rapporteure. – L’adhésion à la vaccination dépend de nombreux facteurs. La crainte d’effets indésirables, qui existent pour tout produit de santé, demeure cependant la principale raison de non-adhésion, dans un contexte où les vaccins utilisés en France reposent sur de nouvelles technologies. Ce dernier point constitue le fait marquant de la pandémie, au-delà des incertitudes relatives à la nature du virus et du constat de la rapidité de son évolution, qui a pris de court l’état des connaissances scientifiques.
Beaucoup ont redouté qu’une partie du génome viral soit intégrée au génome des cellules humaines, mais cette crainte se serait atténuée au fur et à mesure de l’utilisation de ces vaccins, la démonstration de leur efficacité prenant le pas sur les doutes exprimés. Des clarifications ont en outre été apportées sur le fait que l’ARN ne pouvait être intégré au génome humain. De manière générale, l’état des connaissances scientifiques de la population a constitué un facteur important pour l’appropriation de l’utilité vaccinale.
L’adhésion à la vaccination a beaucoup fluctué au cours de la pandémie de covid-19, en raison d’un contexte épidémique changeant, du ressenti de la population à l’égard de la pandémie et du traitement médiatique de la question de la vaccination – ce dernier point pouvant faire varier l’adhésion sur des échelles de temps très courtes.
Nous pouvons souligner à ce propos que, par contraste avec le scénario catastrophe auquel nous avons pu assister lors des premières vagues, marqué par un grand nombre de décès et de personnes en réanimation, l’aspect modéré de la situation sanitaire actuelle est notable. En effet, le nombre de personnes hospitalisées pour des formes graves de la covid-19 et de décès demeure faible, alors que les gestes barrières sont moins respectés, que les confinements ont été levés et qu’aucun traitement antiviral réellement efficace n’a encore été trouvé contre la maladie. Or l’arrivée de la vaccination constitue l’événement majeur de la période qui sépare ces deux moments.
Si la couverture vaccinale est aujourd’hui bien supérieure aux intentions initiales pour la primo-vaccination, l’adhésion à la dose de rappel est en revanche moins élevée. Plusieurs facteurs ont contribué à diminuer les bénéfices perçus de la vaccination. Cela tient notamment au fait que la balance bénéfices-risques collective, sur laquelle reposent les politiques de santé publique, s’articule toujours avec l’appréciation personnelle de la balance bénéfices-risques individuelle, celle-ci pouvant prendre le pas sur l’autre.
Parmi les facteurs susmentionnés, nous pouvons citer la moins grande dangerosité intrinsèque du variant Omicron et des variants qui en sont proches. La déception quant à l’efficacité des vaccins contre la transmission du virus, notamment observée dans le contexte de la circulation de ces derniers variants, a également joué un rôle, alors que la possibilité de tendre vers une immunité collective était ce qui avait amené à se faire vacciner une partie des personnes non exposées à un risque de forme grave de la covid-19 – dans le rêve d’un retour à la vie d’avant. En effet, au fil des mois, l’immunité collective s’est transformée en chimère.
Le rôle de l’information dans l’adhésion est important et le fait que peu de médias majeurs aient questionné ouvertement l’intérêt et la sécurité de la vaccination a vraisemblablement contribué au succès de la campagne. Les réseaux sociaux, qui ont permis à des entrepreneurs de la défiance de véhiculer des messages décourageant la vaccination, auraient finalement eu une influence limitée. Alors que la défiance vaccinale était annoncée comme très importante en France, nous sommes en effet parvenus à un taux de vaccination bien supérieur à celui d’autres pays.
La prise de parole de scientifiques dans les médias, tels que le Pr Axel Kahn militant pour la vaccination des professionnels de santé, a également été très bénéfique à l’adhésion. Plus généralement, la place des scientifiques dans la gestion de cette crise a été importante : la mise en place de comités scientifiques créés spécialement pour la crise de la covid-19 a pu envoyer une image de proximité des gouvernants avec la science et de recherche du conseil scientifique le plus pertinent. Cependant, elle a aussi marginalisé les institutions établies qui constituaient pourtant la référence de la parole publique en matière de politique sanitaire, d’autant que les missions des comités ad hoc étaient parfois redondantes avec celles desdites institutions, ce qui a donné une impression de cacophonie, voire de hiatus entre la parole officielle de l’exécutif et celle de ces structures – notamment s’agissant de la vaccination des enfants. Je pense particulièrement à la HAS et à l’ANSM.
