Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 juin 2022 à 9h00
Bilan et perspectives des plans greffes – Audition de sociétés savantes

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

présidente. – Nous poursuivons nos travaux sur le bilan des précédents plans greffes, l’impact de la crise sanitaire sur cette activité et les perspectives du plan 2022-2026.

Après l’audition hier de différentes associations puis, ce matin, des acteurs institutionnels, nous entendons à présent les représentants des sociétés savantes.

J’ai le plaisir d’accueillir le professeur Lionel Badet, vice-président de la société francophone de transplantation, le professeur Luc Frimat, président de la société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation, et le professeur Xavier Gamé, secrétaire général de l’association française d’urologie.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.

Je salue nos collègues qui assistent à cette réunion par visioconférence.

Professeur Lionel Badet, vice-président de la société francophone de transplantation. – Je suis le chef du service d’urologie à l’hôpital Édouard Herriot de Lyon, et j’ai eu un tropisme particulier, dans ma formation et dans mon exercice, sur l’activité de transplantation, qui couvre le rein, le pancréas, les greffes composites et d’autres organes encore. Je suis vice-président de la société francophone de transplantation, et j’en serai président à partir du mois de novembre prochain.

Le plan greffe est un élément très important pour nous, puisqu’il est déterminant dans les objectifs que nous fixons à nos équipes et pour satisfaire les attentes des patients. Nous n’avons jamais eu autant de patients sur les listes d’attente en France. Il faut donc essayer de créer une dynamique qui nous permette d’atteindre nos objectifs. Pour cela, il faut que cette dynamique soit corrélée à la mise à disposition de moyens.

La qualité du plan 2022-2026 est qu’il a été, pour une fois, l’occasion de mettre autour de la table les associations de patients, les professionnels de santé et les institutionnels, pour dessiner des contours et des objectifs qui, sans être numériquement fixés, établissent une borne basse et une borne haute.

Comme vous le savez, sur les questions de santé publique et sur la santé en général, la situation est extrêmement critique. Au-delà des espérances et de la volonté, nous pouvons prévoir des difficultés, inquiétantes, à trouver les ressources humaines nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. À cet égard, le plan n’est peut-être pas suffisant. En ce qui me concerne, je vois bien que la question des ressources chirurgicales est déterminante. Si l’on ne renforce pas les équipes, nous serons en difficulté. Or les capacités actuelles de recrutement au niveau hospitalier ne sont pas suffisantes pour atteindre cet objectif. Cela nous renvoie à la question de la réforme du système de santé et de l’attractivité des carrières.

présidente. – C’est tout à fait vrai. Les inquiétudes portent surtout sur l’applicabilité du plan au regard des ressources humaines et de la situation de l’hôpital – nous sortons d’une commission d’enquête sur la question. Pour appliquer un plan, il faut en avoir les moyens !

Professeur Xavier Gamé, secrétaire général de l’association française d’urologie. – Urologue à Toulouse, j’ai énormément œuvré pendant des années pour la transplantation depuis des donneurs vivants. En parallèle, je travaille beaucoup sur les handicaps neuro-urologiques. Je suis le secrétaire général de l’association française d’urologie.

Ce plan, comme les précédents, est plein de bonne volonté et comporte nombre de bons éléments. Quand je le lis, je bois du petit lait ! Tout y semble parfait, dans le meilleur des mondes. On rêve qu’un tel plan soit appliqué et applicable… Mais le problème, justement, c’est l’applicabilité, surtout dans la situation critique pour l’hôpital que nous connaissons, en particulier dans les blocs opératoires.

Actuellement, on en est presque à nous demander de choisir quels patients opérer, par exemple entre un patient atteint d’un cancer, un autre chez qui il faut améliorer l’autonomie sur le plan du handicap, et un patient nécessitant une greffe issue d’un donneur vivant.

L’hôpital public est devenu un centre de recours : les patients qui nous sont adressés, que ce soit pour la transplantation ou pour autre chose, ne peuvent pas être pris en charge ailleurs. Le problème est que nous n’avons plus les moyens, et qu’il faut faire des choix.

Comment faisons-nous pour choisir ? Nous essayons d’en faire un peu pour tout le monde. J’entendais encore récemment l’un de mes collègues, chirurgien digestif, dire qu’on fait des chimiothérapies d’attente, car les patients doivent attendre pour être traités de leur cancer par chirurgie. C’est tout de même hallucinant… Le plan greffe tombe dans cette situation, alors que 25 % des blocs sont fermés.

