Intervention de Hervé Mariton

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 2 juin 2022 : 1ère réunion
Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer — Table ronde avec des opérateurs économiques

Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises des outre-mer :

En tant que président de la Fédération des entreprises des outre-mer, j'apporterai un certain nombre de réponses générales, les acteurs plus spécialisés pouvant apporter sur certains points des précisions supplémentaires.

Dans les outre-mer, les enjeux de transition écologique et d'économie circulaire sont essentiels, en particulier pour des raisons physiques : dans ces espaces insulaires ou quasi insulaires pour la Guyane, la notion d'économie circulaire revêt des enjeux importants, notamment en ce qui concerne l'évacuation des déchets. La notion de cercle, pouvant sembler un peu théorique dans une approche nationale, est très concrète en situation insulaire.

Les enjeux de la transition écologique et énergétique sont, pour les outre-mer, à la fois une contrainte et une opportunité. Alors que les schémas économiques font trop souvent du sur-place, il y a probablement là une occasion de franchir des étapes, si nous pouvons résoudre certains problèmes.

Viviane Malet a posé des questions d'ingénierie, et Gisèle Jourda a souligné la dimension de service public de la gestion des déchets. Deux ordres de difficultés sont ainsi soulevés. Les contextes économiques sont compliqués outre-mer, et les structurations d'entreprises sont parfois fragiles. Pour autant, si je puis le dire devant les sénateurs, l'organisation des collectivités locales est parfois également fragile. Il n'est pas plus aisé de résoudre les questions d'ingénierie en outre-mer que dans l'Hexagone. Il n'y a pas le potentiel d'entreprises permettant de répondre à la totalité des questions concernant les déchets, et il faut réaliser des progrès importants. Mais par ailleurs, et sans insolence, je me hasarde à dire que la prise en charge de ces questions par les collectivités locales n'est pas toujours à la hauteur des défis soulevés.

Autour du thème de l'économie circulaire, Gisèle Jourda évoquait la défiscalisation. Or, cet outil a été très largement conçu, depuis longtemps, pour des objets neufs. Dès que l'on parle de réutilisation et d'économie circulaire pour des déchets, des biens industriels ou des machines-outils, et dès que l'on essaie de garder dans le circuit ce qui pourrait facilement en sortir, il est important de poser la question d'une évolution de la défiscalisation pour mieux prendre en compte les différentes formes de réutilisation, en particulier pour les biens d'investissements.

Il en va du domaine des déchets comme d'autres domaines : les spécificités des outre-mer sont globalement insuffisamment prises en compte. Observe-t-on une dynamique nouvelle ? Oui et non : nous ne sommes pas à la hauteur de la situation. Comme Viviane Malet l'évoquait, l'interruption de l'évacuation des déchets plastiques constitue une menace. Mais en réponse à cette contrainte violente, une dynamique de réflexion est enclenchée, même si les actions restent insuffisantes, tout comme le travail de mutualisation.

Le transport des déchets a récemment émis un signal d'alerte important. Une bonne partie du traitement des déchets outre-mer passe par leur évacuation sous une forme plus ou moins traitée. Récemment, cette évacuation a été fortement perturbée par tous les problèmes de transport maritime que connaissent les outre-mer : saturation des zones de stockage et difficultés d'organisation des plateformes portuaires, perturbation de l'offre de transport tant en quantité qu'en qualité, avec des modifications des routes maritimes, et incertitude des prix contractuels comme des prix spot. Tout ceci affecte le transport des déchets.

Sur la question de l'aide au fret, ces dernières années, l'évolution a été défavorable. Dans une précédente programmation européenne, les territoires d'outre-mer pouvaient bénéficier de l'aide européenne à l'exportation de déchets vers l'Europe, ce qui n'est malheureusement plus le cas dans la dernière programmation européenne.

L'aide nationale au fret reste en théorie ouverte, mais la plupart des collectivités ont décidé d'adosser les dispositifs nationaux sur ceux du Fonds européen de développement régional (Feder). La disparition de l'aide européenne au fret des déchets a le plus souvent entraîné de facto une disparition de l'aide nationale au fret, ce qui constitue, de manière concrète et précise, un sujet majeur de préoccupation.

La situation est cependant un peu plus favorable que ce qu'a craint Viviane Malet. Après le signal d'alerte qui justifie votre propos, CMA-CGM s'est plus récemment exprimée par voie de communiqué. Par la suite, vous avez probablement vu que la direction générale de la prévention des risques au ministère de l'écologie et la direction générale des outre-mer au ministère des outre-mer ont adressé conjointement un courrier à CMA-CGM, actant la possibilité de couvrir administrativement le transport des matières plastiques vers l'Union européenne et la France métropolitaine. Même si cela ne répond pas totalement aux problématiques de transport de matières plastiques issues de La Réunion, la réponse de CMA-CGM à cette alerte est rassurante.

Avec le délégué général de la Fedom, nous étions il y a quelques semaines en Martinique. Le « coup de semonce » CMA-CGM a incité les acteurs locaux à réfléchir sur la collecte et le recyclage des déchets plastiques. Historiquement, il y a un certain temps, des bouteilles plastiques étaient recyclées en Martinique. Du fait d'une insuffisante organisation de la collecte, cette unité de traitement s'était arrêtée - ce qui nous ramène à la question de l'organisation du service public. Aujourd'hui, la question prend une dimension nouvelle. Vu de la Martinique, le sujet est complexe : sous-jacentes à la mutualisation, des initiatives récentes se sont fait jour en Guadeloupe, et les acteurs ont conscience qu'il n'y a pas de place pour deux unités industrielles et deux opérateurs en même temps dans les Antilles.