Comme l’Opecst l’avait souligné dans son rapport de décembre 2020 sur la stratégie vaccinale contre la covid-19, la communication qui accompagne une campagne vaccinale de cette ampleur est tout autant essentielle que délicate à mettre en œuvre. Il a été regretté que la campagne vaccinale ait été menée par des acteurs politiques et non par les institutions telles que la Direction générale de la santé (DGS) et Santé publique France, qui ont, dans les faits, été à la manœuvre, mais au second plan. La campagne de vaccination risquait en effet de pâtir de la défiance qui perdure à l’égard des gouvernants en France, ravivée à plusieurs reprises, notamment au début de la crise sanitaire par la polémique sur les masques.
D’autres épisodes ont instauré un doute sur l’articulation effective de la décision publique avec les meilleures connaissances scientifiques disponibles. Nous pouvons citer ainsi les promesses du retour à la vie normale qui serait entraîné par la vaccination, qui ont été formulées alors que les connaissances scientifiques à cette date ne permettaient pas de l’affirmer avec certitude. Encore aujourd’hui, nous ne pouvons rien affirmer avec certitude. Une grande humilité est donc requise dans la parole publique. Nous pouvons citer également la non-prise en compte de la capacité du virus de se transmettre par aérosol ou encore le débat sur la pertinence d’un allongement du délai entre les deux premières doses de vaccin.
La portée limitée des données cliniques obtenues par les industriels et la prise en compte, en conséquence, d’études observationnelles ou dites « de vie réelle », jugées moins robustes que des études cliniques, pour établir certaines recommandations vaccinales ont aussi été mal perçues, de nombreuses personnes s’estimant considérées comme des sujets d’expérimentation.
Le recours aux AMM conditionnelles a aussi été mal compris par le public, d’autant que les contrats d’achat des vaccins n’ont pas été rendus publics. Cette procédure n’est pourtant pas inédite et présente un certain nombre d’avantages dans le contexte de la pandémie de covid-19, comme la possibilité d’une mise sur le marché bien plus rapide. L’extension des recommandations vaccinales à des populations – enfants, femmes enceintes – qui ne figuraient pas dans les essais cliniques initiaux a également surpris. Si l’on sait que les études observationnelles offrent un niveau de preuve moindre, elles ont concerné en l’espèce une partie très significative de la population générale – non seulement nationale, mais aussi mondiale.
Ces décisions sanitaires ont été motivées par l’urgence et les bénéfices supposés de la vaccination. Le bien-fondé de nombre d’entre elles est aujourd’hui avéré. Il n’en reste pas moins que cela a donné le sentiment à de nombreuses personnes de faire partie d’un essai clinique grandeur nature. Les auditions menées ont permis de constater que cet argument est sans cesse repris, même un an et demi après le début de la vaccination.
Dans le cas présent, il était important d’emporter l’adhésion de la population pour réduire rapidement la morbi-mortalité associée à la covid-19, directement, en vaccinant les personnes à risque de forme grave, et indirectement, en réduisant la circulation du virus – les vaccins permettant bien de limiter cette circulation, sans toutefois bloquer la transmission à l’échelle individuelle. Ne pas souligner ce dernier point a d’ailleurs probablement constitué une imprudence dans la communication publique.
Le début de la campagne vaccinale a été marqué par une bonne dynamique d’adhésion. À la fin du printemps 2021, alors que l’efficacité de la vaccination contre la transmission du virus apparaissait satisfaisante et que la dynamique de vaccination baissait, les autorités ont mis en place un passe sanitaire pour protéger certains lieux du virus, mais aussi pour inciter la population hésitante à se faire vacciner. Cette politique a été efficace – la menace de ne pas pouvoir participer à la vie publique en l’absence de passe sanitaire a porté – et a atteint ses objectifs sanitaires.
Puis, pour tenter de faire aller à la vaccination les 5 % à 10 % de personnes qui s’en tenaient à l’écart, un passe vaccinal a été mis en place au début de 2022. Force est de constater que ses objectifs n’ont pas été atteints, et il est à craindre que cette politique plus contraignante ait des conséquences sur l’adhésion à la vaccination en général, d’autant qu’elle est apparue tardivement et a été rapidement arrêtée.