Il y a probablement des solutions, et c’est à nous de les trouver, avec vous, et avec les agences gouvernementales qui travaillent sur ce sujet. Peut-être faut-il passer par les heures supplémentaires, par les réorganisations, pour répondre aux besoins. Sur les listes d’attente de patients, nous avons des patients qui sont prêts, des couples qui sont prêts, mais nous ne sommes pas capables de répondre à leur demande dans les mois qui viennent. Pour certains patients que nous avons vus en consultation en début d’année, la greffe issue de donneurs vivants ne pourra se faire que l’année prochaine, au mieux, voire même en 2024 !

On sait pourtant que des greffes préventives, avant la mise sous dialyse, donnent de meilleurs résultats et moins de complications. C’est donc plus intéressant en termes de santé publique, ne serait-ce que du point de vue économique. Il est dommage de retarder les échéances.

Il est inscrit que la greffe est prioritaire, avec des salles chirurgicales disponibles en permanence. Pourtant, aucun hôpital en France ne comporte une salle consacrée à la transplantation rénale. Souvent, celle-ci passe après d’autres urgences. L’objectif de dix heures d’ischémie froide n’est donc pas atteignable aujourd’hui. Il faudrait plus de moyens, en personnel notamment. Je sais que nous semblons réclamer sans cesse plus de moyens, mais nous ne demandons qu’à bien travailler pour rendre service aux patients !

Professeur Luc Frimat, président de la société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation. – Président de la société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation (SFNDT), je suis chef de service de néphrologie et chef de pôle au CHU de Nancy. J’ai fait partie de la cellule de crise du CHU de Nancy pendant la crise de la covid-19, qui nous a particulièrement touchés. J’ai demandé à parler après mes deux collègues parce que je suis néphrologue, et non chirurgien : je ne fais pas de gestes opératoires.

La réussite de la transplantation repose sur une organisation transversale très fine entre différents acteurs. Le néphrologue s’occupe du début du processus, jusqu’au jour de la greffe, et suit le patient à partir du lendemain. Le jour du prélèvement et de la greffe est crucial mais il faut aussi prendre en compte ce qui se passe en préparation, en anticipation et dans le suivi.

La néphrologie est extrêmement bien structurée en France, avec des réseaux de collaboration forte entre les structures néphrologiques sans transplantation et les structures qui font de la transplantation. Cette organisation s’inscrit dans la durée : cela fait plusieurs dizaines d’années que les néphrologues ont l’expérience d’organiser cette fameuse liste d’attente. Ils ont suivi les recommandations d’accès à la liste d’attente édictées en 2015 par la Haute autorité de santé, ce qui a conduit à un appel de patients sur la liste d’environ 25 %, ce qui a accru la pression sur la filière de prélèvements et sur la filière chirurgicale.

Après la greffe, le suivi se fait dans la durée : nous avons des patients qui ont été greffés il y a 30 ou 40 ans. C’est la rançon du succès, mais cela exige des moyens sur le long terme. Le nombre de patients transplantés à suivre augmente de 4 % par an.

Comme chef de pôle en urologie, je connais les difficultés qui ont été évoquées, mais n’oublions pas que le verre est à moitié plein. La France est le troisième pays en Europe pour la greffe, ce qui n’est pas si mal ! Seuls les Pays-Bas et l’Espagne font mieux que nous. Nous sommes donc déjà très bien organisés.

Le plan s’est appuyé sur le Livre blanc de la SFNDT, qui en est extrêmement satisfaite : quand nous lisons le plan greffe, nous buvons du petit lait ! Je souligne en particulier que ce plan est financé, et qu’il s’appuie sur des leviers qui devraient être efficaces. Au sein des ARS, un référent supervisera désormais la filière de prélèvement et de suivi. Déjà, l’ARS de ma région a demandé à rencontrer la direction du CHU de Nancy pour parler greffes.

Il faut absolument prendre en compte l’opposition au don. Pourquoi les Français y sont-ils autant opposés ? Ils se lèvent tous pour aider les Ukrainiens mais, quand on leur demande s’ils veulent donner leurs organes, 35 % disent non, alors que cette proportion n’est que de 15 % en Espagne. Il faudrait une mobilisation de l’opinion, une mobilisation de la représentation nationale, pour considérer que le don est un geste de générosité extraordinaire et qu’il n’y a pas de raison de s’y opposer. Tout le monde doit se mobiliser, il faut en faire une grande cause nationale. Il importe enfin de consolider l’ensemble du système existant, en tenant compte de ses dimensions transversales.

