Intervention de Jean-François Husson

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 8 juin 2022 à 10h50

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

rapporteur général de la commission des finances. – À mon tour de remercier les deux rapporteurs spéciaux. Nos débats d’aujourd’hui anticipent ceux que nous aurons lors du prochain PLFR. Indépendamment du bien-fondé de la contribution à l’audiovisuel public, la suppression brutale de cette contribution représentera 3 milliards d’euros en moins pour les finances de l’État. Ce n’est pas négligeable, d’autant que ce sujet n’a fait l’objet d’aucun travail préparatoire. Comme l’a signalé Roger Karoutchi, c’est la politique du fait accompli.

Faute de recettes nouvelles, pourrait-on réaliser des économies en supprimant des doublons et, si oui, dans quelles proportions ?

M. David Assouline. – Comme l’a dit Roger Karoutchi, la suppression de cette redevance est une décision historique, et non un simple ajustement. Celle-ci conforte notre exception française, puisque ce mode de financement est dominant dans tous les grands pays démocratiques européens. Non seulement nous ne l’avons pas modernisé comme l’ont fait nos voisins, mais il va être supprimé ! Conséquence : le lien qui existe entre les Français et l’audiovisuel public – « l’actionnariat populaire », selon les termes de Jack Ralite – sera rompu, entraînant inéluctablement une perte de visibilité. Je connais cette pente : c’est le premier pas vers la privatisation de l’audiovisuel public ou de certaines de ses composantes.

Une telle suppression exige un vrai débat parlementaire, une réelle concertation. Elle est sortie du chapeau durant la campagne présidentielle, et selon M. Karoutchi, on ne pourrait pas faire autrement. Auriez-vous déjà abdiqué ? Nous avons la main sur les questions budgétaires, et même si le combat paraît perdu d’avance, le Parlement exercera au moins son devoir de débat et de remise en cause de cette décision qui est tout sauf anodine.

J’appelle l’ensemble de mes collègues à continuer à défendre la redevance, en vertu de notre consensus sénatorial et du rapport de M. Leleux, qui préconisait de créer une contribution universelle à l’instar de l’Allemagne.

Enfin, une inflation de 5 % représente 125 millions d’euros, qui devront être ajoutés pour que l’audiovisuel dispose des mêmes moyens qu’avant. Sinon, bien que masquée, la baisse sera nette. Compte tenu des difficultés financières déjà existantes, les prévisions concernant le financement du secteur ne sont plus garanties. De « bonnes âmes » invoqueront la privatisation, qui ne coûterait rien aux contribuables. En réalité, les 3,7 milliards d’euros seront payés d’une autre façon. Mais cela fragilisera un édifice ancien garant de notre audiovisuel public de qualité !

M. Philippe Dominati. – Je remercie les rapporteurs de ce coup d’éclairage sur l’audiovisuel public. Sachant que notre pays est le deuxième le plus fiscalisé d’Europe, la suppression d’une redevance ou d’une taxe ne me chagrine pas. J’avais d’ailleurs proposé à plusieurs reprises des amendements en ce sens.

Le prérequis est de savoir quel est le domaine de l’audiovisuel public ? Actuellement, il y a sur la mosaïque plus de chaînes de télévision que de boulangeries. Faut-il pour autant des redevances pour financer les commerces traditionnels ? Je ne le pense pas. Mais il faut redimensionner le périmètre, qui est beaucoup trop large. Le fait de supprimer la redevance au lieu de provoquer la réforme n’est pas nécessairement négatif.

Nous n’avons pas évoqué la concentration. En défenseur de la concurrence, je ne suis pas favorable à une grande société. Or ce débat semble masquer la fusion problématique de deux chaînes privées. Effectuée dans l’indifférence générale, elle est destinée à obtenir 75 % des recettes publicitaires.

M. Pierre Ouzoulias. – Merci aux deux rapporteurs pour leur important travail, réalisé à chaud. Depuis longtemps, la culture finance essentiellement ses nouvelles missions par de la fiscalité affectée. Avec la suppression de la redevance, le Gouvernement fait machine arrière afin de remettre dans le budget général le financement d’un service public. Il aurait fallu qu’il expliquât sa doctrine budgétaire en la matière.

Comment financer le service public de la culture ? Jusqu’à présent, on considérait que la solution provenait des utilisateurs. Un autre moyen de financement pourrait émaner du budget général de la Nation. Avant tout, il faut s’interroger sur la nature du service public de l’audiovisuel. À quoi sert-il ? Je regrette que la question ait été abordée ainsi ; l’audiovisuel méritait mieux...