La communication institutionnelle sur les effets indésirables a été relativement discrète par rapport à la communication incitant à la vaccination. Ces deux aspects a priori antagonistes quant à leur propension à faire aller à la vaccination n’ont pas été rassemblés au sein de la campagne de communication. Il a peu été question des effets indésirables, sauf, par exemple, lorsqu’il a été question de ceux, graves, associés au vaccin Vaxzevria. Cet épisode a d’ailleurs illustré le coût de la transparence en matière d’adhésion à la vaccination, puisque la réputation du vaccin a été définitivement entachée, ce qui a conduit à ce qu’il soit sous-utilisé, à un moment où la France ne disposait pas encore de suffisamment de doses pour protéger sa population et alors que la balance bénéfices-risques restait positive pour la majorité des personnes.
S’agissant des autres effets indésirables, si l’information est disponible dans les rapports publiés par l’ANSM sur son portail – une démarche de transparence par ailleurs saluée –, il faut connaître leur existence pour les consulter et leur contenu n’est pas adapté au grand public. En témoigne la mésinterprétation qui conduit à penser, à tort, que les événements indésirables rapportés sont tous attribuables à la vaccination. Dans la mesure où la portée des moyens de communication de l’ANSM est limitée, le fait que l’Agence soit seule responsable de cette communication ne permet pas une bonne appropriation de la notion d’effet indésirable. Or le fait de connaître l’existence des effets indésirables – normale, pour tout produit de santé –, mais aussi leur fréquence contribue à la bonne information des citoyens.
La déclaration d’effets indésirables suspectés d’être dus à un produit de santé n’étant pas dans les habitudes des médecins, il convient d’encourager la pratique dans le cadre d’une campagne vaccinale conduite avec des vaccins sur lesquels le recul est relativement faible. C’est la démarche qui a été entreprise par les autorités sanitaires. Néanmoins, les associations et collectifs ont dénoncé le refus de certains médecins de déclarer des effets indésirables.
Au-delà de la communication visant à inciter à la déclaration, il était important d’organiser la bonne transmission de l’information sur les effets indésirables avérés, suspectés et en cours d’étude auprès des professionnels de santé, pour s’assurer de leur vigilance, mais aussi les guider dans leur pratique.
L’information ayant trait aux effets indésirables, pourtant disponible sur le site internet de l’ANSM, mais aussi aux différents schémas vaccinaux – les doctrines ayant évolué à plusieurs reprises, par exemple, au sujet des délais préconisés –, aurait dû être fournie de manière active aux professionnels de santé. La fréquence quasi quotidienne des messages « DGS-urgent » dont c’était la vocation les a rendus inefficaces, voire contre-productifs. Ces messages étaient en outre parfois complètement abscons et incompréhensibles, et il était difficile d’identifier, dans leur masse, ceux qui pouvaient traiter d’un effet indésirable.
L’adoption d’un discours de vérité par les autorités, en accord avec les avis émis par les agences sanitaires, était nécessaire pour éviter que tout interstice entre les recommandations nationales et l’état des perspectives scientifiques soit investi par les désinformateurs. Dans un contexte où tant l’agent pathogène que le vaccin sont relativement nouveaux, cela implique également de ne pas trop s’avancer sur les connaissances à moyen et long terme – en témoigne la déception suscitée par l’efficacité finalement modeste du vaccin sur la transmission du virus.
Une communication transparente et complète sur l’existence d’effets indésirables, une action vigoureuse pour encourager les professionnels de santé à déclarer des événements indésirables, mais aussi un soutien adapté au système de pharmacovigilance dans son ensemble sont nécessaires pour garantir les conditions de la confiance des citoyens dans la capacité des autorités sanitaires à assurer leur sécurité. C’est d’autant plus important que les plateformes vaccinales utilisées pour faire face à la pandémie de covid-19 ont montré leur pertinence et qu’elles seront certainement à nouveau mobilisées si un nouvel agent pathogène émerge.
Enfin, la confiance se construisant sur la reconnaissance, il semble important de reconnaître l’existence de certains effets indésirables, qu’ils prennent une forme bénigne, comme c’est le cas le plus souvent, ou grave. À ce titre, nous regrettons que l’ANSM ne se soit pas prononcée à l’échelle nationale sur l’existence d’un lien entre les troubles menstruels et certains vaccins contre la covid-19, en l’absence de prise de position du Comité pour l’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance européen (Pharmacovigilance Risk Assessment Committee – PRAC), alors que les CRPV ont reconnu la pertinence de ce signal. En effet, leur non-reconnaissance alimente la défiance des citoyens dans le système tout entier. De manière générale, la dualité entre les pharmacovigilances française et européenne complexifie également la communication publique sur ces sujets.