M. Alain Milon. – Une question sur le recours à la dialyse à La Réunion, plus important qu’en métropole mais qui paraît également plus fréquent que la greffe : ce niveau d’importance vous paraît-il résulter d’un d’intérêt scientifique, médical, ou bien plutôt économique ?

Vous évoquez les moyens et nous savons que la France dépense 250 milliards d’euros par an pour soigner sa population, c’est très important. Les difficultés que nous rencontrons ne sont-elles donc pas à rechercher plutôt du côté de notre organisation ? Et si c’est le cas, quelles solutions pensez-vous accessibles ?

Professeur Luc Frimat. – La société savante que je représente n’étant pas un syndicat, je suis peu à même d’apprécier l’adéquation des moyens à l’échelle de notre pays. Je note, cependant, que peu de pays disposent d’un registre de dons du rein, que nous avons créé il y a vingt ans, et que les nouvelles recommandations d’accès à sa liste d’attente ont conduit à ce que cette liste gagne 20 % de patients, c’est dire que les néphrologues se sont mobilisés pour faire connaître le dispositif.

Ensuite, la situation outremer est particulière non seulement parce que l’activité de prélèvement y est moins développée que dans l’Hexagone, ce qui veut dire qu’il y a peu de greffons disponibles et qu’on en fait aussi venir de l’Hexagone, mais aussi parce que la distribution des pathologies a ses caractéristiques propres : la prévalence du diabète et des maladies cardiovasculaires fait que la proportion de patients relevant de la dialyse, est trois fois plus importante que dans l’Hexagone. Ce sont ces raisons qui peuvent expliquer les écarts avec l’Hexagone, plutôt que des raisons budgétaires : on ne dialyse pas les patients pour faire des économies…

M. Alain Milon. – Ce n’est pas ce que dit la chambre régionale des comptes...

Professeur Lionel Badet. – Je partage l’analyse de Luc Frimat sur ces écarts, il faut également composer avec des difficultés logistiques et l’effet du retard accumulé du fait de la pandémie de covid-19. C’est pourquoi, du reste, nous avons tous des patients ultramarins inscrits sur nos listes dans l’Hexagone, parce qu’ils savent que l’attente serait plus longue outremer.

Professeur Luc Frimat. – La SFNDT va publier un guide pratique qui présentera clairement toutes les solutions thérapeutiques et médicamenteuses qui ne passent pas par la dialyse et qui sont regroupées dans ce qu’on appelle le traitement conservateur – et nous insistons pour que le néphrologue présente au patient toutes les solutions thérapeutiques afin que la dialyse, quand elle est décidée, le soit de manière réfléchie et équilibrée.

Professeur Xavier Gamé. – Les aspects financiers sont très importants, la France consacre 11 % de son PIB à la santé, c’est une chance qu’il faut pérenniser. Peut-on faire mieux avec ces moyens ? Certainement, nous avons des marges de progrès. Nous pourrions, par exemple, mieux suivre les dépenses qui sont faites dans le cadre du forfait greffe, car nous savons qu’une partie des moyens ne va pas à l’activité de la greffe. Nous gagnerions à faire un suivi plus précis et détaillé.

Professeur Lionel Badet. – Nous nous sommes opposés à la tarification à l’activité (T2A) pour cette raison même, qu’une partie des crédits fléchés finit immanquablement dans la fongibilité des enveloppes hospitalières – alors que, précisément, nous avons besoin qu’ils abondent directement les plateaux techniques et les équipes. Ensuite, il y a la question décisive du contrôle : il a été confié aux ARS, je crois que cela ajoute inutilement un échelon et je suis pessimiste sur la capacité des ARS à effectuer un tel contrôle et une régulation. On a vu pendant la crise sanitaire l’importance du lien direct avec la Direction générale de la santé, l’ajout d’un échelon risque de compliquer les choses et si nous ne réglons pas les problèmes d’organisation, nous risquons de compromettre le plan greffe lui-même…

