Intervention de Élisabeth Moiron-Baud

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 18 mai 2022 : 1ère réunion
Table ronde avec des acteurs institutionnels spécialisés dans la lutte contre la traite des êtres humains et la cybercriminalité

Élisabeth Moiron-Baud, secrétaire générale de la Miprof :

Merci de votre invitation. J'axerai mon intervention plus particulièrement sur les liens qu'entretiennent proxénétisme, prostitution, traite des êtres humains et pornographie.

À titre liminaire, vous nous avez interrogés sur nos liens avec l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains. Il faut savoir que la Miprof est une mission interministérielle qui n'a aucune compétence opérationnelle. Nous coordonnons la lutte contre la traite des êtres humains mais nous ne sommes pas des acteurs de terrain.

Je reviens de Bruxelles où nous avons tenu la réunion des rapporteurs nationaux sur la lutte contre la traite des êtres humains, dans le cadre des travaux préparatoires à la révision de la directive du 5 avril 2011. Bien que l'exploitation sexuelle soit un sujet majeur, la pornographie, en l'état, n'en fait pas partie. Le rapport que vous déposerez sera sans aucun doute très utile pour porter ce sujet au sein de l'Union européenne et réfléchir aux mesures à prendre pour lutter contre cette forme d'exploitation.

La traite des êtres humains dans un but d'exploitation sexuelle est un marché très lucratif et c'est la troisième source de profits criminels au monde, après le trafic de drogue et le trafic d'armes. Cette infraction est définie à l'article 225-4-1 du code pénal, qui recouvre notamment les agressions sexuelles et le proxénétisme, étant observé que les affaires d'exploitation sexuelle sont le plus souvent poursuivies pour proxénétisme.

La traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle est la forme d'exploitation la plus répandue dans le monde et elle couvre également la prostitution. Plusieurs conventions internationales portent sur la prostitution et l'exploitation qui en résulte, notamment celles de 1949 et de 1979. On estime que 90 % des personnes prostituées sont victimes de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle.

La pornographie n'est pas visée par les textes actuels, que ce soit au niveau national, européen ou international. Si la prostitution est assimilée à la traite des êtres humains, très peu de pays font le lien entre pornographie et traite des êtres humains. Les travaux que mène votre délégation sur ce sujet nous amèneront à réfléchir sur l'introduction de la pornographie dans la définition de l'exploitation sexuelle dans les textes européens ou internationaux et dans notre législation nationale.

Pourtant, pornographie et prostitution sont deux activités très semblables : il s'agit de la marchandisation des corps dans le but de satisfaire le plaisir d'autrui. La seule différence est que dans la prostitution, le plaisir d'autrui c'est celui du client, dans la pornographie c'est celui de la personne qui prend du plaisir à regarder les images.

Dans notre droit, la prostitution n'est pas définie. La seule définition ressortant de la Cour de cassation parle de rapport physique direct, ce qui exclut la pornographie. Dans le cadre du groupe de travail sur la prostitution des mineurs, auquel la Miprof a activement participé, l'une des recommandations a été d'introduire dans nos textes la dimension virtuelle de l'acte sexuel, en lien avec les changements technologiques qui conduisent à des évolutions des pratiques prostitutionnelles.

La définition de la traite des êtres humains, quant à elle, est large et couvre de nombreuses situations : il s'agit de recruter une personne vulnérable, en échange d'une rémunération ou d'un autre avantage, en vue de l'exploiter sexuellement. Il est possible d'y raccrocher la pornographie, ainsi que nous le faisons avec la prostitution. Avec les affaires en cours qui nous ont ouvert les yeux sur l'industrie pornographique, nous avons pu voir que derrière ce phénomène se trouvent des femmes vulnérables qui ont besoin d'argent et qui sont exploitées par des personnes qui leur promettent une rémunération.

La définition de la traite prévoit en outre qu'il s'agit de mettre la victime à sa disposition personnelle ou à celle d'un tiers afin de commettre des infractions telles que le proxénétisme ou des infractions sexuelles.

Le débat au sujet de la pornographie est le même que celui que nous avons eu lors du vote de la loi de 2016 au sujet de la prostitution : une telle activité peut-elle être acceptable sous prétexte que la victime serait consentante et ne subirait pas de violences ?

La France a répondu en interdisant tout achat d'acte sexuel, donc en choisissant la voie prohibitionniste. D'autres pays européens, comme l'Allemagne ou l'Autriche, ne sont pas du tout sur cette position. Je regrette cependant que la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel ne soit pas assez appliquée.

Pour moi, la pornographie et la prostitution sont à rapprocher. Le producteur d'un film peut être considéré comme un proxénète puisqu'il tire profit d'actes sexuels réalisés par des tiers. C'est aussi un client, puisqu'il achète l'acte sexuel, pour le filmer.

L'industrie pornographique génère des profits considérables. Il faut donc faire en sorte de décourager la demande. Pour ce faire, nous devons mener des campagnes de sensibilisation sur ce sujet et en parler régulièrement dès l'école primaire.

Le corps n'est pas une marchandise, on ne peut pas en disposer. C'est contraire à nos principes constitutionnels, notamment au principe de dignité humaine. Derrière la pornographie, comme derrière la prostitution, il y a une immense majorité de personnes victimes de la traite des êtres humains et de proxénétisme. Que l'on ne parle pas de libre choix ou d'un métier comme un autre, c'est une forme d'exploitation à combattre. Il faut réfléchir à introduire la pornographie comme un des buts de l'exploitation dans la définition de la traite des êtres humains.

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