Intervention de Jean-Michel Arnaud

Commission des affaires européennes — Réunion du 31 mai 2022 à 15h30
Préservation de la filière des huiles essentielles à base de lavande et d'autres plantes à parfum aromatiques et médicinales menacée par la révision des règlements européens dits « reach » et « clp » sur les produits chimiques — Examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique

Photo de Jean-Michel ArnaudJean-Michel Arnaud, rapporteur :

Depuis l'Antiquité romaine, la lavande, le lavandin, ainsi que d'autres plantes à parfum, aromatiques et médicinales ont vu leurs vertus exploitées dans les terroirs du sud de notre pays, en particulier dans les Baronnies et en Haute Provence. Or cet atout extraordinaire apparaît menacé par la révision en cours de la réglementation européenne sur les produits chimiques, car, de façon singulière, les huiles essentielles à base de lavande figurent dans son champ d'application.

J'ai pris l'initiative de vous soumettre cette proposition de résolution européenne après avoir entendu l'appel de nombreux agriculteurs, distillateurs, élus locaux et acteurs de la filière des cosmétiques et des parfums de ma région. Aujourd'hui, 1 700 agriculteurs sont directement concernés sur 30 000 hectares.

Cette filière à forte valeur ajoutée est déstabilisée par les perspectives de révision des règlements européens dits « REACH et « CLP ». Les huiles essentielles à base de lavande et d'autres plantes aromatiques et médicinales figurent d'ores et déjà dans le champ d'application de ces deux règlements européens de portée très générale.

Le premier, dit « REACH », en date du 18 décembre 2006, tend à sécuriser l'utilisation des substances chimiques pour la santé humaine et l'environnement. Pour ce faire, les fabricants et les importateurs doivent fournir des informations sur les propriétés toxicologiques et écotoxicologiques des substances à commercialiser, tout en justifiant de mesures de gestion des risques adaptées à leurs usages.

Le second règlement, dit « CLP », en date du 16 décembre 2008, porte quant à lui sur la classification, l'étiquetage et l'emballage des substances, afin que les dangers correspondants soient correctement identifiés et communiqués aux consommateurs.

Depuis le milieu des années 2010, les professionnels français s'étaient tant bien que mal conformés à ces obligations. À la faveur du Pacte vert tendant à promouvoir la transition environnementale de l'Union européenne à l'horizon 2030, la Commission européenne a engagé récemment un processus de révision, à la fois du règlement REACH et du règlement CLP, afin d'accroître substantiellement le niveau d'exigence requis.

Les producteurs s'inquiètent tout particulièrement de devoir faire procéder, à l'avenir, à l'évaluation de chacune des composantes des huiles essentielles et non du produit dans son ensemble. À la lourdeur que cela implique, s'ajoute la crainte de ne pouvoir financer les surcoûts correspondants, en termes de nouvelles données scientifiques. La filière s'inquiète également des risques juridiques et marketing susceptibles de fragiliser sa réputation d'excellence, à l'égard du grand public comme des industriels, par exemple si l'on venait à imposer des pictogrammes dissuasifs sur les produits commercialisés.

Par ailleurs, les nouveaux contours de la définition des perturbateurs endocriniens pourraient ternir l'image des huiles essentielles de lavande et aboutir à un résultat pour le moins paradoxal : les industriels pourraient en effet être tentés de substituer aux produits naturels à base de lavande des substances synthétiques contenant par exemple du pétrole...

Plus précisément et s'agissant, en premier lieu, du règlement REACH, la Commission européenne souhaite durcir le système actuel prévoyant des exigences croissantes pour les dossiers d'enregistrement des substances, en fonction de volumes annuels de production.

En ce qui concerne, en second lieu, le règlement CLP, la Commission travaille à la création d'une nouvelle classe de danger, intégrant dans le détail la problématique des perturbateurs endocriniens. Les professionnels français de la filière redoutent le scénario du pire, qui déboucherait sur une confusion entre les perturbateurs endocriniens et les substances entraînant une activité endocrinienne. Pour ces producteurs, la courte durée des effets et leur réversibilité attestent que les huiles essentielles ne sont pas des perturbateurs endocriniens. Là encore, des investigations scientifiques et des tests coûteux pourraient être exigés. Patrice Rat, toxicologue et professeur à l'université de Paris, nous a précisé que les huiles essentielles dont nous parlons n'avaient pas d'effets perturbateurs. Elles ont en revanche un effet endocrinien, ce qui n'est pas la même chose.