Mme Laurence Cohen. – Vous soulignez les problèmes de moyens et les difficultés à doter les blocs opératoires de personnels en nombre suffisant. Vous souhaitez un fléchage plus strict, pour mieux servir ces plateaux techniques, mais nous savons bien que le problème est plus large et que le manque de personnel hospitalier tient aux conditions de travail à l’hôpital, qui sont si difficiles que bien des personnels quittent le navire. Quelles sont vos propositions pour améliorer les choses ? Il y a les salaires, mais il faut aller au-delà, en particulier vers ce qui peut valoriser le sens du travail à l’hôpital, je pense en particulier aux infirmières et aux infirmiers de bloc opératoire. Le besoin de formation est criant, alors qu’on ferme des écoles d’infirmières, c’est le cas en particulier dans mon département. Que pensez-vous utile de faire sur ces questions ?

Professeur Xavier Gamé. – Il y a plusieurs niveaux de réponse. Dans mon établissement, nous avons certes des difficultés de recrutement dans les blocs, mais il y a aussi une forte cohésion dans les équipes, qui fait que les infirmières ne quittent pas le navire. Je crois que la clé est moins du côté du salaire que de la considération et de la valorisation du travail. Il faut valoriser le travail de bloc opératoire et de transplantation, les infirmières y seront très sensibles. Aujourd’hui, on les place à l’étage subalterne, c’est dommage. Nous venons de lancer un appel aux infirmières pour travailler sur la transplantation, je suis convaincu que nous allons être rejoints parce que ce secteur de notre activité est valorisant et nous devrons bien mettre en avant l’engagement des infirmières qui nous rejoignent. Cela dit, il est certain que l’hôpital subit un problème démographique général, y compris pour les médecins – le numerus clausus existe encore, nous sommes cantonnés dans des limites trop étroites et je suis convaincu qu’il faut augmenter le nombre de places en école, sans oublier que la formation de personnels soignants étant longue, la pénurie va continuer encore plusieurs années.

Professeur Lionel Badet. – Ce plan greffe sera difficile à mettre en œuvre du fait des difficultés de santé publique en général, et en particulier de nos difficultés à attirer et à fidéliser les personnels soignants. Nous constatons partout que nombre d’infirmières, après quatre ou cinq années de formation, quittent l’hôpital après seulement deux années d’exercice, pour aller pratiquer ailleurs ou changer de métier. Le problème est très large, il tient à ce que les façons dont nous travaillons dans le secteur médical contredisent les aspirations dans une société de loisirs où chacun revendique une certaine qualité de vie privée. Et si le secteur médical ne prend pas en compte ces aspirations, s’il ne prend pas soin des équipes médicales elles-mêmes sur ce plan, il ne s’en sortira pas. Après deux années de pandémie, le plan greffe ne peut pas arriver à pire moment de ce point de vue, et nous pouvons déjà dire que nous allons rencontrer des difficultés majeures de mise en œuvre à l’hôpital. Quelles sont les solutions ? Je crois qu’elles sont à rechercher dans les modalités de travail. Des propositions ont été faites aux infirmières, en particulier d’ordre pécuniaire et elles ont très clairement dit que ce n’était pas leur première revendication – car elles demandaient d’abord que l’organisation de leur travail soit modifiée, en particulier pour une conciliation avec leur vie de famille. Et il est certain que nous ne pouvons pas régler cette question à l’échelle de nos établissements.

présidente. – Nous sommes d’accord, d’autant que quand le ministre nous parle argent, quand il avance les chiffres du Ségur, il omet de dire que ces moyens ont surtout consisté en un rattrapage et qu’on a, malencontreusement, créé les « oubliés du Ségur », des personnels qui sont aujourd’hui frustrés de n’avoir pas été augmentés. En réalité, ces augmentations n’ont pas d’effet sur les départs de l’hôpital et le problème est plus large. Parcoursup n’est pas adapté aux formations d’infirmières, les maquettes de formation sont peu lisibles, l’arrivée dans le métier se fait souvent sur les postes les plus difficiles, tout un ensemble de facteurs joue contre la profession. La transplantation, cependant, est probablement un secteur à part, il est à la pointe et il y a de la fierté à y contribuer.

La directrice générale de l’Agence de la biomédecine vient de nous dire que les greffes étaient prioritaires, vous nous dites qu’en fait il y a une sorte de saupoudrage et que les moyens pourraient être mieux suivis. Quant au pilotage, je trouve curieux que l’agence ne fasse que des recommandations et qu’il y ait aussi plusieurs strates décisionnaires : qu’en pensez-vous, et quel vous semblerait le meilleur pilote ? Enfin, quid de la recherche sur la greffe dans notre pays, et en particulier sur les organes artificiels ?