M. Marc Laménie. – Merci aux présidents, aux rapporteurs, et à tous ceux de nos collègues qui participent à ce débat complexe. Quel est le rôle du Parlement ? Nous avons le sentiment d’être mis devant le fait accompli ; n’oublions pas l’histoire de l’audiovisuel public. Comment compenser les 3,7 milliards d’euros de moindres recettes fiscales ? Que faire pour remédier à ce nombre pléthorique de chaînes ? Quid du rapport de nos collègues de 2015 ? Comment faire pour qu’il ne reste pas lettre morte ?

Mme Sylvie Robert. – Merci à nos rapporteurs pour cette mission de contrôle. Je vois dans ce rapport une question de forme et de fond. Le fait d’acter la suppression de la CAP entraînera des conséquences très importantes. Plusieurs hypothèses auraient pu être envisagées, et le rapport de M. Leleux de 2015 appelait une réflexion approfondie.

Nous serons le premier pays européen à supprimer le dispositif, bien que sa fragilité ait été encadrée. L’Allemagne a au contraire augmenté la taxe – fixée à 220 euros – et l’a modernisée. La suppression de la CAP pose aussi la question de l’avenir d’Arte France ; c’est un travail commun très performant, notamment sur sa plateforme numérique. Cette décision historique interroge sur la capacité de la France à maintenir le financement de l’audiovisuel public et de Arte. Elle est extrêmement dangereuse en termes de concentration et risque d’appauvrir toute la filière, notamment le cinéma.

M. Jérôme Bascher. – Merci aux rapporteurs. Je n’ai pas du tout le même ressenti sur le rapport. Il s’agit selon moi d’un travail prospectif en cas de suppression de la CAP. Il n’est nullement question « d’acter », et nous avons tous à cœur que le Parlement vote les recettes et les dépenses.

On peut s’interroger tous les ans sur le montant de la redevance ou sur la dépense publique au profit de l’audiovisuel public, mais cela ne change rien au résultat dans la loi de finances. Certes, nous n’avons pas eu le courage de moderniser les choses depuis vingt ans, mais Bercy n’est pas le seul responsable. L’influence des grands promoteurs de l’internet a aussi joué un rôle.

Les gains de productivité résultant de la fusion ont-ils été chiffrés ? L’objectif est-il juste de prélever des recettes sur le dos du privé ?

M. Michel Laugier. – Je remercie les présidents et les rapporteurs. Cette suppression est inattendue, mais nous commençons à être habitués à cette pratique depuis la disparition de la taxe d’habitation, dont les 24 milliards d’euros n’ont jamais été compensés.

Le Sénat a toujours été proactif dans ce domaine – je citerai à mon tour le rapport de Jean-Pierre Leleux. Devant le fait accompli, le Sénat vient encore en première ligne pour formuler des propositions intéressantes sur la réforme de l’audiovisuel public. À l’ère du numérique, la réforme est indispensable. Comment financer cette nouvelle organisation du secteur ? Et pour quel montant ?

M. Éric Bocquet. – Je n’ai pas bien compris l’origine de la ressource qui financerait cette nouvelle mission budgétaire. Cette annonce de suppression de la redevance au détour d’une campagne électorale témoigne d’un véritable mépris des missions de service public. À ce propos, je partage l’appel de David Assouline à se mobiliser.

Dans les années 1980, la privatisation de TF1 avait été engagée au nom du « mieux-disant culturel ». Peut-on s’en remettre à la loi du marché pour réguler la situation ? L’enjeu est politique. Il est urgent de résister, de porter une autre ambition pour le service public. Et le lien indéfectible entre la Nation et son service public octroie un droit de regard. Souvenons-nous des questions posées dans le rapport de la commission d’enquête relative à la concentration dans les médias au sujet de la crédibilité de l’information et de la déontologie.

M. David Assouline. – Une question a surgi dans l’actualité concernant le sport, qui est de plus en plus rare à la télévision publique du fait des coûts élevés des droits de retransmission et de la disparition de la publicité sur le service public de l’audiovisuel après 20 heures. Ce phénomène touche particulièrement le football, le Tour de France et Roland Garros, où un match important a été diffusé le soir sur Amazon. Avez-vous envisagé la possibilité d’autoriser la publicité tardive pour des retransmissions sportives importantes ?

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