Nous devons réagir sans tarder ! C'est pourquoi je vous propose d'adopter cette proposition de résolution, constituée de sept considérants et de dix-neuf demandes précises.

Les sept considérants explicitent la problématique du sujet.

Ils soulignent, en particulier, le risque réel pour la filière d'être une victime collatérale des processus de révision en cours de ces deux règlements, dans la mesure où les huiles essentielles demeurent fondamentalement des produits agricoles artisanaux. Ils font également valoir que le temps presse, puisque la Commission européenne souhaite manifestement mener à son terme tout le processus de révision avant même la fin de l'année 2022. Cela laisse très peu de temps pour prévenir les futures difficultés d'application.

J'en viens aux dix-neuf points de la proposition de résolution, que je vais maintenant vous présenter de manière synthétique.

Nous nous inquiétons tout d'abord, s'agissant de la révision du règlement REACH, du renforcement attendu des dispositions réglementaires, qui aura pour conséquences d'imposer de nouvelles exigences en termes de tests et d'études scientifiques et d'entraîner un surcoût financier prévisible pour les acteurs de la filière.

Nous demandons une évaluation dans sa globalité de l'huile essentielle de lavande, fondée sur le maximum de données existantes, afin d'épargner aux producteurs d'huiles essentielles d'avoir à réaliser des tests sur chacun de leurs constituants.

Nous soulignons ensuite que, dans le cadre de la révision du règlement CLP, l'enjeu principal porte sur la prise en compte de la problématique des perturbateurs endocriniens, susceptible de nuire à la réputation des produits à base de lavande auprès des consommateurs. En conséquence, nous demandons instamment la clarification de la notion de perturbateur endocrinien, afin d'éviter que ne soient apposés des pictogrammes dissuasifs sur les produits mis en vente. Il s'agit également de conjurer un risque de réputation, voire judiciaire, qui conduirait les industriels à privilégier à l'avenir des substances de synthèse, notamment à base de pétrole, au détriment des huiles essentielles à base de lavande.

Nous rappelons que les produits à base de lavande et de lavandin sont utilisés depuis plus de 2 000 ans et qu'ils ne peuvent raisonnablement pas faire l'objet d'une application drastique du principe de précaution. Je précise qu'il existe, au total, plus d'une centaine de variétés d'huiles essentielles et que les modifications des règlements poseraient les mêmes difficultés aux filières concernées qu'à celle de la lavande.

Jusqu'ici, aucune donnée, aucune étude scientifique n'a mis en évidence un quelconque danger pour la santé humaine des huiles essentielles à base de lavande, en particulier en termes de perturbateurs endocriniens.

Nous sollicitons un accroissement du soutien financier des pouvoirs publics français à la filière, qui soit strictement proportionné au renforcement des exigences qui pèseront sur cette dernière. Il y va de la pérennité d'un tissu de petites entreprises artisanales.

Nous refusons enfin la perspective que la Commission européenne puisse, à brève échéance, régler le dossier hautement sensible des huiles essentielles à base de lavande exclusivement par le biais d'actes d'exécution ou d'actes délégués. En effet, les parlements nationaux ne pourraient alors contrôler la proportionnalité des mesures que prendrait la Commission, puisque seuls les actes de nature législative leur sont transmis.

Tels sont, en résumé, les principaux éléments techniques d'un dossier très complexe qui pourrait nuire à l'économie de nos territoires et au patrimoine immatériel de notre pays. Pour reprendre les termes de l'écrivain Jean Giono, la lavande constitue « l'âme de la Provence ».

Cette proposition de résolution européenne vise à répondre aux inquiétudes des professionnels français. Ces inquiétudes ont été appréciées à leur juste valeur par les pouvoirs publics français et portées à la connaissance des services de la Commission européenne, mais les professionnels n'ont pour l'heure toujours pas reçu d'assurances suffisantes.

En dernière analyse, une prise de position politique du Sénat apparaît aujourd'hui d'autant plus indispensable que la Commission européenne semble vouloir mener au pas de charge le processus de révision des règlements REACH et CLP. Dans ce contexte, la Haute assemblée doit porter haut et fort la voix de nos territoires !

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