Professeur Luc Frimat. – Sur les moyens, il faut accepter l’idée que l’hôpital est en grande souffrance, que la crise sanitaire nous a placés dans une situation de perturbation majeure. Nous ne retournerons pas à la situation antérieure, il faut accepter l’idée qu’on ne va pas revenir au passé, mais qu’il nous faut construire autre chose. Il y a de l’argent, vous le dites tous. Nous avons aussi besoin de faire évoluer l’hôpital, il nous faut du management. Les services d’urgence sont en crise aiguë, mais la situation varie cependant selon les hôpitaux. Les urgences ne sont pas en crise, par exemple, dans mon CHU de Nancy, qui n’est pas spécialement attractif mais où nous avons deux managers qui ont su prendre les bonnes décisions. Nous devons également valoriser les nouveaux métiers, en particulier les infirmiers en pratiques avancées (IPA), dont l’apport est considérable pour les équipes et qui trouvent un intérêt très direct dans cette spécialisation qu’ils acquièrent en deux ans.

Professeur Xavier Gamé. – Les IPA sont effectivement une avancée, mais il faut voir qu’en créant un métier supplémentaire, on enlève des effectifs aux autres métiers, puisque c’est à effectif constant.

Professeur Luc Frimat. – C’est vrai, mais on offre une perspective, on dynamise des engagements à l’hôpital, c’est très important.

Professeur Xavier Gamé. – Nous sommes d’accord et j’ai aussi des exemples, en urologie, d’infirmières qui aimeraient passer en IPA dans le cadre du handicap notamment. Cependant, les effectifs étant ce qu’ils sont, on crée mécaniquement des manques dans d’autres secteurs, il faudrait en réalité augmenter les effectifs d’ensemble.

La recherche en matière de greffe est active en France, en particulier sur la conservation des organes, par exemple sur les liquides de conservation des organes. Je ne connais pas de recherche en matière de reins artificiels, alors qu’il y a incontestablement du travail important à faire en la matière. Les urologues ont compris, d’une manière plus générale, qu’il faut mieux lier l’hôpital et l’université en matière de transplantation, cela se fait au bénéfice de la qualité. J’ajoute qu’il faudrait aussi davantage de coopération entre les centres de recherche, qui sont encore trop dispersés, c’est un problème bien français.

Professeur Lionel Badet. – Nous vous parlons ici de la recherche avec le prisme de l’urologie, où, en France, les avancées portent effectivement sur les liquides de conservation, ceux qui permettront de présenter un organe avec le moins de lésions possibles après sa transplantation. Cependant, d’une manière plus large, nous devons travailler sur la transition technologique qui nous fera passer des plateformes actuelles, à celles qui permettront de tester les organes avant de les présenter à la transplantation, pour évaluer leur chance de se « ressusciter » dans l’organisme receveur. Nous en avions parlé il y a plusieurs années, nous avions alors conclu que la démarche était prématurée ; je crois que nous disposons aujourd’hui de quatre ou cinq centres de recherche qui pourraient esquisser une telle plateforme en regroupant leurs moyens.

Le pilotage, ensuite, me semble relever d’un adage simple : plus il y a de couches, moins on avance. Je ne comprends pas que l’Agence de la biomédecine ne soit pas le pilote du plan greffe : elle ne fait qu’édicter des règles, sans aucun pouvoir de sanction. Ce hiatus est source de bien des problèmes pratiques – je pense au transport, par exemple, qui conditionne bien des opérations. Nous savons, autre exemple, que des centres ne respectent pas toutes les règles sur le prélèvement du pancréas – chacun le sait, mais rien n’est fait, je trouve que ce n’est pas raisonnable. Je crois aussi que l’agence nationale serait bien plus à même que les ARS d’organiser la redistribution mais aussi de contrôler l’usage précis des fonds par les hôpitaux, ce serait plus direct, et plus efficace.

