Merci, Madame la Présidente, Mesdames les Sénatrices, de me donner l'occasion de présenter un premier bilan de la mise en oeuvre de l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, voté sur l'initiative de votre assemblée.
Je suis accompagné de Lucile Petit, directrice des plateformes en ligne, et de Justine Boniface, directrice de cabinet du président de l'Arcom, Roch-Olivier Maistre. Nous sommes en visioconférence, ce dont nous nous excusons, car le mercredi est le jour de la réunion hebdomadaire du collège de notre Autorité.
L'article 23 susmentionné prévoit l'intervention de l'autorité administrative pour demander au juge de bloquer les sites qui permettent à un mineur d'avoir accès à un contenu pornographique, en méconnaissance de l'article 227-24 du code pénal. Le législateur a chargé l'Arcom d'une mission de protection du public mineur en ce qui concerne les médias audiovisuels, à laquelle nous attachons la plus grande importance.
Il ne s'agit ni d'interdire les contenus pornographiques ou d'intervenir sur des pratiques de cette industrie qui relèvent, le cas échéant, du seul juge pénal, ni de s'assurer de la conformité des dispositifs de vérification d'âge mis en place par les sites au regard du droit de la protection des données personnelles. Cette protection des données personnelles est néanmoins une préoccupation forte de l'Arcom, et nous en discutons régulièrement avec la Cnil.
Je vais d'abord revenir sur les différentes étapes de la mise en oeuvre de cette loi.
Votée en juillet 2020, elle a donné lieu à la publication d'un décret d'application en octobre 2021. Ce décret avait auparavant fait l'objet d'une notification à la Commission européenne, qui a formulé des observations en juillet 2021. Par conséquent, le dispositif juridique n'a été véritablement effectif qu'à compter d'octobre 2021.
À la suite de la publication de ce texte réglementaire, nous avons mis en demeure cinq sites : Pornhub, xHamster, XVideos, Tukif et Xnxx. Nous avons informé nos homologues européens, ainsi que la Commission européenne, de ces mises en demeure.
En mars 2022, le président de l'Arcom a saisi le tribunal judiciaire, comme le prévoit la loi ; nous avons de nouveau informé nos homologues européens de cette démarche. L'audience a été fixée le 24 mai dernier ; comme vous le savez, en raison d'une erreur de procédure des conseils de l'Arcom, cette audience a conduit à une annulation des assignations des FAI. Une nouvelle date d'audience a été fixée par le tribunal judiciaire : celle-ci se tiendra le 6 septembre 2022.
Les sites que nous avons mis en demeure par notre assignation devant le tribunal judiciaire nous ont été signalés par les associations. Ils représentent une part très importante de l'audience des sites pornographiques en France : les cinq sites que j'ai mentionnés, ajoutés à deux autres que nous avons mis en demeure plus récemment, à savoir YouPorn et Redtube, représentent environ 25 millions de visiteurs uniques par mois en 2021.
La procédure mise en place par le législateur est complexe : ce sera mon deuxième point.
À cet égard, l'enjeu de sécurité juridique est fort : il faut entourer nos décisions de toutes les garanties nécessaires pour pouvoir mener à son terme la procédure que nous avons engagée. Il s'agit d'une nouvelle procédure, dite « accélérée au fond », et non d'une procédure en référé : les conditions de délai ne sont donc pas les mêmes.
Les sites pornographiques qui sont indirectement, mais in fine, visés par cette procédure se sont entourés des meilleurs avocats de la place de Paris ; ils sont, à notre égard, dans une approche que l'on peut qualifier de contentieuse. Ils ont d'ores et déjà attaqué le décret d'application de la loi. Dans les écritures que nous avons récemment reçues, ils multiplient les actes contentieux, puisqu'ils entendent poser une question préjudicielle au juge européen et déposer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Il est par conséquent vraiment essentiel pour la bonne mise en oeuvre de la loi de s'entourer des procédures juridiques les plus éprouvées. C'est ce qui nous a conduits à recourir à des constats d'huissier : c'est une procédure qui est plus longue mais qui nous offre des garanties. Nous réfléchissons pour l'avenir à recourir à des procédures plus souples, qui nous permettront de traiter plus rapidement les saisines, pour les autres sites qui sont visés par les associations. En guise d'exemple, pour montrer que la procédure est enserrée dans des délais qui sont relativement longs, lorsque nous assignons un FAI en outre-mer, le délai est au minimum d'un mois. Les dates d'audiences sont, et c'est bien normal, fixées par le juge judiciaire : cela peut prendre entre deux et trois mois. Je rappelle par ailleurs que les assignations doivent être remises par huissier.
Nous sommes enfin soumis à des contraintes procédurales qui s'inscrivent dans le cadre de l'Union européenne. Du fait de l'application du principe du pays d'origine, inscrit dans la directive e-commerce, nous devons informer de la procédure l'État membre où est établi l'éditeur des sites et lui demander s'il compte lui-même mettre en oeuvre des actions à l'égard de ces sites. Parallèlement, nous devons aussi informer la Commission européenne. La mise en oeuvre de ces garanties allonge la durée de la procédure, d'autant que nous devons en amont identifier l'éditeur et son établissement géographique.
Tout au long de la mise en oeuvre du texte législatif, qu'il s'agisse du prononcé de mise en demeure ou de la saisine du juge judiciaire, nous discutons avec l'ensemble des parties prenantes : ce sera le troisième point de mon propos.
Nous avons d'abord des échanges avec les sites eux-mêmes. Les contacts ont été pris avant même la publication du décret. Nous avons cherché à les accompagner, à nouer le dialogue avec eux, même si, parfois, nous n'avons pas eu de réponse de leur part. Ceux qui ont répondu étaient, le plus souvent, dans un état d'esprit contentieux, rendant difficile un dialogue nourri ; ils cherchaient sinon à nous faire valider a priori un dispositif de vérification d'âge, ce qui n'est pas la mission qui nous est confiée par la loi. En effet, c'est une fois qu'il est effectivement en place que nous devons nous assurer que le système de vérification d'âge installé par le site répond aux critères permettant d'empêcher que les mineurs puissent accéder aux contenus pornographiques.
Nous avons discuté également avec les fournisseurs de ces dispositifs de vérification d'âge. Nous avons eu de nombreux échanges techniques, en expliquant que notre rôle n'était pas de valider a priori ces dispositifs, mais de s'assurer a posteriori qu'ils répondaient aux critères de la loi.
Nous avons aussi échangé régulièrement avec la Cnil, avant même la publication du décret. Nous parlons tous les quinze jours de ces sujets, car il est nécessaire que nous ayons une approche coordonnée entre nos deux autorités de régulation.
Nous avons enfin des échanges étroits et réguliers avec les associations qui nous ont saisis, par exemple Osez le féminisme !, le Cofrade, e-Enfance ou l'Union nationale des associations familiales (Unaf). Le sujet a également été abordé au sein de notre comité d'experts du jeune public. Le président de l'Arcom revoit certaines de ces associations dans quelques jours, signe de notre dialogue étroit.
Pour conclure, nous pouvons comprendre l'impatience qui peut être la vôtre et celle des associations s'agissant de la mise en oeuvre de ce texte législatif. J'ai souhaité vous expliquer les raisons pour lesquelles la procédure était longue et qui justifiaient de s'entourer de garanties. Je peux vous assurer de la détermination de l'Arcom à faire vivre ce dispositif et aller jusqu'au bout de la procédure. Il reviendra au juge de décider, in fine, du blocage ou non des sites visés.