matches de Ligue 1 cette saison, 115 interdictions de déplacement ont été décrétées.

L’usage des gaz lacrymogènes par les forces de l’ordre, y compris en direction des supporters et des familles, n’est pas sans rappeler les problèmes rencontrés depuis quelques années dans la gestion des manifestations. N’est-il pas urgent de changer la doctrine du maintien de l’ordre et de privilégier une désescalade à l’usage inconsidéré de la force ? Ne serait-il pas également judicieux de mieux préparer les stadiers à la gestion de ce type de grand événement sportif eu égard aux échéances qui nous attendent ?

M. Thani Mohamed Soilihi. – Madame la ministre, vous avez évoqué l’indemnisation des supporters ayant acheté des billets de bonne foi, mais n’ayant pu accéder au stade. Pouvez-vous nous donner davantage de précisions ?

Le club de Liverpool a demandé une émission de billets papier. Aurait-il été possible de la refuser ? Si oui, qui en aurait eu le pouvoir ?

Jürgen Klopp avait appelé les supporters de son équipe à se rendre en France, même sans billet. Cet appel a-t-il pu jouer un rôle dans les défaillances constatées ?

M. Philippe Dominati. – Madame la ministre, monsieur le ministre, vous ne devriez pas vous trouver seuls face à nous tant le dysfonctionnement, ou le fiasco, de la semaine dernière concerne l’ensemble des services du Gouvernement.

Il s’agit tout d’abord d’une défaillance du système des transports d’Île-de-France, que nous dénonçons depuis des années. Nous sommes l’une des seules capitales européennes dont les transports, qui se montrent défaillants événement après événement, sont totalement gérés par l’État. Serons-nous l’otage des syndicats des sociétés de transport lors des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris faute de la mise en place d’un service minimum ?

Je veux également souligner la nouvelle défaillance de la Fédération française de football, après l’arrêt prématuré des compétitions lors de la crise sanitaire. Le ministère des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques devrait sans doute faire preuve de davantage de fermeté à l’avenir.

Madame la ministre, le délégué interministériel chargé de rédiger un rapport sur les défaillances éventuelles n’est autre que l’ancien préfet de police et de région. À ce dernier égard, je l’avais rencontré pour évoquer l’action du Gouvernement afin de mettre en place rapidement une liaison entre l’aéroport Charles-de-Gaulle et le centre de Paris. Selon l’enquête publique, il y avait urgence à agir à l’approche des jeux Olympiques. Le Gouvernement a finalement renoncé en raison de la crise sanitaire. Vous comprenez donc que je n’attende pas grand-chose de ce rapport...

Ce qui compte maintenant, madame la ministre, ce sont les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et l’image de Paris. L’étude de ces dysfonctionnements nous intéresse assez peu ; ce qui nous intéresse, c’est de savoir ce que compte faire le Gouvernement pour modifier les choses à l’avenir.

Monsieur le ministre, je ne sais pas si des vies ont été sauvées samedi dernier. Vous reprenez d’ailleurs les termes de M. Castaner évoquant, devant l’Assemblée nationale, l’action de l’ancien préfet de police de Paris lors des incidents de l’Arc de triomphe. Je conçois que votre situation soit quelque peu difficile - vous êtes le huitième ministre de l’intérieur en dix ans - alors que le préfet de police reste, mais vous commencez à avoir un peu de « bouteille ». À l’aube de ce nouveau quinquennat, nous attendons de vous des réformes structurelles. Les effectifs et les moyens existent : ce sont les structures, et singulièrement celles de la préfecture de police, cet État dans l’État, qu’il faut faire évoluer.

Mme Esther Benbassa. – Les forces de sécurité intérieure ne rentrent plus dans les stades pour effectuer les contrôles, tous réalisés par des civils. La question de l’évaluation et de la mobilisation des forces de l’ordre aux alentours du stade, des gares de RER et sur les trajets retour revient à la préfecture de police. Les consignes adressées aux forces de l’ordre par le préfet étaient-elles adaptées aux circonstances ? Ne faudrait-il pas être plus réactif et plus flexible en fonction des circonstances ? Cela me semblerait plus utile que d’essentialiser les Anglais pour les réduire à des hooligans. Il n’y a pas de bons ou de mauvais spectateurs, mais des situations dont il faut savoir tenir compte.

Mme Céline Brulin. – Au-delà de la disproportion entre les moyens déployés en faveur de l’ordre public et ceux déployés pour la sécurité publique la question se pose de la nature même de la doctrine du maintien de l’ordre. Entendre qu’il était nécessaire de recourir aux gaz lacrymogènes pour éviter que des supporters ne se fassent écraser n’est pas de nature à rassurer, monsieur le ministre. Cela paraît même complètement invraisemblable !

Vous avez souligné la volonté du club de Liverpool de disposer de billets papier, ce qui vous a mis la puce à l’oreille. Mais vos services de renseignement ont-ils échangé sur cette question avec ceux de Grande-Bretagne ? Vous nous reprochez de faire peu de cas de cette affaire, mais ne relève-t-il pas de votre responsabilité de comprendre pourquoi des billets facilement falsifiables sont mis en circulation et d’y remédier ?

La question de la formation des stadiers a été mise en avant fort justement. Mais quid de leurs effectifs ? Par le passé, ils étaient bien plus nombreux. Comment répondre à la crise de recrutement que nous connaissons ?

Pourquoi ne pas reprendre certaines des préconisations du rapport d’information de Marie-George Buffet et Sacha Houlié pour mieux associer les supporters et en faire des partenaires à part entière de l’organisation des compétitions ?

Enfin, les propos tenus sur le club de Liverpool ne sont pas de nature à apaiser les choses. Il ne faut pas oublier que plusieurs de ces supporters sont des victimes...

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