S’agissant des urgences, enfin, nous subissons de plein fouet le fait que, dans certains hôpitaux comme à Lyon, les activités de transplantation se sont recentrées sur le service d’urgence, et qu’il suffit alors qu’un goulet se forme à la suite de la fermeture d’un service, pour que les premières activités suspendues soient précisément les prélèvements et les greffes : ces questions d’organisation sont à prendre en compte.

présidente. – On nous dit que l’Espagne, qui obtient de très bons résultats en matière de dons, ne communique que très peu sur le sujet, ce qui semble aller contre l’idée qu’il faille aller plus loin dans la communication pour encourager les dons d’organe. Qu’en pensez-vous, quel vous semblerait le bon message à délivrer en la matière ?

Professeur Luc Frimat. – C’est une question difficile, qui repose sur le professionnalisme des infirmières en unité de prélèvement d’organe et de tissus, de leurs interactions avec les familles. L’Agence de la biomédecine veut professionnaliser cette question, nous sommes sur la même longueur d’ondes à la SFNDT, nous l’avons mentionné dans notre Livre blanc. Je crois aussi qu’il faut en parler davantage dans l’opinion publique, faire mieux connaitre l’utilité des dons d’organes.

Professeur Xavier Gamé. – Je craignais cette question, elle est très difficile et nous n’avons pas de réponse toute faite. Quand on en parle autour de soi, les gens se disent facilement favorables au don d’organe, mais il y a loin entre le dire et le faire, puisque nous enregistrons 35 % de refus. Je crois que nous pourrions aborder le sujet plus en amont dans le service de réanimation, parce que bien souvent on ne le fait qu’au moment très critique où les proches sont sous le choc de la mort ; si nous en parlions plus en amont, ils auraient le temps de se positionner. Je pense aussi que la carte de donneur, telle qu’elle existait il y a quelques années, faciliterait la tâche et diminuerait la responsabilité du parent qui prend la décision, car il y a là un frein, des proches peuvent se sentir illégitimes pour décider à la place du défunt, surtout dans ce moment critique : s’il y avait une trace de décision prise par le défunt, ce serait peut-être plus facile.

présidente. – Une telle information pourrait même figurer sur la carte Vitale…

Professeur Lionel Badet. – La question est particulièrement complexe, elle revient régulièrement à l’Agence de la biomédecine – où j’ai déjà entendu dire que 70 % d’acceptation, c’était déjà un très bon résultat… En fait, c’est souvent la famille qui est en position d’exprimer le consentement, c’est son avis qui prévaut sur celui du patient. Nous avons aussi une incertitude sur l’efficacité d’une demande précoce de consentement, certains font valoir qu’elle pourrait être contre-productive – nous avons vu aussi des familles s’opposer au prélèvement même quand le consentement a été prononcé, au motif que le patient aurait changé d’avis depuis… Il n’en reste pas moins que l’information de l’opinion publique en général est déterminante.

présidente. – La question est très délicate en effet, surtout quand il faut aller vite et que le contexte est particulièrement douloureux.

Professeur Luc Frimat. – Nous ne l’avons pas mentionné ce matin, mais il faut parler aussi de la prévention. Nous avons besoin de prévention de la maladie rénale chronique, c’est un moyen de vivre plus longtemps avec un greffon implanté, il faut anticiper davantage.

présidente. – Vous avez raison, la prévention est décisive. La ministre de la santé a vu la prévention entrer dans son portefeuille, nous examinerons ce qu’il en advient.

Professeur Lionel Badet. – Je souhaite ajouter trois points à mon propos. D’abord, quand j’entends énoncer l’objectif d’harmonisation des pratiques européennes en matière de prélèvement et de greffes, j’alerte sur les dangers de courir deux lièvres à la fois : nous avons déjà bien à faire avec l’objectif de surmonter nos difficultés d’organisation, qui sont d’abord nationales. A tout vouloir faire à la fois, on risque de perdre du temps et nous ferions bien de commencer par régler nos problèmes avant de penser harmonisation européenne.

Nous avons obtenu l’autorisation de greffer des îlots de Langerhans dans le pancréas, nous enclenchons une dynamique mais elle s’essoufflera très vite si elle doit se contenter des ressources actuelles, c’est-à-dire reposer sur les quelques équipes qui prélèvent le pancréas, sans en passer par une forme de contrainte, énoncée par l’Agence de la biomédecine, de prélever plus systématiquement le pancréas pour utiliser les îlots.

Enfin, je crois que dans le pilotage du plan greffe, il faut que la décision de l’ARS soit obligatoire pour l’hôpital, et non pas facultative et appliquée « le cas échéant », comme je l’ai lu.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 30.

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