Intervention de Alice Elfassi

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 2 juin 2022 : 1ère réunion
Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer — Table ronde avec des organisations non gouvernementales

Alice Elfassi, responsable des affaires juridiques de Zero Waste France :

Organisation non gouvernementale (ONG) nationale basée à Paris, Zero Waste France lutte pour la réduction des déchets et contre le gaspillage des ressources.

Nous disposons de quatre groupes locaux outre-mer : à la Martinique, à La Réunion, à Tahiti et en Nouvelle-Calédonie. J'ai eu à coeur de recueillir les commentaires et les remarques de leurs représentants, mais n'ai toutefois pas pu obtenir de réponse de Tahiti.

Le réseau de groupes locaux de Zero Waste France a été formalisé assez récemment : voilà cinq ans que des associations locales se rattachent à notre organisation en signant une charte pour devenir groupe local. Ces structures, préexistantes et assez diverses, ne faisaient pas forcément précédemment partie d'un réseau. Le groupe local de Nouvelle-Calédonie a été constitué en 2018, celui de la Martinique en 2019. Celui de La Réunion a une histoire différente : il s'agit d'un ancien collectif de lutte contre l'incinérateur de Saint-Pierre, qui s'est ensuite élargi à d'autres thématiques, en particulier la réduction des déchets.

Tous ces groupes locaux sont axés sur la sensibilisation. Ils déploient leurs actions en faveur de la réduction des déchets lors d'événements culturels et sportifs ; sur les marchés, notamment pour le tri des déchets organiques ; mais aussi dans les écoles, car l'on constate un véritable besoin d'éducation à l'environnement. Il serait d'ailleurs indispensable d'élargir cet effort à d'autres publics, plus âgés.

Ils mettent en place des « défis familles », destinés à accompagner les foyers dans la réduction des déchets. S'y ajoutent des actions dans les commerces, notamment à la suite de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, afin de faciliter l'acceptation des contenants apportés par les consommateurs dans les commerces et de veiller à l'interdiction de certains plastiques à usage unique.

Nos différents groupes locaux constatent, sans surprise, une baisse de mobilisation des bénévoles depuis la Covid et une difficulté à répondre à toutes les sollicitations. Les pouvoirs publics, notamment les collectivités territoriales, veulent agir plus, mettre en oeuvre des prestations d'accompagnement, mais les associations manquent de moyens financiers et humains. Souvent, elles ne peuvent compter que sur leurs bénévoles.

Pour ce qui concerne le diagnostic d'ensemble outre-mer, Johann Leconte le souligne avec raison : il faut donner la priorité à la prévention. Certes, la population maîtrise mal le geste de tri et les dépôts sauvages constituent un véritable enjeu, mais on ne peut pas se contenter de dire que les particuliers ne savent pas trier. Ce qui manque surtout, c'est une éducation à l'environnement et une sensibilisation de la part des pouvoirs publics.

Les collectivités mènent de nombreuses actions pour lutter contre les dépôts sauvages, une fois qu'ils existent ; elles font moins en amont, au titre de l'éducation. À cet égard, on compte sur les associations sans leur donner suffisamment de moyens.

Au-delà, nous souhaitons que la prévention soit, à l'avenir, l'objet du discours prioritaire outre-mer.

Selon nous, deux actions sont essentielles à cet égard.

La première, c'est le tri des déchets organiques à la source, qui sera d'ailleurs obligatoire à compter du 31 décembre 2023. Certaines collectivités territoriales ne sont même pas informées de cette échéance. De plus, il ne suffit pas d'ajouter un onglet sur le site internet de la mairie pour informer les administrés de la mise à disposition de composteurs individuels. J'y insiste, il faut développer une véritable éducation à l'environnement, car le compostage à la maison n'est pas du tout inné. Dans les zones urbanisées, où la grande majorité des personnes vivent en appartement, il faut également développer le compostage collectif.

La seconde, c'est la tarification incitative, sujet que nous suivons de près à l'échelle nationale. Facturer la collecte des ordures ménagères résiduelles en fonction de leur volume, c'est inciter à trier le verre, le papier, le carton ou encore le plastique.

Ce « combo » nous semble être la clef pour mobiliser les populations en vue d'une réduction du volume d'ordures ménagères résiduelles. Toutefois, les associations ont du mal à se mobiliser à cette fin, faute de moyens, et à attirer l'attention des collectivités territoriales sur ce sujet.

De même, il nous paraît indispensable de réinstaurer la consigne, tout particulièrement outre-mer, du fait des enjeux d'insularité, donc d'isolement, et du manque d'infrastructures de recyclage. Dans 99 % des cas, on exporte les déchets en Asie ou en Afrique du Sud, ce qui n'est pas vertueux. Ainsi, aucun déchet n'est réellement recyclé sur le territoire de La Réunion. Soyons clairs : nous nous débarrassons de nos déchets aux dépens de pays qui n'ont ni les infrastructures ni les réglementations environnementales permettant de les recycler dans de bonnes conditions.

Nous devons mettre l'accent sur la prévention et le réemploi, et la consigne est une des solutions à privilégier. Toutefois, là encore, les moyens financiers manquent, comme le montre l'exemple du projet de consigne alimentaire qui a émergé en Nouvelle-Calédonie pour les services de restauration à emporter. Les investissements de départ étaient trois fois plus élevés que pour le système de plastique jetable. Alors que la demande d'aide était de 38 millions d'euros, la subvention de l'Ademe et des autres organismes publics n'a pas dépassé 10 millions d'euros, de sorte que le projet a dû s'arrêter, alors même que les investissements de départ auraient pu être rapidement rentabilisés.

Certains opérateurs continuent de pratiquer la consigne, malgré un manque de soutien évident, comme la brasserie Bourbon, à La Réunion, qui maintient le réemploi des canettes de verre en l'absence de tout réseau formel constitué. Il faudrait que les pouvoirs publics apportent davantage de soutien à ces opérateurs.

Pour ce qui est des décharges sauvages et de l'application de la réglementation sur les plastiques à usage unique, on ne peut que regretter le manque de contrôle des pouvoirs publics et l'absence de verbalisation. On trouve encore partout des sacs, des gobelets et des bouteilles en plastique. Les associations tentent de sensibiliser les entreprises et les commerçants, mais elles se heurtent au manque de contrôle des pouvoirs publics.

Parmi les opérations exemplaires qui ont été menées, il faut citer l'île Rodrigues dans l'Océan indien, où l'on a interdit les bouteilles à usage unique avant même que la mesure ne figure dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), et où la consigne pour réemploi a été généralisée, de sorte que la production de déchets a été considérablement réduite.

Il faut également saluer l'opération conduite sur l'île indonésienne Gili Trawangan, grâce à une forte coopération de l'industrie du tourisme, pour développer des actions de réduction de la production des déchets.

Le groupe local de Nouvelle-Calédonie considère Saint-Pierre-et-Miquelon comme un territoire exemplaire en matière d'action et de sensibilisation visant à réduire la production des déchets. La démarche très vertueuse qui s'y est développée a abouti à une prise de conscience de la part des entreprises et des associations, mais elle se heurte encore à un manque de moyens pour que des prestations d'accompagnement puissent être mises en place.

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