J'en viens maintenant à la question des structures et de la gouvernance.
Les différentes sociétés de l'audiovisuel public ont des identités fortes et leurs publics ne se confondent pas nécessairement. L'objectif n'est donc pas de fusionner les offres et d'imposer une seule ligne éditoriale. L'intérêt d'un regroupement est de rassembler les moyens pour être plus efficace, plus innovant et plus puissant, en particulier sur le numérique. Les coopérations entre les entreprises de l'audiovisuel public n'avancent pas, car elles nécessitent de trancher des différends entre les diverses directions et de faire arbitrer les différentes tutelles. Il aura fallu quatre ans pour mettre en place les matinales communes à France 3 et à France Bleu ; plus de cinq ans après sa création, France Info ne dispose toujours pas d'une rédaction commune, tandis qu'en matière d'éducation France Télévisions et Arte ont lancé des offres concurrentes faute de pouvoir se mettre d'accord.
Le temps est venu de mettre un terme à une exception française. Seules la France et la Suède disposent aujourd'hui d'un audiovisuel aussi dispersé entre radio d'un côté et télévision de l'autre.
Depuis 2015, les coopérations menées ont eu pour mérite de rapprocher les équipes et d'inscrire dans les esprits l'horizon du rapprochement. Il n'est donc plus indispensable de passer par l'étape transitoire que constituait la holding que nous proposions en 2015. C'est une fusion de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) que nous proposons aujourd'hui : un seul dirigeant, un seul conseil d'administration, une seule stratégie déclinée sur différents supports pour atteindre tous les publics.
La création d'une entreprise unique doit permettre de concentrer les moyens et de supprimer les nombreux doublons. Elle devra certes s'accompagner d'une convergence des statuts des personnels, mais celle-ci pourra se faire dans la durée, notamment en proposant un nouveau statut commun pour les nouveaux embauchés. Nous proposons que cette entreprise unique soit créée au 1er janvier 2025, ce qui laisserait deux années pour voter un texte de loi et préparer le rapprochement des structures.
La création de cette société unique de l'audiovisuel public national, qui pourrait reprendre le nom de « France Médias », n'aurait pas de conséquences sur le statut d'Arte France et de TV5 Monde, qui conserveraient leur spécificité et leur autonomie.
Trois chantiers prioritaires pourraient être lancés par cette nouvelle société concernant le numérique, l'information et l'offre locale.
Concernant tout d'abord le numérique, nous pensons essentiel de mieux positionner l'offre de programmes publics sur les interfaces des distributeurs et sur les télécommandes des téléviseurs avec une touche spécifique qui donnerait accès à l'univers des programmes publics. L'objectif ne serait pas nécessairement de créer une offre unique, mais il s'agirait de mieux coordonner l'accès aux offres publiques à travers un portail commun.
La création de la société unique permettrait cependant à France Télévisions de créer une nouvelle offre numérique à la suite de la sortie de Salto en agrégeant des programmes du groupe de télévision, de l'INA et des captations de Radio France.
Concernant l'information, nous préconisons d'inverser la logique qui existe aujourd'hui. Au lieu de conserver des structures séparées et exceptionnellement de réunir des moyens pour poursuivre des objectifs communs, il s'agirait de créer une véritable newsroom, c'est-à-dire une structure commune réunissant l'ensemble des journalistes de France Télévisions, de Radio France et de France Médias Monde, qui pourrait être organisée en trois pôles distincts couvrant respectivement l'international, le national et le local. Ces pôles seraient chargés d'alimenter les différents supports et antennes qui pourraient conserver leur identité. L'existence d'une telle newsroom francophone permettrait de supprimer les doublons, de renforcer l'expertise et de favoriser la réactivité. Les rédactions en langues étrangères seraient maintenues et développées au sein du pôle international, tandis que le pôle local aurait pour mission de développer le maillage régional et ultramarin sur l'ensemble des supports.
Enfin, concernant précisément l'offre locale, l'enjeu aujourd'hui est de créer un véritable média de service public territorialisé qui puisse décliner son offre éditoriale sur tous les supports. C'est la raison pour laquelle nous proposons de réunir France 3 et France Bleu dans une même filiale de la société unique qui pourrait être dénommée « France Médias Régions ». Cette structure aurait pour mission de réorganiser à la fois l'offre et la présence territoriale de France 3 et de France Bleu pour proposer des programmes conçus au plus près des territoires en partenariat avec les collectivités territoriales. Cette fusion de France 3 et de France Bleu devrait également permettre de repenser les méthodes de travail en adoptant des modes de production plus souples et réactifs.
Voilà, brièvement, les contours du projet d'avenir que nous proposons pour un audiovisuel public regroupé, conforté et repensé. La suppression de la CAP crée une incertitude, voire des craintes de la part des responsables de l'audiovisuel public. Nous proposons donc de changer de cap pour mettre fin à l'éparpillement des moyens et des initiatives.
Un projet ambitieux tourné vers l'avenir et le numérique avec une offre éditoriale recentrée sur les valeurs du service public constituera, à notre sens, la meilleure façon d'obtenir de la part de l'autorité indépendante dont nous proposons la création - l'ASAP - un niveau de financement suffisant.