La mutualisation n'est pas là aujourd'hui, mais c'est un défi que nous devons relever pour ne pas dépendre de la bienveillance de CMA-CGM concernant les trajets des matières plastiques. Les acteurs des départements français des Antilles et d'autres collectivités comme Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont concernés par cette donnée.

Au-delà des matières plastiques, dont l'interruption du transport constitue une menace, je voudrais souligner le problème de la collecte, du stockage et du transport des déchets dangereux. Il s'agit d'une préoccupation grave. Sous le contrôle de Viviane Malet, je comprends qu'à La Réunion aujourd'hui, la filière est en carence à tous les niveaux : l'évacuation des piles n'est pas possible, le stockage et la collecte ne se font plus.

La réduction des déchets à la source constitue une autre dimension du travail de la délégation. Le sujet est difficile vu des outre-mer, compte tenu de l'importance de la part des produits importés dans les économies ultramarines, qui représentent souvent une part modeste de la production globale de ces produits. Les metteurs en marché ultramarins, souvent minoritaires dans leurs filières d'approvisionnement, peuvent difficilement maîtriser la conception des produits ou la réduction potentielle des emballages et des suremballages.

La Fedom soutient la production locale, qui se pose ces questions, mais il y a une difficulté liée à la faible marge réalisée par les distributeurs d'outre-mer sur les produits importés. Demain, des évolutions du type de la taxe carbone pourraient affecter les frais d'approche, et la réduction à la source des déchets pourrait ainsi prendre une nouvelle dimension.

Concernant le recyclage et la réutilisation, nous réfléchissons à faciliter la miniaturisation des filières de production, afin d'encourager une meilleure maîtrise de la réduction à la source des déchets, en prenant le problème très en amont. Cela ne répond pas vraiment à l'urgence immédiate, mais il faut tout de même avoir cette dimension en tête. S'agissant des filières de recyclage, comme je l'évoquais avec l'exemple des bouteilles en plastique en Martinique, l'échec connu par le passé s'explique peut-être par la taille peu adaptée des outils de production.

Il n'est pas absurde de relier les démarches de miniaturisation et celles d'économie circulaire. Si des efforts doivent être menés, y compris dans les politiques publiques, comme nous souhaitons le plaider auprès de la direction générale des entreprises, ces efforts peuvent porter sur le recyclage et passer par la miniaturisation des outils de production, quitte à mettre prioritairement des moyens dans les économies insulaires, où les problèmes ne se posent pas de la même manière que dans l'Hexagone - je lance cette proposition.

Des évolutions nationales sont favorables, et les outre-mer doivent pouvoir en tirer profit. L'assouplissement du classement ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement) et de l'encadrement environnemental des combustibles solides de récupération (CSR), vu des outre-mer, ouvre des perspectives favorables, car ils constituent une manière de traiter des déchets et de produire de l'énergie. Des réflexions sont en cours à La Réunion, sous l'égide de l'entreprise d'énergie Albioma.

J'ai rapidement évoqué la question de la mutualisation, en mentionnant les difficultés concernant les plastiques en Martinique et en Guadeloupe. Le sujet est évidemment important.

Concernant la valorisation et le recyclage, il faut faire attention à la taille de nos marchés, qui sont souvent de petite dimension. Des efforts sont faits sur la politique des déchets, y compris dans les collectivités du Pacifique. Des cadres législatifs ont été adoptés. Le gouvernement de la Polynésie française a pris des lois de pays, et le code de l'environnement polynésien prévoit un certain nombre de dispositions. Selon les parties du territoire, que l'on soit à Tahiti ou dans des archipels éloignés, les conditions d'application ne sont pas les mêmes.

Le constat, en Polynésie française comme dans d'autres collectivités d'outre-mer, est celui d'une augmentation très significative de la production de déchets ces dernières années. Un certain nombre de collectivités d'outre-mer connaissent un déclin démographique, mais les problèmes de déchets ne sont pas résolus pour autant ; dans d'autres, la croissance démographique les aggrave.

En Nouvelle-Calédonie, par exemple, plus de 100 000 tonnes de déchets ménagers sont produites annuellement, alors que les enjeux de préservation et de valorisation de l'environnement sont importants. Les politiques concernant les déchets sont d'autant plus importantes. Il faut avoir en tête la complexité de l'organisation administrative : une partie des compétences relève de l'État, une autre est liée à la compétence forte des provinces en matière d'environnement, une partie revient cependant au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur la gestion des déchets de soins à risque infectieux, des médicaments et des déchets d'amiante, et une autre partie revient aux communes ou aux regroupements de communes. Je veux souligner l'implication de la Chambre de commerce et d'industrie de la Nouvelle-Calédonie (CCI-NC), qui a mis en place un observatoire des déchets des entreprises, sur un modèle inspiré des Côtes-d'Armor, pour bien suivre l'ensemble de ces questions.

Je voudrais aussi mentionner les difficultés réelles observées dans la troisième collectivité du Pacifique, à Wallis-et-Futuna, concernant la gestion de cette filière.

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