Intervention de Annick Billon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 18 mai 2022 : 1ère réunion
Table ronde avec des acteurs institutionnels spécialisés dans la lutte contre la traite des êtres humains et la cybercriminalité

Photo de Annick BillonAnnick Billon, présidente, co-rapporteure :

À titre liminaire, je précise que cette réunion fait l'objet d'un enregistrement vidéo, accessible sur le site Internet du Sénat en direct, puis en VOD.

Nous poursuivons nos travaux sur le thème de la pornographie. Nous sommes quatre rapporteures pour mener ces travaux : Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et moi-même.

Nous accueillons Élisabeth Moiron-Braud, magistrate, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) ; Elvire Arrighi, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) à la direction centrale de la police judiciaire du ministère de l'intérieur ; Jean-Baptiste Baldo, commandant de police, chef de la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) à la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité du ministère de l'intérieur ; et Simon Benard-Courbon, substitut du procureur de la République, co-référent prostitution des mineurs et traite des êtres humains à la division de la famille et de la jeunesse du tribunal judiciaire de Bobigny.

Nous avons trois principaux axes de travail. Tout d'abord les conditions de production des contenus pornographiques. Les graves dérives dans le milieu pornographique français, relayées par la presse, nous ont en effet amenés à nous interroger sur les conditions dans lesquelles se déroulent les tournages.

Je salue le travail d'investigation mené, pendant plus de deux ans, par les enquêteurs de la section de recherches de Paris de la Gendarmerie nationale, qui a permis de recueillir les témoignages d'une cinquantaine de victimes de pratiques de recrutement sordides et de viols, agressions sexuelles et traite d'êtres humains, sous couvert de tournages pornographiques.

Le traitement de ces affaires par la Gendarmerie nationale plutôt que par les services de la Police judiciaire, est, semble-t-il, lié à un concours de circonstances et à l'implication et la pugnacité des enquêteurs concernés.

Une instruction a été ouverte, trois juges d'instruction nommés ; à ce jour, nous avons eu connaissance d'une douzaine de mises en examen pour viols en réunion, traite aggravée d'êtres humains et proxénétisme aggravé notamment.

Ce type d'affaires ne devrait-il pas toutefois relever, en principe, de la compétence de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains ? L'Office a-t-il déjà eu à traiter de telles affaires par le passé et est-il appelé à le faire à l'avenir ? Quelle a été son éventuelle implication dans les affaires en cours ? Son expertise en matière de traite des êtres humains a-t-elle été sollicitée ?

Au-delà des dérives révélées par la presse, nous nous interrogeons plus globalement sur les liens qu'entretiennent proxénétisme, prostitution, traite des êtres humains et pornographie. La pornographie, qui implique des actes sexuels tarifés, peut-elle juridiquement être assimilée à de la prostitution filmée ? Cette activité économique peut-elle relever du champ infractionnel du proxénétisme dès lors que l'on considère la pornographie comme une forme d'exploitation sexuelle ? Nous souhaitons connaître votre analyse en la matière.

Notre deuxième axe de réflexion concerne la nature des contenus pornographiques. Ces contenus semblent de plus en plus extrêmes et dégradants. Est-ce une vision que vous partagez ?

Certaines vidéos sont en outre manifestement illégales, lorsqu'elles contiennent de la pédopornographie, des viols filmés, de l'incitation à la haine ou d'autres contenus pénalement réprimés. Comment les agents de Pharos traitent-ils les signalements qui leur sont faits de telles vidéos ? Combien en reçoivent-ils chaque mois et quelles suites y sont-elles données ?

La Miprof et l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains peuvent-ils également intervenir, mener des investigations ou saisir la justice lorsque sont portées à leur connaissance des vidéos filmant des scènes de violence, sexuelle ou physique ? De façon plus générale, quels échanges y a-t-il entre vos différents services ?

Enfin, notre troisième axe de travail porte sur l'accès aux contenus pornographiques, qui s'est massifié depuis l'avènement des tubes, ces plateformes numériques proposant gratuitement et en un simple clic des centaines de milliers de vidéos pornographiques, souvent piratées.

En France, les sites pornographiques affichent une audience mensuelle d'environ 650 millions de visites, dont 19 millions de visiteurs uniques, soit un tiers des internautes français. En outre, 80 % des mineurs ont déjà vu des contenus pornographiques et, à 12 ans, près d'un enfant sur trois a déjà été exposé à de telles images. Nous nous intéressons aux conséquences de cette exposition précoce, comme la banalisation des rapports sexuels et l'augmentation de conduites à risques chez les adolescents, notamment les pratiques prostitutionnelles. Récemment sont apparues des plateformes telles que Onlyfans ou Mym qui permettent à des femmes, parfois très jeunes voire mineures, de mettre directement en ligne du contenu à caractère sexuel, souvent filmé l'aide d'un smartphone, vendu directement au consommateur, à l'unité ou contre un abonnement. Cette pornographie à l'heure des circuits courts ne s'apparente-t-elle pas à une activité prostitutionnelle ?

Je cède la parole à notre première intervenante, Mme Élisabeth Moiron-Braud.

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