La reconnaissance des personnes souffrant d’effets indésirables est également essentielle, d’autant plus qu’une partie d’entre elles se trouve marginalisée et parfois en situation d’errance médicale. Alors que le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale alertait les pouvoirs publics sur le risque d’une stigmatisation des personnes non vaccinées dans sa note publiée le 3 février 2022, il apparaît essentiel que les autorités prennent la mesure de cette autre stigmatisation. Entendre les personnes, les accompagner et les prendre en charge constitue une reconnaissance de leur souffrance qui nous paraît importante.
En dernier lieu, nous tenons à affirmer solennellement que nul ne peut accepter une telle polarisation de la société entre les défenseurs du vaccin et ceux qui craignent que celui-ci ne soit la cause d’effets indésirables nombreux et graves, et qui l’affirment même parfois. La vérité scientifique, qui n’exclut pas les nuances et peut évoluer, doit être la référence qui guide les décisions politiques et permet d’apaiser les trop nombreuses tensions. Une communication claire, simple et accessible à tous constituera en outre le gage de la transparence et de la confiance des citoyens.
Mme Laurence Cohen. – Merci pour cet exposé fouillé et équilibré. Le sujet est complexe, non seulement en raison de la spécificité des données traitées, mais également au vu du besoin de transparence qui s’exprime et de la nécessité qui s’impose aux pouvoirs publics d’y répondre de manière renseignée et scientifique, afin de ne pas risquer d’obtenir d’effet contraire à celui qui est recherché. L’exemple des effets secondaires du vaccin d’AstraZeneca est à cet égard très révélateur. Cette information, délivrée rapidement, sans explication, a suscité une forte défiance à l’égard de ce vaccin à un moment où nous en avions pourtant besoin.
La question est donc de savoir comment faire preuve de transparence sur les effets indésirables des vaccins sans risquer d’éloigner les populations concernées par ces derniers.
L’ANSM se voit confier un nombre croissant de missions, alors qu’en parallèle ses moyens ne cessent de se réduire. Comme vous l’avez souligné, le fait qu’elle soit seule chargée de cette communication paraît donc disproportionné. Qui pourrait prendre en charge cette information ?
Le fait que la transparence ait parfois un effet contraire à celui qui est recherché s’explique par ailleurs par un certain nombre de scandales qui ont éclaté dans le pays et qui ont suscité de la défiance. Le contraste entre les milliards d’euros engrangés par les laboratoires et le manque de vaccins disponibles n’a pas non plus favorisé la confiance de la population pendant la pandémie.
Il est en outre regrettable, s’agissant par exemple de la remise en cause des adjuvants, que soient renvoyés dos à dos les antivax, avec lesquels il est impossible de discuter, et des personnes qui, pourtant favorables à la vaccination, ont subi des effets secondaires et n’ont pas réussi à savoir si elles pouvaient ou non se faire vacciner en toute sécurité.
Ma question est donc la suivante : qui peut être chargé de l’information relative aux effets indésirables des vaccins, sachant qu’il y a aussi beaucoup à faire en matière d’information des professionnels de santé, notamment des médecins généralistes ?
Mme Corinne Imbert. – La Cour des comptes a souligné également la fragilité des financements de l’ANSM. Avez-vous évalué les besoins en financement nécessaires pour garantir le bon fonctionnement des CRPV ?
En réponse à la présidente de la HAS, qui insistait lors de son audition devant nous sur le besoin de transparence concernant les effets secondaires des vaccins, j’ai indiqué qu’une telle intention était louable, mais que cette démarche risquait d’être contre-productive. Il est difficile de manière générale de garantir la transparence de la communication relative à de nouveaux vaccins, sans que cela provoque de l’inquiétude et de la peur.
S’agissant des messages « DGS-urgent », leur diffusion a placé les professionnels de santé dans une posture très inconfortable, car leur contenu changeait en permanence.
Sur le terrain, nous avons également eu parfois l’impression que certaines des hésitations gouvernementales attribuées à un souci de rigueur scientifique tenaient en réalité au souci de gérer la pénurie de stocks de vaccins. Cela a pu être mal vécu et accroître l’inquiétude de certains patients.
Par ailleurs, les bases de données de santé médico-administratives sont-elles suffisamment bien renseignées ?
rapporteure. – Non.
Mme Corinne Imbert. – J’ai donc ma réponse !
Enfin, est-il prévu que l’Office s’intéresse dans la suite de ses travaux à la réticence particulière des outre-mer à l’égard de la vaccination, cet élément ne ressortant pas du rapport que vous nous présentez ce jour ?